Les Défenseurs des Droits des Animaux devraient-ils promouvoir la viande « In-Vitro » ou « de Culture » ?

C’est une question facile. La réponse est : absolument pas.

La raison est simple : la viande de culture implique de prélever les cellules d’animaux vivants ; cela implique aussi de cultiver ces cellules dans un environnement animal, tel que le sérum fœtal de veaux ou de chevaux. Ainsi des animaux sont tués dans le processus de production de la viande de culture.

Si vous croyez que les animaux ont une valeur morale et possèdent des droits moraux, vous ne soutenez pas le fait de tuer les animaux. Point. Vous ne déclarez pas qu’en tuer 2 est acceptable pour en sauver 10 pas plus que vous ne déclareriez qu’il est acceptable de tuer 2 êtres humains comme donneurs d’organes forcés pour sauver 10 êtres humains.

Qu’en est-il de l’argument que cette technologie pourrait procurer de la viande pour les milliards de personnes qui veulent continuer à manger de la viande, et que cela permettrait le massacre de moins d’animaux ?

À part le fait que les défenseurs des droits des animaux ne promeuvent pas le fait de tuer des animaux, il existe déjà de nombreux substituts de viande 100 % végétaliens –  et que chaque jour il s’en développe plus. Ainsi, si des personnes veulent retrouver la sensation de manger quelque chose qui ressemble à un cadavre, il existe déjà de nombreuses options qui n’impliquent pas de tuer des animaux. Il n’y a aucune raison de croire que la viande de culture rencontrera un plus grand succès ou une plus grande acceptation sociale que les produits 100 % végétaliens…

Mais laissez-moi reformuler un point déjà établi : les défenseurs des droits des animaux ne promeuvent pas le fait de tuer des animaux pour (supposément) sauver plus d’animaux pas plus qu’un défenseur des droits humains ne promeut la marchandisation d’êtres humains dans le but de sauver un plus grand nombre d’autres êtres humains.

Qu’en est-il de l’argument que les défenseurs des droits des animaux devraient arrêter d’être « binaires » (tout ou rien) ? C’est-à-dire, qu’ils devraient mettre de côté leurs convictions et soutenir la viande « de culture » parce que cela pourrait supposément sauver des vies animales (mais continuera à tuer des animaux comme sources de cellules et comme environnement de culture). Cet argument est évidemment spéciste. Nous ne défendrions jamais ces compromis si des êtres humains étaient impliqués.

Ceux qui défendent les droits des animaux devraient continuer à éduquer le plus de personnes possible à propos du véganisme en tant que question de justice. Cela changera le monde. Les défenseurs des droits des animaux ne devraient jamais promouvoir ou soutenir aucune forme d’exploitation animale, tout comme les défenseurs des droits humains ne feraient jamais la promotion du fait de marchandiser ou tuer des êtres humains afin d’en sauver d’autres.

Je reconnais que certains « animalistes » sont très excités par cette viande de culture et investissent de l’argent ou d’autres ressources là-dedans. Je ne pourrais pas être plus en désaccord avec eux.

*****

Si vous n’êtes pas végan, s’il vous plaît, devenez-le. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients. Mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2018 Gary L. Francione

Un raisonnement confus à propos du sexisme

Quelqu’un m’a envoyé ce visuel de PETA ainsi que la réponse de PETA concernant la critique que cette sorte de chose réifiait les femmes. Selon PETA, il serait « misogyne » de dire que ce visuel réifie les femmes parce que cela ne respecterait pas la décision des femmes de participer à un tel visuel.

Appeler cela un raisonnement confus de la part de PETA est la chose la plus gentille que je puisse dire sur ça.

Dans une société patriarcale (et sans aucune doute c’en est bien une), les femmes sont – par définition – vues comme des citoyennes de seconde classe dont la fonction première est de fournir des services sexuels. Bien que cela soit en train de changer à un certain niveau,  toute personne qui croit que cela n’est pas le paradigme (très) dominant rêve. Dire que ce visuel ne représente pas l’auto-réification est absurde. Personne ne se pose la question de savoir si les femmes sont « libres » de faire ça. Bien sûr qu’elles sont libres de le faire. Le patriarcat encourage les femmes à s’auto-réifier. Dans une société patriarcale, les choix des femmes sont conditionnés par des normes sexistes. C’est le problème.

Ce type de visuel encourage manifestement et sans équivoque les gens à considérer les femmes comme de la « viande ». C’est faux –  et cela n’amènera jamais les gens à arrêter de considérer les nonhumains comme de la « viande ». Dans une société patriarcale, la réification et l’auto-réification sont inévitables. Mais utiliser le sexisme pour (supposément) éduquer au spécisme est quelque chose que nous devrions pas faire.

Afin de comprendre l’absurdité de la position de PETA, considérons cette analogie. Cette société est raciste. Il n’y a pas de doute sur ce point. Les actrices et acteurs de couleur doivent très souvent incarner des stéréotypes qui renforce le discours raciste qui dit que les personnes de couleur participent à des actions criminelles et violentes. J’ai vu un acteur noir interviewé et à qui on demandait pourquoi il jouait toujours le dealer de drogues ou le proxénète. Sa réponse était qu’il s’agissait là des rôles qu’on lui proposait. Est-ce que ces actrices et acteurs incarnent ces rôles volontairement ? Bien sûr. On les paie beaucoup d’argent. Mais leurs choix sont limités par le racisme. Ces rôles renforcent-ils les stéréotypes racistes ? Bien sûr. Est-ce « raciste » de dénoncer ça ? Évidemment que non. Nous avons l’obligation de dénoncer ces sortes de choses.

Le même raisonnement s’applique dans le contexte sexiste.

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Si vous n’êtes pas végan, s’il vous plaît, devenez-le. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients. Mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2018 Gary L. Francione

Le véganisme en tant que question de Justice : une courte réponse aux welfaristes

Quand je promeus la position que le véganisme est un impératif moral (que le véganisme est quelque chose que nous sommes moralement obligés d’adopter) et que la justice requiert que nous soyons véganes, certains welfaristes répondent : « Mais vous achetez vos aliments véganes dans un magasin qui vend des produits animaux et, par conséquent, vous êtes injustes donc vous ne pouvez pas soutenir la position que la justice requiert le véganisme. »

L’idée ici est que, en achetant de la nourriture végane dans un supermarché et en donnant ainsi de l’argent à un exploiteur d’animaux, je ne serai pas différent de ceux qui consomment « avec compassion » et choisissent des œufs de poules sans cages ou du cochon sans cages de gestation, ou pratiquent des « lundis sans viande » ou « végane avant 6 », ou qui mangent des produits animaux « de temps en temps » ou en mangent tout le temps mais « juste un petit peu ». Les welfaristes clament que je n’ai pas à dire que le véganisme est une question de justice ou un impératif moral parce que je suis injuste et que je ne reconnais pas moi-même le véganisme comme une obligation.

Mais cet argument ne fonctionne pas. Il n’a pas de principe limitatif et mène à une conclusion absurde.

Tout argent est sale. Alors même si j’achète ma nourriture végane dans un commerce végane et non dans un supermarché généraliste, si ce commerce emploie des personnes qui ne sont pas véganes, ou si ce commerce végane reçoit des marchandises de personnes livrant des produits animaux à d’autres commerces, ou si les produits véganes vendus dans ce commerce végane sont cultivés ou manufacturés par des producteurs ou agriculteurs non-véganes, ou par des agriculteurs véganes et producteurs véganes qui emploient des travailleurs non-véganes, je, en suivant le raisonnement de ces welfaristes, soutiens l’exploitation.l’exploitation.

Par conséquent, les welfaristes défendent la position que tant que nous n’avons pas un monde végane, nous ne pouvons pas avoir d’obligation à être végane parce que aussi longtemps que nous n’aurons pas ce monde végane, nous donnerons de l’argent aux exploiteurs d’animaux.

Mais c’est clairement absurde.

La position welfariste n’est pas différente de celle qui dirait que nous ne pouvons pas défendre l’idée que le sexisme ou le racisme sont injustes si nous sommes clients d’une entreprise qui est détenue par des personnes qui sont sexistes ou racistes. Etant donné que beaucoup d’entreprises sont la propriété de groupes, et que ces groupes appartiennent à des actionnaires, et compte tenu le niveau de sexisme et de racisme de la population, cela signifie que 99,99 % du temps, quand nous achetons quelque chose, nous soutenons une entreprise détenue par des sexistes ou racistes. Et même si cette entreprise n’est pas détenue par des personnes racistes ou sexistes, il y a des racistes et des sexistes qui ont un lien sous une forme ou une autre avec cette entreprise dans les poches de laquelle va notre argent. Donc, nous ne pouvons pas dire que le sexisme ou le racisme sont injustes parce que nous mettons toujours de l’argent dans les poches de racistes ou sexistes à un moment ou un autre.

Mais personne n’irait déclarer que nous ne pouvons pas parler d’égalité en tant qu’impératif moral parce que nous n’avons pas encore atteint cette égalité. La plupart des gens se rendront compte de l’absurdité complète de cette position. Mais des « animalistes » promeuvent cette position absurde quand les animaux sont concernés. C’est très spéciste.

Les welfaristes déclarent aussi que nous ne pouvons pas être « 100 % véganes » parce qu’il y a des produits animaux dans les plastiques, les revêtements routiers, les pneumatiques, et beaucoup d’autres choses avec lesquelles nous ne pouvons éviter d’être en contact. Par conséquent, nous ne pouvons insister sur le véganisme en tant qu’impératif moral et en tant que principe de justice parce qu’il n’existerait pas de différence entre une personne qui possède un téléphone portable fait de plastique et contenant des sous-produits animaux, et une personne qui mange un morceau de fromage, ou des œufs sans cage, ou a du poulet contenu dans une soupe de légumes, etc.

Encore une fois, cette position est absurde.

Premièrement, être végane signifie ne pas consommer, porter ou utiliser de produits animaux autant que possible – quand nous en avons véritablement le choix. Nous pouvons décider quoi manger et porter, ou quels produits nous utilisons. La justice exige que nous ne choisissions pas de consommer des choses qui contiennent les parties du corps de personnes exploitées – humaines ou nonhumaines – à chaque fois que nous en avons le choix. Nous n’avons pas le choix du revêtement des routes ou de comment les plastiques, qui sont utilisés pour pratiquement tout ce qui existe, sont fabriqués.

