Voici la deuxième partie de mon essai sur les questions fréquemment posées. La première partie a été mise en ligne la semaine dernière.
4. Question : L’utilisation des animaux par les êtres humains n’est-elle pas « traditionnelle » ou « naturelle » et, par conséquent, moralement justifiée?
Réponse : Non. Toute forme de discrimination dans l’histoire de l’humanité a été défendue par l’appel à la « tradition ». De manière routinière, on tente de justifier le sexisme en soutenant que les femmes sont traditionnellement les subalternes des hommes : « La place d’une femme est à la maison ». L’esclavage humain a été considéré comme une tradition dans la plupart des cultures, à un moment ou à un autre. Le fait que certaines pratiques puissent être qualifiées de traditionnelles n’a rien à voir avec l’acceptabilité morale de cette pratique.
En plus de s’appuyer sur la tradition, certains soutiennent que l’utilisation d’animaux est « naturelle » et en concluent qu’elle est donc moralement acceptable. Encore une fois, le fait qu’un comportement soit jugé naturel n’implique pas nécessairement qu’il soit moralement acceptable. Premièrement, à peu près toutes les formes de discrimination rencontrées dans l’histoire ont été décrites comme étant naturelles, autant que traditionnelles. Les deux notions sont même souvent utilisées de manière interchangeable. Nous avons tenté de justifier l’esclavage humain en soutenant qu’il respecte une hiérarchie naturelle entre les propriétaires d’esclaves et les esclaves. Nous avons prétendu justifier le sexisme en défendant qu’il représente la supériorité naturelle des hommes sur les femmes.
Par ailleurs, il serait pour le moins étrange de qualifier nos manières modernes d’utiliser les animaux comme des ressources de « naturelles », quelque soit le sens dans lequel on voudrait employer le mot. Nous avons créé des environnements et inventé des procédés agricoles complètement non-naturels, afin de maximiser nos profits. Nous menons des expériences bizarres au cours desquelles nous transplantons des gènes et des organes d’animaux dans le corps d’êtres humains et vice versa. Nous en sommes maintenant à cloner des animaux. Rien de tout cela ne peut être qualifié de « naturel ». Des étiquettes telles que « naturel » et « traditionnel » ne sont que ça : des étiquettes. Elles ne sont pas des raisons. Si des gens défendent l’imposition de douleur et de souffrance aux animaux ou encore leur mise à mort en prétendant que tout cela est naturel ou traditionnel, cela signifie généralement qu’ils n’arrivent pas à justifier autrement leur conduite.
Une variation sur le même thème focalise sur les traditions de groupes particuliers. Par exemple, en mai 1999, le peuple des Makah de l’état de Washington a tué sa première baleine grise en plus de soixante-dix ans. La mort, qui a été imposée à coups de harpons d’acier, d’armes anti-tanks, de munitions perce-armures, de bateaux de chasse motorisés et d’un important prêt du gouvernement fédéral, a été défendue sur la base du fait que la chasse à la baleine est une tradition Makah. Mais le même argument pourrait être (et est) mis de l’avant pour défendre l’excision en Afrique et la pratique de l’assassinat par le feu en Inde.
La question n’est pas de savoir si ces conduites font partie d’une culture; toutes les conduites font partie, ou ont fait partie, d’une culture ou d’une autre. La question est de savoir si ces conduites sont moralement justifiées.
5. Question : Puisque les animaux nonhumains mangent d’autres nonhumains dans la nature, n’est-il pas correct pour nous de manger des nonhumains?
Réponse : Non. Premièrement, même si certains animaux dans la nature en consomment d’autres, plusieurs ne le font pas. Plusieurs animaux sont végans. De plus, il y a beaucoup plus de coopération dans la nature que ce que nous permettent d’imaginer nos préjugés voulant que la nature soit « cruelle ».
Deuxièmement, le fait que les animaux se mangent entre eux est hors propos. Comment le fait que des animaux mangent d’autres animaux pourrait-il être pertinent? Certains animaux sont carnivores et ne pourraient pas exister sans manger de la viande. Nous ne tombons pas dans cette catégorie; nous pouvons très bien nous porter sans manger de viande, et de plus en plus de gens endossent la position selon laquelle notre santé et l’environnement bénéficieraient tous les deux d’un changement de diète évitant la consommation de produits d’origine animale.
Troisièmement, les animaux font toute sorte de choses que les humains ne considèrent pas moralement appropriées. Par exemple, les chiens copulent et défèquent dans la rue. Est-ce que cela signifie que nous devrions suivre leur exemple?