Deuxièmement, la raison pour laquelle il y a des sous-produits animaux dans tout est que nous tuons plus d’un milliard de milliards d’animaux dans le monde entier chaque année. Les sous-produits des abattoirs sont peu chers et aisément disponibles. Et cela continuera aussi longtemps que nous continuerons à consommer des produits animaux.

Troisièmement, nous n’accepterions jamais un tel argument dans un contexte humain. Considérez la proposition suivante : dans une société raciste et sexiste, les personnes blanches et les hommes sont avantagées car le racisme et le sexisme transfère effectivement de la richesse (argent, travail, etc.) depuis les personnes victimes de discriminations et vers celles qui appartiennent aux classes ou groupes privilégiés. Si nous appliquions l’argument welfariste dans ce contexte, nous devrions en conclure que les personnes blanches ne peuvent pas déclarer que le racisme est injuste parce que des personnes blanches privilégiées n’ont pas d’autre choix que de bénéficier du racisme (de même que les véganes n’ont pas d’autre choix que d’utiliser les routes existantes). Nous devrions en conclure que les hommes ne peuvent pas soutenir que le sexisme et la misogynie sont injustes parce que les hommes bénéficient du sexisme et de la misogynie du simple fait d’être hommes (de même que les véganes entrent en contact avec les plastiques qui sont contenus dans tout).

Mais personne ne soutiendrait une telle position dans le contexte humain.

C’est même pire. Les welfaristes déclarent que, parce que nous ne pouvons éviter les sous-produits animaux dans tout ce qui nous entoure, nous ne pouvons pas dire qu’il est injuste de choisir de consommer ces produits quand un choix est possible. La position welfariste revient exactement à dire que parce que les personnes blanches bénéficient du racisme, il n’y a pas de différence entre la personne blanche qui s’oppose au racisme et la personne blanche qui a une attitude « juste un petit peu » raciste. La position welfariste revient exactement à dire que, parce que les hommes bénéficient du sexisme même quand ils s’y opposent, il n’y a aucune différence entre un homme qui s’oppose au sexisme et un homme qui agresse des femmes de temps à autre.

Encore une fois, personne ne soutiendrait ces positions dans le contexte humain.

Nous devons rejeter la position welfariste en raison du spécisme évident qu’elle entretient clairement.

Si vous n’êtes pas végane, devenez-le s’il vous plaît. C’est une question d’impératif moral. C’est une question de justice.

Manger les animaux : Notre « Choix » ?

Dans nos discussions au sujet du véganisme, une hypothèse commune – quasiment non remise en cause – est que le véganisme est une question de choix. Ce que cela signifie, ce n’est pas simplement que nous pouvons choisir ce que nous mangeons ou pas, ou utiliser des produits animaux parce que ces choix ne sont pas interdits par la loi, mais que nous n’avons pas l’obligation morale de choisir d’être végane. Le véganisme serait comme ces films que nous choisissons de regarder ; ou comme l’art ou la musique que nous aimons. Il n’y aurait pas de notion morale de bien ou de mal à ce sujet.

Nous sommes en désaccord avec cela et nous maintenons qu’il y a une notion morale de bien et de mal à ce sujet et que vous avez une obligation morale de devenir végane. Mais, nous voulons aussi vous démontrer que vous êtes en fait d’accord avec nous.

Chaque jour, il existe des histoires au sujet de quelqu’un qui a fait subir de terribles choses a un animal sans aucune raison valable. Ces histoires concernent souvent des chiens et des chats, mais elles concernent aussi d’autres animaux. Nous n’estimons pas qu’il puisse être sujet à controverse de dire que notre opinion conventionnelle à propos des animaux est que nous pensons qu’ils comptent moins que les humains et qu’il est moralement acceptable de nous préfèrer nous à eux, mais seulement dans des situations où il existe contrainte ou nécessité. La plupart d’entre nous pensent que l’assertion qu’il est moralement condamnable d’infliger une souffrance ou une mort non nécessaires aux animaux ne peut susciter aucune controverse. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une question de choix ; nous pensons que c’est une question d’obligation morale.

Et ce que signifie la nécessité dans ce contexte est également non controversé. Nous convenons tous qu’il est mal d’infliger souffrance et mort aux animaux dans le but de nous apporter du plaisir, par commodité, ou par amusement. Pourquoi 84 % des britanniques sont-ils opposés à la chasse au renard ? C’est simple. Ils pensent que le plaisir ou l’amusement des chasseurs ne justifient pas le fait d’infliger de terribles souffrances et une mort violente au renard. Ils ne pensent pas que les chasseurs devraient avoir le droit de choisir de chasser le renard. Il y a là une notion morale de ce qui est bien et ce qui est mal, et ils l’estiment moralement mauvaise.

Nous utilisons les animaux pour de multiples fins mais notre usage le plus quantitativement important concerne la nourriture. Nous tuons et mangeons environ 60 milliards d’animaux terrestres et un trillion d’animaux marins chaque année. Les animaux élevés et abattus le plus « humainement » (quoi que cela signifie) subissent des souffrances et une détresse importantes durant leur existence et lors de leur mort. Des caméras de surveillance vidéo dans les abattoirs n’y changeront rien. Assurément, nous avons besoin de justifier la souffrance que nous imposons aux animaux que nous mangeons. Nous avons besoin de trouver une raison qui de manière plausible inclut de la nécessité et de la contrainte.

Le problème est que nous ne pouvons agir ainsi.

Nous n’avons nul besoin de consommer des produits animaux afin de bénéficier d’une santé optimale. Les principales autorités gouvernementales et organisations professionnelles du monde entier confirment que nous pouvons vivre de façon parfaitement saine sans consommer de la viande, des produits laitiers et des œufs. En effet, un nombre grandissant de professionnels de santé expriment l’opinion que les produits animaux sont nocifs pour la santé humaine et de multiples maladies sont liées à notre régime alimentaire de protéines et graisses animales. Et il n’existe plus aucun doute que l’élevage soit un désastre écologique total et sans équivoque.

Alors, quelle est notre meilleure justification pour infliger souffrances et mort aux animaux que nous mangeons ? Le plaisir du palais. L’amusement. Il s’agit de ça. Et en quoi est-ce donc différent du plaisir et de l’amusement de ceux qui chassent les renards ?

Arrivé à ce point, vous pensez peut-être qu’il y a certainement une différence entre vous et les personnes qui font des choses comme chasser les renards – elles y participent directement et vous achetez juste des produits animaux au magasin. Cela représente peut-être une différence psychologique mais il n’y a pas de différence morale entre la personne qui tue et la personne qui paie un quelqu’un d’autre pour tuer. En effet, la loi est clair sur le fait que la personne qui appuie sur la gâchette et la personne qui paie pour avoir la gâchette enclenchée sont toutes les deux coupables de meurtre.

Vous pouvez aussi pensez, « mais si j’étais échoué sur une île déserte « ? La réponse courte : vous n’êtes pas, n’avez jamais été et ne serez probablement jamais échoué sur une île déserte. Mais même si cela était le cas, les situations de contrainte et de nécessité seraient avérées et rendraient votre meurtre d’un animal moralement excusable. Aucune personne lisant ceci ne fait l’expérience d’une telle contrainte ou nécessité qui puisse supprimer ses choix moraux.

Il est clair que, en tant que société, et en tant qu’individus, nous sommes aux prises avec la question de notre obligation morale envers les nonhumains. La seule chose qui est claire est que même si nous en restons avec la norme conventionnelle, qui est très anthropocentrique, et ne nous aventurons pas dans la théorie des droits des animaux, il y a là une notion de bien et de mal. Le véganisme comme mode d’alimentation est la position par défaut correspondant à ce que nous disons toutes croire. Et une fois que nous arrêtons de les manger, il devient clair que nous ne devrions les exploiter dans aucun autre contexte –  pour l’habillement, le divertissement, etc.

Un moment de silence pour Donald Watson, fondateur de la Vegan Society

Essai original en version anglaise publié le 1er juillet 2014.

Donald Watson a fondé, avec quelques autres personnes, la Vegan Society en 1944.

Voici ce que j’ai écrit au sujet de Watson dans l’encyclopédie culturelle sur le végétarisme :

WATSON, DONALD (1910–2005)

Né le 2 septembre 1910, à Mexborough, Yorkshire du Sud, en Angleterre, Donald Watson a inventé le terme « végane » pour décrire les personnes qui s’abstiennent de consommer et d’utiliser des produits d’origine animale. Il a fondé la Vegan Society afin de promouvoir cette idée. Watson a passé une grande partie de sa vie comme ébéniste ou enseignant l’ébénisterie. Son père était directeur d’une école près de chez lui. Son oncle et sa grand-mère dirigeaient la ferme familiale, et à un âge précoce, Watson, qui croyait jusqu’alors que la ferme était un lieu idyllique, assista à l’abattage d’un porc. C’est à ce moment que commença sa remise en question de la relation entre les humains et non humains, qui se poursuivit durant toute son adolescence.

En 1924, âgé de 14 ans, Watson est devenu végétarien. Vingt ans plus tard, en 1944, il fonda la Vegan Society, bien que cela faisait déjà quelques années que son mode de vie était végane et qu’il se nourrissait de façon végétalienne. Le mot « vegan » est composé des premières et dernières lettres du mot anglais « vegetarian ». Watson croyait que le véganisme était la conclusion logique au rejet, pour des raisons de moralité et de santé, des produits d’origine animale. Il soutenait que les produits laitiers, tels le lait et le fromage, ainsi que les œufs, exploitaient tout autant la vie d’animaux, des êtres sensibles, et étaient tout aussi cruels que l’abattage d’animaux pour leur chair : « La cruauté incontestable associée à la production de produits laitiers a démontré clairement que le lactovégétarisme* n’était rien qu’à mi-chemin entre la consommation de chair et un véritable régime alimentaire humain et civilisé, et nous pensons, par conséquent, que pendant notre vie sur terre, nous devrions essayer d’évoluer suffisamment pour faire le “parcours complet”. » Il évitait également de porter du cuir, de la laine ou la soie, et afin d’éviter de tuer les vers, il utilisait une fourchette plutôt que d’une bêche pour jardiner.

Watson était contre la chasse, la pêche, les sports sanguinaires et l’utilisation d’animaux à des fins d’expérimentation. Bien qu’il disait avoir du respect pour ceux qui libéraient les animaux de laboratoire ou prenaient part à d’autres formes d’action directe, il disait aussi craindre que ces activités soient contreproductives. Il était un défenseur de l’agriculture biologique et un critique de la manipulation génétique des plantes et des animaux.

Watson illustrait et vantait les bienfaits pour la santé d’un régime végétalien, mais il est évident qu’il voyait le véganisme avant tout comme un principe moral. Il considérait le mouvement pour le véganisme comme « le plus grand mouvement n’ayant jamais existé », car le véganisme apportait une solution à la crise, causée par l’avidité et la violence, qui affectait et affligeait l’humanité et brandissait la menace d’un désastre écologique. Bien que n’étant pas religieux au sens traditionnel, il avait des croyances spirituelles profondément ancrées, telle l’idée qu’être carnivore viole les lois naturelles et la violence envers les animaux non humains est une violation des lois spirituelles, qui cause malheur psychologique et mauvaise santé. Watson soutenait que la compassion était la seule partie utile de la religion et que le véganisme implique de pratiquer la compassion.

Watson était engagé envers la non-violence de façon générale. Durant la Seconde Guerre mondiale, il avait un statut d’objecteur. Il a vécu une vie saine et active jusqu’à sa mort en 2005, à l’âge de 95 ans. Comme l’a également fait le dramaturge George Bernard Shaw, à propos de ses funérailles, Watson avait prédit que « les esprits de tous les animaux », que Watson n’avait jamais mangés, seraient présents.

Gary L. Francione

J’espère que, même à partir de cette brève entrée, le profond respect que je voue à Watson et à sa vision progressiste est apparent.

J’ai écrit cette entrée au sujet de Watson en 2010. En 2011, j’ai en fait été banni du forum de la Vegan Society, parce que je faisais la promotion du véganisme, après avoir démarré une discussion que vous pouvez lire ici.

Et maintenant, la Vegan Society a décidé de « redorer son image » au moyen de sa campagne — Vous n’avez pas être végane — qui a couté 6 000 £. La Vegan Society a explicitement et délibérément abandonné le véganisme comme base morale, en faveur d’une version plus souple du véganisme flexible, que la Vegan Society définit par « consumérisme végane » :

La Vegan Society « C’est fantastique Anne, nous constatons que de plus en plus de véganes sont enchantés de la nouvelle approche de la Vegan Society, qui a pour effet de faire bénéficier un plus grand nombre d’animaux de l’augmentation du consumérisme végane. Vous pouvez joindre en ligne facilement ici : http://bit.ly/mbstvs Mario »

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(Cliquer pour agrandir)

Un article au sujet de Ruth Semple, Chef des communications, politiques publiques et de la recherche, à la Vegan Society avait ceci à dire :

Semple, qui a rejoint l’organisme en octobre 2012, savait qu’elle avait un sérieux problème à résoudre. Non seulement la visibilité de l’organisme de bienfaisance était faible — tant auprès du public qu’auprès des journalistes — mais son image de marque et son identité ne reflétaient plus ses objectifs. Plutôt que d’exister uniquement pour informer et aider les individus à devenir véganes, la Vegan Society veut maintenant s’engager avec les décideurs politiques à un niveau supérieur et au sujet d’un éventail plus large de questions, telles que le développement international et le changement climatique.

Ainsi, Semple s’est engagé dans le plus grand projet de changement d’image jamais réalisé par l’organisme, au cout de 6 000 £. « Au début, certains membres du personnel étaient résistants, parce qu’ils n’en voyaient pas la nécessité », dit-elle. « Ils demandaient pourquoi nous dépensions autant d’argent sur du travail de conception, alors que nous devrions faire autre chose. »

Néanmoins, elle est allée de l’avant avec le projet, se basant sur la recherche universitaire préexistante, qui examinait la représentation des véganes dans les médias — généralement, dit Semple, on les considérait comme des personnes austères ou qui suivent toutes les modes — et analysant la base de données 2013 des membres, qui révéla que l’âge moyen des membres était de 56 ans.

« Nous avons réalisé que nous devions attirer la prochaine génération et découvrir ce qu’eux voulaient », dit Semple.

Et quelle est donc cette « recherche universitaire préexistante » à laquelle Semple fait référence ?

Il s’agit d’une étude : M. Cole et K. Morgan, Vegaphobia : derogatory discourses of veganism and the reproduction of speciesism in national UK newspapers (Vegaphobie : discours désobligeants sur le véganisme et la reproduction du spécisme dans les journaux du Royaume-Uni), parue dans le journal British Journal of Sociology (2011), Volume 62, numéro 1.

Et que dit cette unique étude ?

Elle dit que les journaux en Grande-Bretagne dépeignent les véganes et le véganisme de manière désobligeante — comme des « ascètes, suiveurs de toutes les modes, sentimentalistes, ou, dans certains cas, des extrémistes hostiles » — dans le but de perpétuer le spécisme et de déconnecter les discussions sur le véganisme des questions morales et éthiques présentées par l’exploitation animale.

Est-ce une surprise ? Une surprise de quelque façon ?

Les journaux appartiennent à des sociétés qui ont des intérêts économiques dans la perpétuation de toutes sortes d’injustice, incluant, mais sans s’y limiter, l’exploitation des animaux, et qui ont intérêt à maintenir la discussion au niveau le plus superficiel, de sorte que nous évitions de discuter des vrais problèmes de morale et d’injustice.

Fait intéressant, les auteurs concluent que les efforts des médias pour discréditer le véganisme pourraient refléter la

vision selon laquelle la violence humaine envers les animaux non humains est profondément problématique pour la plupart des humains. Si ce n’était pas le cas, il y aurait peu de raison pour le discours vegaphobique, tel que mis en lumière dans nos résultats de recherche. (Page 150)

Autrement dit, les grands médias dépeignent les véganes et le véganisme de façon négative précisément pour détourner l’attention des croyances morales qu’ont la plupart des gens. Autrement dit, nous pensons tous que ce que Michael Vick ou Mary Bale ont fait était mal, mais les médias nous découragent de faire la connexion profonde entre ce qu’ils ont fait et ce que nous faisons dans notre vie de tous les jours.

Les auteurs concluent :

Par conséquent, l’effort visant à réaffirmer sans cesse le lien entre le véganisme et la libération des animaux non humains reste valable, et la tentation de promouvoir le véganisme sous le couvert non conflictuel d’un choix de mode de vie sain pourrait s’avérer imprudente. Cela ne veut pas dire que d’éduquer sur les aspects pratiques d’une vie basée sur la non-violence n’a pas d’importance, mais cela est en proie à la cooptation. (Page 150)

Êtes-vous tombé de votre chaise jusqu’à présent ?

La Vegan Society se fonde sur la recherche universitaire pour sa campagne « Vous n’avez pas à devenir végane », alors que la recherche soutient la conclusion opposée. Cette recherche indique que les médias tentent de discréditer le véganisme précisément parce que les gens se soucient moralement des animaux, et cela soutient l’idée que nous devrions continuer à insister sur la question morale et à parler des aspects pratiques d’une vie basée sur la non-violence. La Vegan Society utilise cette recherche pour justifier l’abandon de l’argument moral et l’abandon de toute discussion sur les aspects pratiques d’une vie basée sur la non-violence, en faveur d’un message de véganisme flexible et de « consumérisme végane ».

La « cooptation » a déjà eu lieu.

Voici trois des nouvelles affiches de la campagne de la Vegan Society :

vegan lipstickEmbrassez végane
Vous n’avez pas à être végane pour aimer le rouge à lèvres végane.

vegan icre creamMangez végétalien
Vous n’avez pas à être végane pour aimer la crème glacée végétalienne.

vegan trainersCourrez végane
Vous n’avez pas à être végane pour aimer les chaussures véganes.

Je me demande ce que Donald Watson penserait de cette nouvelle campagne. Je me demande s’il aurait été heureux de voir sa Vegan Society produire de telles affiches.

En 1944, dans le premier journal de la Vegan Society, Donald Watson déclarait ceci :

Une critique commune est que le temps n’est pas encore mûr pour notre réforme. Le temps ne peut-il jamais être mûr pour quelque réforme que ce soit, sans avoir été muri par la détermination humaine ? Est-ce que Wilberforce a attendu le « murissement » du temps avant de commencer sa lutte contre l’esclavage ? Est-ce que Edwin Chadwick, Lord Shaftesbury et Charles Kingsley ont attendu un tel moment inexistant, avant d’essayer de convaincre le grand poids mort de l’opinion publique que l’eau potable et les salles de bains constitueraient une amélioration ? S’ils avaient annoncé leur intention d’empoisonner tout le monde, l’opposition qu’ils ont rencontrée aurait difficilement pu être plus forte. En laissant à la postérité la réalisation de nos idéaux, il y a un danger évident, car la postérité pourrait ne pas avoir nos idéaux. L’évolution peut être rétrograde ainsi bien que progressiste ; en effet, il semble toujours y avoir une forte gravitation dans la mauvaise direction, à moins que les normes existantes ne soient protégées et que les nouvelles visions ne soient honorées.

En 2014, Jasmijn de Boo, PDG de la Vegan Society, dit :

Développée après une longue période de recherche et de dialogue constructif, la campagne montre que nous avons vraiment écouté les points de vue des végétariens et des mangeurs de viande. Certaines personnes arrivent à faire le saut vers le véganisme du jour au lendemain, mais nous comprenons que, pour d’autres, les messages « Devenez véganes. Maintenant ! » sont perdus.

Comme si nous devions choisir entre un slogan simpliste, « Devenez véganes. Maintenant ! » et l’abandon du véganisme comme une base morale, en faisant la promotion d’un véganisme flexible et du « consumérisme végane ».