Quatrièmement, il est intéressant de remarquer que, lorsque cela nous convient de le faire, nous tentons de justifier notre exploitation des animaux en nous appuyant sur notre soi-disant « supériorité ». Et lorsque notre supposée « supériorité » se trouve à faire obstacle à ce que nous aimerions faire, nous nous décrivons soudainement comme n’étant rien d’autre qu’une autre espèce d’animaux sauvages, aussi justifiée que le sont les renards de manger des poulets.
6. Question : Hitler était végétarien; qu’est-ce que cela nous apprend à propos des végétariens?
Réponse : Cela ne nous apprend rien d’autre que des mauvaises personnes peuvent aussi être des personnes qui ne mangent pas de chair animale.
La question elle-même est fondée sur un argument invalide de la forme suivante :
1. Hitler ne mangeait pas de chair animale.
2. Hitler était mauvais.
3. Par conséquent, les gens qui ne mangent pas de chair animale sont mauvais.
Staline mangeait de la viande et était pourtant un sombre personnage. Il est responsable de la mort de millions d’innocents. Qu’est-ce que cela nous apprend à propos de ceux qui mangent de la viande? Tout comme nous ne pouvons conclure que tous les gens qui mangent de la viande ont quoique ce soit en commun avec Staline, mis à part le fait de manger de la viande, nous ne pouvons conclure que ceux qui ne mangent pas de chair animale ont quoique ce soit d’autre en commun avec Hitler que le fait de ne pas manger de viande.
En outre, il n’est pas certain qu’Hitler était réellement végétarien et certains soutiennent que, en fait, il ne l’était pas. Et de toute façon, l’intérêt nazi à réduire la consommation de viande n’était pas lié à des motivations morales à l’égard du statut des animaux, mais reflétait plutôt une préoccupation par rapport à la santé et à la guérison par l’alimentation organique et par le rejet des aliments et produits pharmaceutiques contenant des ingrédients artificiels, préoccupation liée à l’objectif nazi plus général de l’ « hygiène raciale ».
De plus, même si Hitler était végétarien, alors quoi? Il n’était pas végan. Il n’y a pas de différence logique ou morale entre la chair et les produits laitiers ou les œufs. Alors même si Hitler ne mangeait pas de viande, il participait directement à une forme d’exploitation animale en tout point aussi moralement condamnable.
Une autre version de cette question pourrait être : Puisque les Nazis étaient aussi en faveur des droits des animaux, est-ce que cela signifie que la théorie des droits des animaux est indéfendable en ce qu’elle implique le dénigrement des êtres humains? Une fois de plus, la question est absurde. Premièrement, la question est fondée sur une erreur factuelle. Les Nazis n’étaient pas en faveur de la reconnaissance de droits aux animaux. Les lois germaniques de protection des animaux limitaient la vivisection dans une certaine mesure, mais elles ne reflétaient pas une préférence sociale pour l’abolition du statut de propriété des animaux. Après tout, les Nazis ont, sans hésiter, tué des millions d’humains et d’animaux au cours de la Deuxième guerre mondiale, un comportement incompatible avec la position des droits, humains ou autres. Il n’est pas plus exact de dire que les Nazis appuyaient les droits des animaux qu’il ne l’est de dire que les Américains appuient les droits des animaux parce que nous avons une loi fédérale sur la protection de leur bien-être.
Mais qu’en serait-il si, contrairement aux faits, les Nazis avaient bel et bien défendu l’abolition de toute exploitation animale? Qu’est-ce que cela signifierait à propos de l’idée des droits des animaux? La réponse est absolument claire : cela ne nous apprendrait rien en ce qui a trait au caractère bon ou mauvais de la position des droits des animaux. La réponse à cette question ne peut dépendre que de la validité des arguments moraux en faveur des droits des animaux.
Les Nazis favorisaient fortement le mariage. Est-ce que cela signifie que le mariage soit une institution immorale, de manière inhérente? Les Nazis croyaient également que les sports étaient essentiels au développement d’un caractère fort. Est-ce que cela veut dire que le sport compétitif soit intrinsèquement immoral? Jésus Christ prêchait en faveur de l’importance de partager les ressources d’une manière équitable. Gandhi a fait la promotion d’un message similaire, tout comme Staline. Mais Staline dénigrait aussi les êtres humains. Pouvons-nous conclure que l’idée d’une distribution plus équitable des ressources soit moralement souillée et vicie le message de Jésus ou de Gandhi? Non, bien sûr que non. Nous ne dénigrons pas davantage la valeur de la vie humaine, lorsque nous accordons de l’importance morale aux intérêts des animaux, que nous dénigrons la vie des êtres humains « normaux » lorsque nous accordons de l’importance morale aux êtres humains sévèrement handicapés mentalement et interdisons qu’ils soient utilisés pour l’expérimentation scientifique.
Source : Gary l. Francione, Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog?, (Philadelphie : Temple University Press, 2000).
Gary L. Francione
© 2007 Gary L. Francione