Le PDG de Boo poursuit :

Tout le monde est désormais libre d’embrasser le véganisme ; non seulement ceux qui sont déjà véganes, mais ceux qui considèrent le devenir et qui veulent commencer à intégrer plus de plats à base de plantes dans leur régime alimentaire, ou remplacer leurs chaussures en cuir par des versions véganes. Dans les supermarchés et en ligne, les véganes peuvent choisir parmi un large éventail de produits alimentaires. En fait, cela n’a jamais été plus facile.

Nous ne sommes pas là pour dire aux gens quoi faire ou comment vivre. Nous donnons aux gens le choix et la chance de se joindre à nous. Nous sommes là pour soutenir tous ceux qui se dirigent vers un mode de vie plus éthique et durable. Ce n’est pas tout ou rien. Il s’agit de démarrer une conversation ou de planter une graine.

En d’autres termes, la Vegan Society était complètement incompétente dans ses efforts pour susciter l’intérêt des gens au sujet du véganisme. Plutôt que d’essayer de trouver un moyen de revigorer le message de justice interespèces et de non-violence de Watson, à l’intention de la nouvelle génération et du monde qui a désespérément besoin d’entendre ce message, la Vegan Society a décidé d’abandonner ce message au profit de l’idée que, si les gens achètent des produits véganes, tout est correct. Et étant donné que tout le monde achète des produits véganes, la Vegan Society peut déclarer la victoire, donner bonne conscience à tous par l’achat de produits véganes, pour ensuite obtenir des dons et des legs de gratitude, car la Société appose son sceau d’approbation sur leur non-véganisme ; sur leur véganisme flexible ; sur leur « consumérisme végane ». Cela est excellent pour les affaires de la Société et idéal pour les consommateurs qui, en faisant un don, peuvent acheter leurs indulgences à l’égard de leur exploitation animale. Les seuls perdants sont les animaux.

Est-il difficile d’éduquer les gens au sujet de la moralité en 2014 ? Oui, ça l’est très certainement. Mais, d’une manière différente, c’était également difficile en 1944, lorsque Donald Watson a essayé de traiter de ces questions, dans un monde qui émergeait tout juste des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, de la montée des dictateurs et des tyrans, et du cauchemar de l’holocauste.

Watson a relevé le défi en 1944. La Vegan Society en 2014 n’en a pas fait autant. En fait, elle a capitulé et déclaré la défaite. La Vegan Society affirme que son message de « consumérisme végane » est le seul moyen d’amener les jeunes à s’intéresser au véganisme, déclarant que

le nombre de « j’aime » sur la page de l’organisme excède maintenant 1 000 par semaine, comparativement à 100 à 200 auparavant.

Mais la page Facebook de l’approche abolitionniste, qui fait la promotion du véganisme comme base morale, atteint presque les 60 000 « j’aime », soit une augmentation d’environ 40 000 dans la dernière année, dont une grande partie (près de 40 %) provient de la tranche d’âge des 18-34 ans. Sans jamais avoir payé pour stimuler l’affluence.

L’idée qu’un message moral fort n’intéresse pas le public en général, ou plus particulièrement les jeunes, est absurde. La Vegan Society vient de décider qu’elle peut faire plus d’argent en jetant le message au rebut et en apposant son sceau d’approbation sur le non-véganisme, le véganisme flexible et le « consumérisme végane ».

Un moment de silence pour Donald Watson. C’est la moindre des choses que nous pouvons faire pour quelqu’un dont la vision progressiste et le message de non-violence ont été trahis et abandonnés.

**********

Si vous n’êtes pas végane, devenez-le s’il vous plait. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients, mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur distingué, membre du conseil d’administration des professeurs, Université de Rutgers

© 2014 Gary L. Francione

*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
Pour en savoir plus : www.orthographe-recommandee.info

ADDENDA, 3 juillet 2014

Dr Matthew Cole, l’un des coauteurs de l’étude parue dans le journal British Journal of Sociology, a déclaré publiquement que l’étude :

ne fournit aucun soutien que ce soit pour arriver aux conclusions que la Vegan Society en a tirées ; cela a été clairement dit à la Vegan Society il y a plusieurs semaines, et ce, dans les termes les plus forts, et leurs incessantes références à cette étude ne sont pas justifiées.

Dr Matthew Cole :

« Suite à la correction de l’article ci-dessus, en tant qu’un des auteurs de l’article rapporté comme faisant partie du processus de changement d’image, je tiens à mettre au clair auprès de la Société que l’article ne soutient d’aucune façon la conclusion que la Vegan Society en a tirée, que cela a été clairement dit à la Vegan Society il y a plusieurs semaines, et cela dans les termes les plus forts, et que leurs incessantes références à cette étude ne sont pas justifiées. La référence complète à l’article est :

Cole, M. & Morgan, K. (2011) ‘Vegaphobia: Derogatory discourses of veganism and the reproduction of speciesism in UK national newspapers’, British Journal of Sociology, 61 (1): 134–153”

ScreenHunter_207 Jul. 03 16.09(Click on image to enlarge.)

ADDENDA, 4 juillet 2014

J’ai publié ce commentaire ici http://goo.gl/RWPXym  :

Je suis végane depuis 32 ans. J’ai écrit pour The Vegan et j’ai été interviewé dans The Vegan dans le cadre d’une série sur l’éthique animale qui incluait Tom Regan, Peter Singer et moi-même. J’éprouve un grand respect pour Donald Watson et sa vision progressiste et j’ai écrit l’entrée sur Watson dans l’encyclopédie culturelle du végétarisme (2010). Malgré cela, en 2011, j’ai été banni du forum de discussion en ligne de la Vegan Society, parce que je me suis opposé au fait que la Société accepte des publicités payées qui font la promotion et l’éloge de restaurants et hôtels non véganes. J’ai écrit à ce sujet ici : http://goo.gl/Xuxjsc

À l’époque, j’avais prédit que la Vegan Society allait bientôt explicitement embrasser et promouvoir une quelconque version du véganisme « flexible ».

Et c’est précisément ce qu’ils ont maintenant fait. La Vegan Society tente de blâmer ceux qui voient le véganisme comme une base morale pour le fait que la Société n’ait pas eu plus de succès à attirer de nouveaux membres. Non, les véganes n’étaient pas le problème. Le problème est que la Société manque de leadeurship* créatif et dynamique depuis un certain temps déjà. Je crois qu’il y avait dans le passé certains membres du personnel qui avaient de bonnes idées, mais celles-ci ont été étouffées par un conseil d’administration plutôt béat et réactionnaire. Ces membres du personnel ne sont plus là. Quoi qu’il en soit, la Société a été complètement incapable de présenter la vision emballante qui motivait Watson, une vision qui est pertinente pour le monde de 2014bet dont nous avons besoin de façon encore plus urgente en 2014 qu’en 1944. Et maintenant, dans une tentative des plus cyniques et désespérée d’obtenir une plus grande part des dons de charité, la Vegan Society a mis en place un leadeurship qui est ouvertement hostile au véganisme en tant que base morale, et elle a complètement abandonné et trahi la vision de Watson. Je constate que le président actuel du Conseil d’administration indique sur sa biographie qu’il a dans le passé travaillé à la RSPCA.

Je suggère que nous prenions un moment de silence pour Donald Watson.

Puis je suggère que ceux parmi nous qui voient le véganisme comme une base morale continuent à promouvoir le message de non-violence et de justice interespèces de Watson. Malheureusement, la Vegan Society ne sera pas un allié dans cet effort.

Gary L. Francione
Professeur distingué, membre du conseil d’administration des professeurs
Université de Rutgers

ADDENDA, 4 juillet 2014

La PDG de la Vegan Society, Jasmin de Boo, a publié une déclaration en réponse à la réaction négative significative que la Vegan Society a reçue suite à son abandon du véganisme comme base morale.

de Boo déclare :

Nous sommes conscients qu’une certaine désinformation circule au sujet de la campagne Love Vegan et nous suivons cela de près — en particulier le slogan de la campagne, qui a parfois été que partiellement cité ou pris hors contexte.

Les slogans de la campagne Love Vegan sont les suivants :

« Vous n’avez pas à être végane pour aimer le rouge à lèvres végane »
« Vous n’avez pas à être végane pour aimer les chaussures véganes. »
« Vous n’avez pas à être végane pour aimer la crème glacée végétalienne. »

Nous savons que nous devons être inclusifs et ne pas juger si nous voulons encourager et soutenir un grand nombre de gens à devenir et végane et le rester.

Par végane, nous entendons végane tel que défini par nos membres fondateurs, il y a 70 ans cette année. Nous n’avons jamais fait campagne, et jamais nous ne le ferons, pour le « véganisme à temps partiel » comme mode de vie permanent, mais seulement comme faisant partie d’un parcours excitant vers le véganisme à 100 %. Nous savons par expérience que cela rend le concept plus accessible à tout le monde — et je suis certaine que vous serez d’accord que chaque pas vers le véganisme, si petit soit-il, fait une différence.

de Boo est simplement en train de confirmer exactement ce qui nous préoccupe tous.

  1. La Vegan Society dit vouloir être « inclusive et sans jugement ». Comment peut-on chercher à mettre fin à l’exploitation animale — ou à toute violation fondamentale des droits — d’une manière « inclusive et sans jugement » ? On ne peut prendre la position que « X est moralement juste » sans prendre la position que « non X est moralement répréhensible. » Le jugement est l’essence de la moralité. Dans cette déclaration, la Vegan Society affirme qu’elle rejette le véganisme comme un principe moral de base.
  2. Le slogan « Vous n’avez pas à être végane » ne change pas si vous dites que « Vous n’avez pas à être végane pour aimer le rouge à lèvres végane ». Voilà le problème. La Vegan Society réduit le principe moral qu’est le véganisme à ce que la Société a baptisé « consumérisme végane ».
  3. Personne n’a jamais consommé ou ne consommera que des produits d’origine animale. Tout le monde consomme des produits véganes au moins à l’occasion. Alors en quoi le fait que quelqu’un achète une paire de chaussures véganes le conduirait-il à devenir végane, en particulier lorsque la Vegan Society a décidé qu’elle ne ferait pas la promotion du véganisme comme une base morale ? Comment le « consumérisme végane » nous conduira-t-il au véganisme ? À quel « parcours » de Boo fait-elle référence ? Dire que cette campagne est extrêmement ridicule est la chose la plus positive qui peut être dite à son sujet.
  4. Dire que la Vegan Society actuelle a quoi que ce soit à voir avec celle que Donald Watson a fondée en 1944 est injuste envers la mémoire de Watson et c’est de la pure fantaisie. La Société embrasse le relativisme moral. Le problème est qu’il y a une chose que nous pouvons dire avec une certitude absolue : Donald Watson n’était pas un relativiste moral et la Vegan Society de 1944 n’était pas basée sur le relativisme moral.
  5. Il est intéressant que de Boo dise que nous devons être « sans jugement », alors que la Société a, tout au long de la discussion en ligne à propos de cette question, caractérisé les véganes qui font la promotion du véganisme comme base morale de toutes sortes de façons ad hominem.

de Boo déclare :

Étant donné que nous ne recevons aucun financement de la part du gouvernement, la grande majorité de nos revenus provient de notre système de certification de produits véganes. Le fait d’avoir un plus grand nombre de produits certifiés véganes par la Vegan Society accomplit trois choses : cela donne aux gens plus de confiance lors de l’achat de produits véganes, cela montre aux entreprises et aux détaillants que la part de marché des produits véganes est en croissance, et cela finance les activités de bienfaisance de la Vegan Society.

de Boo confirme explicitement ce que beaucoup d’entre nous soupçonnaient à propos de la nouvelle campagne : que le but est d’obtenir de la part des fabricants de produits non véganes qu’ils paient la Vegan Society afin d’obtenir un sceau d’approbation pour certains articles véganes qu’ils ont peut-être. Et la Vegan Society rassure ces fabricants qu’ils ne font pas la promotion du véganisme ; ils font simplement la promotion de produits véganes.

En réponse aux objections que les animaux sont mentionnés comme une raison de devenir végane après la santé, l’environnement et le développement économique, de Boo déclare :

Les sous-titres de la page de notre site « Pourquoi végane ? » ne sont délibérément pas numérotés, mais nous comprenons certaines des préoccupations qui ont été soulevées à propos de cette page. Le nouveau site est encore en cours de construction et nous savons que quelques-unes des pages ont encore besoin de révision.

Donc, la Vegan Society a dépensé 6 000 £ sur le « changement d’image », a fait toute cette « recherche » et tenu tous ces groupes de discussion, mais ils ont simplement oublié d’apporter les correctifs au site avant le lancement ?

Voyons donc.

Dans l’article même qui traite du lancement, nous trouvons la déclaration suivante :

Plutôt que d’exister uniquement pour informer et aider les individus à devenir véganes, la Vegan Society veut maintenant s’engager avec les décideurs politiques à un niveau supérieur et au sujet d’un éventail plus large de questions, telles que le développement international et le changement climatique.

La Société a décidé délibérément de ne plus mettre l’accent sur les animaux. Ce n’est pas une question d’avoir négligé de peaufiner le site internet.

Et cette décision de ne plus mettre l’accent sur les animaux est d’autant plus remarquable qu’il y a seulement quelques mois, de Boo reconnaissait :

Des statistiques tirées d’un sondage effectué auprès des membres de la Vegan Society, que certains d’entre vous ont peut-être rempli il y a quelques années, ont révélé que plus de 80 % de nos membres sont véganes pour les animaux. La plupart des Britanniques, qui s’inscrivent actuellement à notre défi végane [N. D. T. Traduction de Vegan Pledge, qui est un engagement à se nourrir de nourriture végane durant 30 jours.], disent la même chose. La compassion pour les animaux est une motivation clé à devenir végane pour les animaux et à le demeurer. C’est important que nous embrassions cela d’une manière positive.

Quatre-vingts pour cent des membres le sont pour les animaux. Et la Vegan Society décide d’abandonner la notion de véganisme comme une base morale et d’opter pour le « consumérisme végane », le développement international et le changement climatique ?

C’est à couper le souffle.

de Boo déclare :

Comme toujours, nous sommes ouverts à toutes suggestions pratiques et positives relatives à notre travail comme organisme de bienfaisance, et nous accueillons le dialogue poli et constructif sur notre page Facebook.

Nous acceptons de devoir nous assurer que nos communications sont tout aussi respectueuses ; et comme mentionné ci-dessus, nous prendrons des mesures, effectives immédiatement, afin de veiller à ce que les commentaires faits sur Facebook au nom de la Vegan Society soient respectueux et amicaux en tout temps.

Les réponses qui ont été publiées sur Facebook au nom de la Vegan Society, relativement à cette nouvelle campagne, ont été tout sauf « respectueuses ». En effet, ceux qui sont en désaccord avec la nouvelle direction de la Vegan Society ont carrément reçu des insultes.

de Boo doit assumer la responsabilité pour cela et ne pas jeter ses employés sous le bus. Elle doit reconnaitre que le refus de s’engager dans une critique légitime est une politique de la Vegan Society qui remonte jusqu’en haut.

En 2011, quand j’ai soulevé le fait que de la Société acceptait des publicités payées faisant la promotion et l’éloge de restaurants non véganes, j’étais parfaitement « poli et constructif ». En effet, j’ai pris le temps d’écrire une longue note pour discuter du problème d’une manière des plus constructives. On m’a remercié d’avoir soulevé une « question raisonnable » et on m’a dit que le conseil d’administration prenait en considération mes préoccupations. Et puis, sans la moindre explication, j’ai été banni du forum de discussion en ligne. Jamais je n’ai reçu une réponse à mes préoccupations sur la question de la publicité non végane. Le 2 octobre 2013, j’ai écrit une note parfaitement polie à la PDG de Boo pour demander comment le Conseil avait décidé de régler la question.

Je n’ai jamais reçu un accusé de réception ni une réponse.

de Boo demande :

Pourquoi les gens disent-ils que la Vegan Society a « renié ses principes » ?

Parce que c’est ce qu’elle a fait.

GLF

ADDENDA, ajouté le 6 aout 2014 :

La Vegan Society a publié cette déclaration à ses mentors du défi végane (cliquer ici pour la traduction française de la lettre) :

Douglas statement

(Cliquer pour agrandir.)

J’ai plusieurs commentaires à formuler :

Premièrement, la Vegan Society a tort de prétendre qu’il y a eu une « mauvaise interprétation délibérée de [leur] campagne Love Vegan ».

« L’ambassadrice » de la Vegan Society, Fiona Oakes, a déclaré sur la BBC Radio que le véganisme n’est pas « pour tout le monde » et « probablement pas pour beaucoup de gens », puis a défendu ces déclarations en qualifiant ceux qui favorisent le véganisme comme une base morale de « cinglés fondamentalistes ».

« L’ambassadrice » Oakes a affirmé que la promotion du véganisme comme une base morale « cause du tort » aux animaux.

Et, comme l’a démontré l’essai ci-dessus, tout ce changement d’image par la Vegan Society est un rejet explicite du véganisme en tant qu’impératif moral.

Si une « mauvaise interprétation délibérée » a lieu, c’est de la part de la Vegan Society, qui rejette le véganisme pour épouser une forme plus souple de « véganisme flexible », en espérant que le reste d’entre nous ne le remarque pas.

Nous l’avons remarqué.

Deuxièmement, l’affirmation selon laquelle leurs « buts et objectifs restent les mêmes que ceux de [leurs] fondateurs il y a 70 ans » est plus qu’absurde et totalement irrespectueuse envers la mémoire de Donald Watson.

Troisièmement, il est troublant de constater que la Vegan Society demande aux gens de ne pas critiquer publiquement sa position.

GLF

*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
Pour en savoir plus : www.orthographe-recommandee.info

Les animaux ont besoin de vous !

Essai original en version anglaise publié le 15 avril 2016.

Changer le paradigme des animaux en tant que biens, vers celui de personnes non humaines possédant une valeur intrinsèque, nécessite un mouvement populaire composé de gens qui sont des éducateurs instruits — des personnes qui comprennent les arguments pour le véganisme et peuvent en discuter calmement, dans un langage simple, avec les autres personnes avec lesquelles elles interagissent dans leur vie de tous les jours. Nous avons besoin de personnes en mesure d’expliquer aux autres les raisons pour lesquelles l’exploitation « heureuse », le réductionnisme [N. D. T. Traduction de reducetarian, qui est une approche encourageant une simple réduction de la consommation de produits d’origine animale, en particulier la viande.]  et d’autres approches spécistes, ne sont pas la solution et font, en fait, partie du problème.

Il existe toutes sortes de façons de faire la promotion du véganisme de façon créative et non violente. Mais, en fin de compte, l’élément le plus important d’un mouvement populaire en faveur des animaux est l’individu — VOUS ! — qui communique avec d’autres individus.

Si, dans la prochaine année, chacun d’entre nous convainc une autre personne de devenir végane et que cela se répète pendant un certain nombre d’années, il faudrait environ 12 ans pour que les États-Unis deviennent véganes et environ 9 ans pour le Royaume-Uni.

Chacun d’entre nous peut être un agent efficace de changement. Cela ne coute* rien de s’instruire. En effet, l’un des principaux objectifs de ce site et de notre page Facebook est de vous fournir des ressources éducatives gratuites.

L’alternative est de soutenir les organismes de bienfaisance pour les animaux, débordant d’argent, qui ne font que trahir les intérêts des animaux en rendant les gens plus à l’aise avec l’exploitation animale en échange d’un don.

**********

Si vous n’êtes pas végane, devenez-le s’il vous plait. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients, mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Si les animaux ont une valeur morale, le véganisme n’est pas une option — c’est une nécessité. Tout ce qui prétend être un mouvement en faveur des droits des animaux se doit d’être clair sur le fait que le véganisme est un impératif moral.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Apprenez-en plus sur le véganisme ici : www.HowDoIGoVegan.com.

Gary L. Francione
Professeur distingué, membre du conseil d’administration des professeurs, Université de Rutgers

Anna Charlton
Professeur adjointe, Université de Rutgers

© 2016 Gary L. Francione et Anna Charlton

*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
Pour en savoir plus : www.orthographe-recommandee.info

Message adressé à la Vegan Society : c’est une question de justice

Essai original en version anglaise publié le 28 juin 2014.

Suite à son rejet explicite du véganisme comme un principe moral de base, comme représenté dans sa campagne « vous n’avez pas à être végane », la Vegan Society a évidemment reçu une réaction critique significative.

Depuis un moment déjà, la Vegan Society va dans la mauvaise direction. En 2011, la Society m’a banni pour avoir promu le véganisme, après que j’aie lancé une discussion, que vous pouvez lire ici.

De toute façon, voici leur dernière tentative infructueuse pour justifier la nouvelle campagne : une déclaration datant de 1952 de Muriel E. Drake, à l’époque vice-présidente de la VS, dans laquelle elle qualifie le véganisme de « nouveau mode de vie » et la décision de devenir végane de « considérable », et déclare que nous devrions « porter les idées relatives au véganisme à l’attention des autres… mais nous n’avons aucun droit de chercher à prendre la décision pour eux ».

DrakeCliquer pour agrandir.

[Traduction de la déclaration de Muriel E. Drake]

« C’est une erreur d’essayer de persuader les autres de devenir végane avant qu’ils ne soient préparés à faire un pas aussi considérable. Ce que nous pouvons faire, qui est justifiable, c’est de porter les idées relatives au véganisme à l’attention des autres, de sorte qu’ils puissent voir de quoi il s’agit, mais nous n’avons aucun droit de chercher à décider pour eux — la décision d’adopter ce nouveau mode de vie doit venir d’eux, et s’ils ne sont pas prêts, ou qu’ils ne sont pas disposés à faire certains sacrifices, il est de loin préférable pour eux d’attendre que quelque chose change au plus profond de leurs êtres. »

– Muriel E. Drake, Vice-présidente, The Vegan Society
Vegetarian News (journal of the London Vegetarian Society), p.50, Summer 1952
—–

D’abord, cela fait 62 ans que Drake a fait ces commentaires. Le véganisme était alors une idée relativement nouvelle, particulièrement dans l’Ouest. Comme l’était l’égalité raciale. Comme l’était l’égalité des femmes. Et alors ? Nous sommes maintenant en 2014.

Ensuite, personne ne conteste que nous ne puissions pas décider pour les autres. Les gens doivent se forger leur propre opinion. Et voilà précisément la raison pour laquelle nous devons être clairs comme du cristal comme quoi le véganisme est la base morale, car c’est la seule réponse rationnelle à la reconnaissance de la valeur intrinsèque des autres animaux.

Nous devons être clairs comme du cristal comme quoi le véganisme est une question de justice fondamentale.

La Vegan Society pense que notre incapacité à décider pour les autres signifie que nous ne devrions pas promouvoir le véganisme comme un principe moral fondamental.

Cela est complètement faux et nous pouvons le constater en regardant la chose dans un contexte humain.

Nous ne pouvons décider pour les autres à propos de l’égalité des femmes. Est-ce que cela veut dire que nous devrions caractériser leur égalité comme une décision « considérable » à propos de laquelle nous ne pouvons prendre une position morale claire, solide et sans équivoque ? Est-ce que notre incapacité à décider pour les autres signifie que nous ne devrions pas être clairs comme du cristal comme quoi le patriarcat est fondamentalement répréhensible d’un point de vue moral ?

Bien sûr que non.

Nous ne pouvons décider pour les autres à propos du véganisme ni à propos d’aucune question morale. Mais cela ne signifie pas que les principes moraux fondamentaux cessent de l’être ou que nous ne sommes pas dans l’obligation d’être clairs comme du cristal au sujet de ces questions morales. Au contraire. Notre obligation d’être clairs est elle-même claire, et est encore plus nécessaire — non pas moins — dans la mesure où la discrimination est omniprésente. En 1944, dans la première lettre de la Vegan Society, Donald Watson, fondateur de la société en 1944, écrit :

Une critique commune est que le temps n’est pas encore mûr pour notre réforme. Le temps ne peut-il jamais être mûr pour quelque réforme que ce soit, sans avoir été muri* par la détermination humaine ? Est-ce que Wilberforce a attendu le « murissement » du temps avant de commencer sa lutte contre l’esclavage ? Est-ce que Edwin Chadwick, Lord Shaftesbury et Charles Kingsley ont attendu un tel moment inexistant, avant d’essayer de convaincre le grand poids mort de l’opinion publique que l’eau potable et les salles de bains constitueraient une amélioration ? S’ils avaient annoncé leur intention d’empoisonner tout le monde, l’opposition qu’ils ont rencontrée aurait difficilement pu être plus forte. En laissant à la postérité la réalisation de nos idéaux, il y a un danger évident, car la postérité pourrait ne pas avoir nos idéaux. L’évolution peut être rétrograde ainsi bien que progressive ; en effet, il semble toujours y avoir une forte gravitation dans la mauvaise direction, à moins que les normes existantes ne soient protégées et que les nouvelles visions ne soient honorées.

Lisez ces mots. Réfléchissez-y.

Soixante-dix ans plus tard, la Vegan Society déclare : « Vous n’avez pas à être végane pour aimer des choses véganes », et elle encourage le relativisme moral de façon transparente — tout est une question de choix facultatif — et soutient l’idée que nous ne devrions pas promouvoir le véganisme comme un principe moral fondamental.

Voilà un exemple très clair d’un déplacement vers l’arrière ; c’est exactement ce à quoi Watson faisait allusion lorsqu’il a déclaré que le changement peut être « rétrograde ».

Nous sommes en 2014. Devenir végane est facile. C’est préférable pour la santé humaine ainsi que pour la santé de la planète, de laquelle toute vie dépend.

Mais le plus important est que, d’un point de vue moral,  c’est la bonne chose à faire. C’est ce que nous devons aux autres animaux. Le véganisme est une question de justice.

**********

Si vous n’êtes pas végane, devenez-le s’il vous plait. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients, mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur distingué, membre du conseil d’administration des professeurs, Université de Rutgers

© 2014 Gary L. Francione

*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
Pour en savoir plus : www.orthographe-recommandee.info

ADDENDUM

À titre d’information, j’ajoute ce texte d’une publication sur Facebook que j’ai écrit le 16 mai 2014 :

UN MOMENT DE SILENCE À LA MÉMOIRE DE DONALD WATSON (1910-2005), FONDATEUR DE LA VEGAN SOCIETY EN 1944

La Vegan Society a récemment décidé de désavouer explicitement l’idée du véganisme comme un impératif moral.

Dans cet essai, le « PDG » Jasmijn de Boo explique pourquoi ici.

Selon le PDG de Boo : « la recherche montre que les jeunes ne veulent pas qu’on leur fasse la leçon ou qu’on les culpabilise au sujet de questions, ils veulent plutôt la liberté de choisir pour eux-mêmes, arriver à leurs propres conclusions et atteindre ce moment de réalisation ».

Mais le but de la promotion du véganisme non violente n’est pas de faire la leçon ou de « culpabiliser » qui que ce soit.

Au contraire.

Il s’agit d’aider les gens, de manière constructive et bienveillante, à mettre en pratique une idée en laquelle la plupart d’entre eux croient déjà : à savoir que les animaux ont une valeur morale et que nous avons des obligations morales directement envers eux que nous sommes tenus de suivre.

C’est une reconnaissance que notre souci moral concernant les animaux doive être mis en application tout au long de notre vie, non pas seulement dans les moments sporadiques où ça nous fait du bien, ou que cela est en accord avec quelque concept superficiel de « style de vie. »

Le PDG de Boo suppose faussement qu’on doit choisir entre « culpabiliser » les gens ou promouvoir une version plus souple de « véganisme flexible. » Ce ne sont pas les seuls choix, sauf si, bien sûr, nous voulons défendre le markéting d’une approche « flexitarienne », qui est manifestement ce qu’a choisi de faire la « nouvelle » Vegan Society.

Imaginez où en serait le mouvement des droits civils si nous avions décidé qu’une « étude » de marché avait montré que les gens n’aiment pas qu’on les « culpabilise » au sujet du racisme ; ainsi, nous aurons plutôt fait la promotion d’une campagne « traitez gentiment une personne de couleur, lorsque cela vous plait* ».

Le PDG de Boo adopte explicitement le langage du mouvement de « l’exploitation heureuse », en affirmant que beaucoup de gens ne deviendront pas véganes du « jour au lendemain ». Eh bien, ce n’est pas surprenant, surtout considérant qu’aucun des grands organismes animaliers de bienfaisance — et maintenant la Vegan Society — ne promeut le véganisme comme un impératif moral, qui nait d’un engagement moral cohérent avec la justice et la non-violence, qui, soit dit en passant, est explicitement ce que Donald Watson promouvait.

Mais la question n’est pas si quelqu’un fait quoi que ce soit « du jour au lendemain » ou non. La question est  si la Vegan Society doit promouvoir un message moral clair comme quoi le véganisme — qu’on devienne végane du « jour au lendemain » ou pas — est la seule réponse rationnelle à l’idée que la plupart des gens acceptent déjà : que les animaux comptent moralement. La Vegan Society dit qu’elle ne promouvra pas cette idée, optant plutôt pour une célébration du non-véganisme.

Le PDG de Boo écrit : « Tout le monde est maintenant libre d’embrasser le véganisme, non seulement ceux qui sont déjà véganes, mais ceux qui y songent et qui veulent commencer à intégrer plus de plats végétaliens dans leur alimentation, ou remplacer leurs chaussures en cuir par des versions véganes ». Voilà une version du « véganisme flexible », encore plus souple que quelque chose du genre « végane avant 18 h », qui bien qu’étant insensé, encourage à tout le moins à ne pas consommer les animaux pendant une partie de la journée.

La Vegan Society, sous la direction du PDG de Boo, a rejoint les autres organismes de bienfaisance, qui ont abandonné l’idée qu’il existe des principes moraux significatifs que nous sommes obligés de respecter. Mais ce que ces organismes de charité ne semblent pas comprendre est qu’on ne peut effectuer un changement de paradigmes moraux en rejetant l’idée que les principes moraux importent.

En 1944, Donald Watson a écrit :

« Nous pouvons voir très clairement que notre civilisation actuelle est construite sur l’exploitation des animaux, tout comme les civilisations passées ont été construites sur l’exploitation des esclaves, et nous croyons que le destin spirituel de l’homme est tel que le temps viendra où il verra avec horreur l’idée que les hommes se nourrissaient jadis de produits issus du corps des animaux. . . .  Une critique commune est que le temps n’est pas encore mûr pour notre réforme. Le temps ne peut-il jamais être mûr pour quelque réforme que ce soit, sans avoir été muri par la détermination humaine ? Est-ce que Wilberforce a attendu le “murissement” du temps avant de commencer sa lutte contre l’esclavage ? »

En 2014, le PDG de Boo écrit : « Notre rôle n’est pas de dire aux gens quoi faire ou comment vivre leur vie. Nous donnons aux gens le choix et la chance de se joindre à nous. Nous sommes là pour soutenir quiconque se dirige vers un mode de vie plus éthique et durable. Ce n’est pas tout ou rien. L’idée est de démarrer une conversation ou semer une graine. »

Soixante-dix ans séparent Watson et le PDG de Boo. Le mot « progrès » ne vient pas à l’esprit.

La Vegan Society vient de se greffer au mouvement de l’« exploitation heureuse »/« flexitarien ».

S’il vous plait : un moment de silence à la mémoire de Donald Watson.

Gary L. Francione

*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
Pour en savoir plus : www.orthographe-recommandee.info

Le bienêtre des animaux et l’économie : quelques commentaires en bref

Essai original en version anglaise publié le 27 juin 2014.

Certains welfaristes [N. D. T. De l’anglais welfarist, qui désigne une personne en faveur de la règlementation et/ou des réformes visant l’amélioration du bienêtre des animaux.] disent que la réforme du bienêtre* aidera les animaux, car elle provoquera une hausse des prix et une diminution de la demande.

Cette position démontre que les welfaristes ne comprennent pas comment fonctionne l’économie de l’agriculture animale et des mesures de réforme du bienêtre.

Étant donné que la plupart des campagnes de réforme visent des inefficacités dans le processus de production, beaucoup de ces réformes ont pour effet de réduire les couts de production en améliorant l’efficacité.

Si, pour une raison quelconque, il y a ultimement une hausse des prix, cette hausse n’aura en général pas d’incidence sur la demande, car la demande pour les produits d’origine animale est souvent inélastique — à l’intérieur d’une certaine échelle, la demande est peu sensible au changement de prix — et généralement la hausse des prix n’entraine pas de dépassement hors de cette échelle.

De plus, si le prix d’un produit d’origine animale augmente, cela ne signifie pas que les consommateurs vont devenir véganes pour autant. Loin de là. En général, lorsqu’une personne ne peut se permettre d’acheter du bœuf, elle achète plutôt de l’agneau, du porc ou encore du poulet. Si une personne n’a pas les moyens d’acheter du poulet, elle se tourne vers le pâté au poulet ou vers une quelconque viande transformée moins dispendieuse.

Au bout du compte, le mieux que les welfaristes peuvent accomplir est d’aider l’industrie dans la création de marchés de niche. C’est le cas avec la viande heureuse de Whole Foods et son « classement du bienêtre animal en 5 niveaux », qui permet aux gens bien nantis, moyennant un prix plus élevé, d’obtenir le sceau d’approbation de groupes animaliers, en gage et louange de leur « appréciation et soutien » envers Whole Foods. (Cliquer ici pour la traduction française de la lettre):

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Parce qu’au cours des dernières années la consommation de viande aux États-Unis a chuté, les welfaristes crient victoire. Ils affirment que cette diminution est le résultat des campagnes d’amélioration du bienêtre des animaux. Il n’y a aucune preuve de ce qu’ils avancent, et une explication beaucoup plus probable est que les prix de la viande sont demeurés stables, ou ont même augmenté, et la crise économique affecte la capacité des consommateurs à acheter les types de viande mesurés par ces sondages. De plus, il y a une préoccupation de plus en plus grande au sujet des préjudices sur la santé que causent les aliments d’origine animale.

**********

Si vous n’êtes pas végane, devenez-le s’il vous plait. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients, mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur distingué, membre du conseil d’administration des professeurs, Université de Rutgers

© 2014 Gary L. Francione

*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
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Lundi : votre choix

Essai original en version anglaise publié le 30 juin 2014.

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Ou

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Nous entendons continuellement les welfaristes [N. D. T. De l’anglais welfarist, qui désigne une personne en faveur de la règlementation et/ou des réformes visant l’amélioration du bienêtre des animaux.] dirent que la plupart des personnes qui deviennent véganes ont d’abord été végétariennes, alors nous devons promouvoir le végétarisme.

C’est complètement insensé. Il n’y a aucune preuve empirique qui établisse un lien causal entre quelque situation non végane que ce soit et le véganisme.

Dans la mesure où, avant de devenir véganes, les gens deviennent végétariens ou encore mangent de la viande ou des œufs « heureux », ou qu’importe avant de devenir véganes, est-ce surprenant ?

Les groupes animalistes font tous la promotion du végétarisme et de l’exploitation « heureuse ». Pas un seul ne fait la promotion, sans équivoque, du véganisme comme base morale.

C’est notre responsabilité d’être clairs que, si les animaux comptent moralement, nous sommes dans l’obligation de devenir végane. Si quelqu’un se soucie des animaux, mais veut faire moins que d’être végane, cela devrait être son choix et jamais ce que nous promouvons.

Dire aux gens que le végétarisme, la viande « heureuse », les « lundis sans viande », être « végane avant 18 h » ou le « véganisme flexible », sont moralement acceptables, ne va que retarder le progrès et non pas nous y conduire.

**********

Si vous n’êtes pas végane, devenez-le s’il vous plait. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients, mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur distingué, membre du conseil d’administration des professeurs, Université de Rutgers

© 2014 Gary L. Francione

Remise en cause de la prétendue paternité de Peter Singer

Essai original en version anglaise publié le 18 février 2016.

Au départ, Peter Singer s’est fait connaitre* en popularisant les idées du philosophe utilitariste Jeremy Bentham, qui disait que, tout comme la race ne devrait pas être utilisée pour exclure les humains de la communauté morale afin de justifier leur esclavage, l’espèce ne devrait pas servir à justifier l’utilisation des animaux comme commodités. Singer a emprunté le terme « spécisme » au psychologue Richard Ryder, pour argüer que l’utilisation de l’espèce pour réduire et ignorer les intérêts des animaux non humains n’était en rien différente de l’utilisation de la race, du sexe ou l’orientation sexuelle pour justifier la discrimination envers certains groupes d’humains. Ainsi, la place de Singer en tant que « père du mouvement pour les droits des animaux » fut dès lors assurée. Gary Varner fait référence à Singer comme « [l]e véritable Moïse du mouvement pour les droits des animaux » (Varner, Personhood, Ethics, and Animal Cognition, 2012, p. 133).

Mais, mérite-t-il ce titre ? Et est-ce que Singer rejette vraiment le spécisme, ou ne fait-il qu’en promouvoir une version différente ?

À l’instar de Bentham, Singer est un utilitariste. Il maintient que ce sont les conséquences qui déterminent ce qui, moralement, est bien ou mal. Parce que les droits requièrent que certains intérêts soient protégés, et cela sans tenir compte des conséquences — un humain ne peut être utilisé comme sujet biomédical sans son consentement, même si cela avait des avantages importants — les utilitaristes, incluant Bentham et Singer, rejettent catégoriquement le concept de droits. Singer rejette catégoriquement l’idée des droits des animaux. Il soutient qu’il n’utilise la notion de « droits des animaux » que comme rhétorique ; Singer est très clair sur le fait qu’ultimement, il partage la vision de Bentham, selon laquelle les droits ne sont rien d’autre qu’un « ramassis de non-sens ». Mais, dire que le statut de Singer comme père des droits des animaux est simplement une affaire de « rhétorique » est plutôt étrange lorsque nous parlons d’un mouvement en faveur des droits. Après tout, comme de par sa nature la notion de droit est un concept légal et moral, on ne peut la réduire à une simple rhétorique.

Une réponse possible est que Singer rejette les droits des humains aussi bien que ceux des animaux, alors, il est à tout le moins conséquent. Oui et non. En effet, Singer rejette également les droits moraux des humains. Mais, il y a un hic. Même s’il rejette la notion de droits catégoriques, il insiste pour dire que, de façon générale, les humains sont moralement supérieurs aux non humains. Il considère que les humains, ou du moins ceux qui sont « normaux » ont une conscience de soi et de leur continuité et que, par conséquent, ils ont un intérêt à continuer d’exister. Ces caractéristiques vont à l’encontre de l’utilisation de ces humains comme des ressources remplaçables, servant exclusivement à satisfaire les besoins et désirs d’autrui.

Cette présomption est réfutable, bien sûr, dans le sens où elle peut être outrepassée si des considérations utilitaristes le justifient. Si, par exemple, utiliser un humain comme sujet non consentent d’une expérience biomédicale aurait pour résultat de sauver la vie de millions de gens, toute chose étant égale par ailleurs, Singer aurait de la difficulté à argumenter, en tant qu’utilitariste, contre l’utilisation de cet humain (c’est là précisément le genre d’utilisation que les militants en faveur des droits cherchent à prévenir). Mais autrement, la présomption de Singer fonctionne de façon semblable à un droit — elle protège les intérêts des humains à ne pas être utilisés exclusivement comme ressources, dans tous les cas où la balance des conséquences penche de façon claire et significative.

Voici maintenant où la prétention de Singer, selon laquelle il rejette le spécisme, devient problématique.

Singer croit que les animaux non humains n’ont pas le même intérêt que les humains « normaux » à poursuivre leur existence. Selon Singer, « les humains normaux ont un intérêt à continuer à vivre qui diffère des intérêts des animaux non humains » (New York Times, The Stone, 27 mai 2015). Cela est en raison du fait que les êtres ayant une conscience d’eux-mêmes à travers le temps, ainsi que la capacité de planifier le futur, ont un intérêt à vivre plus grand que les êtres qui ne possèdent pas cette conscience. Et Singer croit que même si les animaux, ou certains animaux ont une certaine conscience de soi, « ils ne sont pas conscients d’eux-mêmes au même niveau que les humains » (Singer, Practical Ethics, 3d ed. 2011, p. 122). Singer fait donc une distinction qualitative entre les humains et les non humains, qui l’amène à conclure qu’il y a une différence morale entre les humains et les non humains. En effet, Singer établit une hiérarchie morale dans laquelle les humains « normaux » occupent une catégorie supérieure à celle des animaux non humains.

Du point de vue de Singer, les non humains n’ont aucun intérêt à ne pas être utilisés comme ressources remplaçables. Singer croit que « un être ayant la capacité de penser à lui-même comme existant à travers le temps, et ainsi planifier sa vie et travailler en fonction d’accomplissements futurs, a un plus grand intérêt à continuer de vivre qu’un être qui ne possède pas cette capacité » (New York Times, The Stone, 27 mai 2015). Selon Singer, pour un humain, la perte de sa vie signifie la souffrance causée par la perte de toutes les opportunités de satisfaction futures qu’il est en mesure de contempler. En comparaison, la perte de sa vie, pour un non humain, se résume essentiellement à s’endormir et ne plus se réveiller — on ne peut dire d’un animal qu’il « perd » quoi que ce soit en mourant, car il n’a aucun accès conceptuel ou linguistique à son futur.

Pour Singer, cela se traduit par la vision que la vie des animaux non humains est de moindre importance, du point de vue moral, que la vie des animaux humains. Contrairement aux humains, les non humains peuvent être utilisés comme ressources, alors que les humains « normaux » possèdent un statut qui, bien que Singer le nie, est inséparable de la notion de dignité inhérente que les militants pour les droits attribuent aux êtres humains. Ce privilège qu’accorde Singer aux humains l’amène à faire des commentaires tels que : « Des millions de poulets sont tués chaque jour. Je ne puis voir cela comme une tragédie au même niveau que s’il s’agissait de millions d’humains tués. Quelle est la différence avec les humains ? Ceux-ci sont des êtres qui regardent vers l’avenir, et qui ont des désirs et espoirs face au futur. Cela semble une réponse plausible à la question : pourquoi est-ce si tragique lorsque ce sont des humains qui meurent? » (Indystar, 8 mars 2009)

Comment cela n’est-il donc pas du spécisme ?

La réponse de Singer est que le spécisme implique de traiter les intérêts des non humains différemment de la façon dont nous traiterions des intérêts similaires chez les humains. Selon Singer, les animaux n’ont pas d’intérêt à ce qu’on ne les utilise pas comme ressources remplaçables, car ils n’ont aucune conscience de soi. Et même s’ils étaient conscients d’eux-mêmes, leur conscience de soi est, selon Singer, qualitativement inférieure à la conscience de soi qu’ont les humains normaux. Le fait de les traiter comme ressources remplaçables ne pose alors pas un problème de spécisme, car il n’y a pas d’intérêts similaires en cause — les humains ont un intérêt à continuer leur existence, tandis que les non humains n’en ont pas. Il n’y a tout simplement ici aucun privilège arbitraire accordé aux êtres humains.

Selon Singer, les animaux ne sont pas indifférents à la façon dont nous les utilisons ou les tuons, mais ils ne se soucient pas qu’on les utilise et les tue. Parce que les animaux n’ont pas de conscience de soi, « ce n’est pas simple d’arriver à expliquer comment la perte pour l’animal tué n’est pas… rendue acceptable par la mise au monde d’un nouvel animal qui vivra une vie tout aussi plaisante » (Singer, Animal Liberation, rev. 1990, p. 229). Les animaux sont complètement indifférents à leur futur, car ils n’ont pas de notion conceptuelle de celui-ci ; les seules préoccupations d’un animal sont les circonstances immédiates. Par conséquent, si par exemple, un animal est pris dans une trappe et souffre, il voudra certainement s’en sortir et souhaitera que la douleur cesse, mais survivre et vivre un jour de plus est sans intérêt pour lui.

II

Pourquoi quiconque croirait qu’une vache, un cochon, une poule ou un poisson ne se soucie pas qu’on l’utilise et le tue, et que sa seule préoccupation est la façon dont on l’utilise ou le tue ? Lorsque l’un de nos chiens ou nos chats est malade, pensons-nous qu’en mourant, il ne perdra rien, car de toute façon, il n’a aucun intérêt à continuer de vivre ? Nous avançons l’hypothèse que la plupart d’entre nous estiment que l’idée selon laquelle les animaux n’ont aucun intérêt à continuer leur existence est absurde, et que la plupart d’entre nous considèrent indisputable que le fait de tuer les animaux — de quelque manière « humaine » que ce soi — leur cause du mal.

Alors, comment Singer justifie-t-il une conclusion contraire?

La réponse réside dans les travaux de Bentham. Au sujet de divers problèmes, Singer est l’adepte moderne de Bentham, et à propos de cette question, Singer et Bentham se trouvent côte à côte. Avant le 19e siècle, les animaux étaient exclus de la communauté morale. On les considérait comme inférieurs aux humains au point de vue cognitif, en se basant sur le fait qu’ils ne peuvent raisonner, utiliser des concepts abstraits ou communiquer de façon symbolique. Bentham argüait que nous ne pouvons pas utiliser les différences cognitives pour justifier l’exclusion des animaux de la communauté morale. La seule caractéristique qui était requise pour faire partie de la communauté morale était la capacité de souffrir. Si un animal peut souffrir, nous ne pouvons, sur la base de l’espèce seule, ignorer ou ne pas tenir compte de sa souffrance.

Mais cela signifiait-il que Bentham croyait que les caractéristiques cognitives n’avaient aucune importance? Non. Bentham pensait au contraire que, bien que la supposée infériorité cognitive des animaux ne signifie pas que nous puissions les utiliser à notre guise pour n’importe quel usage, et les traiter de quelques manières que nous voulons, cela signifie tout de même qu’ils n’ont aucune conscience d’eux-mêmes. Et cela voulait donc dire que nous pouvons continuer de les utiliser et les tuer — au moins pour la nourriture — du moment que nous accordions une considération appropriée à leur intérêt à ne pas souffrir.

Bentham s’opposait à l’esclavage humain, mais il n’avait aucune objection à l’institution des animaux comme propriété, car il ne voyait pas les humains et les non humains comme se situant au même niveau : les premiers sont conscients d’eux-mêmes alors que les derniers ne le sont pas. Singer est d’accord avec Bentham : les animaux n’ont aucune conscience de soi. Ainsi, toute chose étant égale par ailleurs, il est acceptable de les utiliser de certaines façons dont nous n’utiliserions pas les humains (du moins pas la plupart d’entre eux).

III

Nous trouvons plutôt étrange cette idée selon laquelle les animaux ne sont pas conscients d’eux-mêmes, et que, toute chose étant égale par ailleurs, nous ne leur faisons aucun mal lorsque nous les utilisons et les tuons. Non seulement cette idée n’est pas en accord avec notre propre expérience relativement aux animaux non humains, elle est problématique d’un point de vue théorique. En effet, nous pensons que ce n’est rien d’autre que du spécisme.

Nous sommes certainement d’accord que les non humains pensent différemment des humains, car la cognition des humains est liée aux capacités d’abstraction conceptuelle et de langage. Les humains sont les seuls animaux qui utilisent la communication symbolique. C’est donc probablement vrai que les humains sont les seuls à posséder une notion autobiographique. Et alors? La question à laquelle nous faisons face est la suivante : est-ce que la forme humaine de conscience de soi est la seule sorte de conscience qui se traduit par un intérêt à continuer à vivre, qui est jugé suffisant pour donner lieu, à tout le moins, à une présomption réfutable contre le fait de tuer?

Tenons pour acquis, comme le fait Singer, que les animaux non humains vivent pour la plupart dans une espèce d’éternel présent. Est-ce que cela veut dire pour autant qu’ils n’ont pas de conscience de soi? Considérons un humain affecté d’une amnésie totale faisant en sorte qu’il est incapable de se rappeler du passé ou de former de nouveaux souvenirs, et qui, par conséquent, vit dans un éternel présent. Nous estimons qu’il serait inexact de dire que cette personne n’est pas consciente d’elle-même. Elle a certainement une conscience d’elle-même dans le moment présent, le moment suivant et ainsi de suite. Continuer de vivre est certainement dans l’intérêt de cette personne — elle préfère, désire ou veut se rendre au prochain instant de conscience — peu importe la manière dont elle pense à elle-même et cela, même si elle n’a pas un sens autobiographique.

La notion selon laquelle les animaux ne sont pas conscients d’eux-mêmes n’est basée sur rien d’autre qu’une hypothèse sans argumentaire comme quoi la seule conscience de soi possible est celle dont les humains normaux sont dotés. Cela est certainement une des façons d’être conscient de soi-même, mais ce n’est pas la seule. Comme l’a fait remarquer l’un des plus importants spécialistes en éthologie cognitive au 20e siècle, Donald Griffin, dans son livre Animal Minds, si un animal est conscient de quoi que ce soit, « le propre corps de l’animal et les actions qu’il porte doivent entrer dans le champ de sa conscience perceptive ». À cet égard, la conscience d’un animal est comparable à celle d’un être humain avec une amnésie globale transitoire. C’est pour ces motifs que Griffin conclut que « [s]i les animaux sont capables de conscience perceptive, nier qu’ils ont un certain niveau de conscience de soi serait une restriction arbitraire et injustifiée » (Griffin, Animal Minds, 2001, p. 274). L’idée qu’il soit nécessaire d’être capable de penser, en termes abstraits et détachés, au « moi » qui vit ces expériences faisant partie d’une trajectoire de vie, n’est rien de plus qu’une manœuvre pour considérer les humains comme des êtres uniques et supérieurs à tous les autres animaux.

IV

De plus, il y a quelque chose qui cloche visiblement dans la vision de Singer selon laquelle nous pouvons malgré tout accorder une égale considération aux intérêts des animaux. Nous maintenons que nous ne pouvons pas le faire, sauf peut-être en tant que question abstraite. Et encore, nous ne sommes pas convaincus que ce soit possible.

Légalement, les animaux sont classés comme des biens, c’est-à-dire comme des choses qui n’ont aucune valeur inhérente ou intrinsèque. Ils sont la propriété des humains. Cela, ajouté à l’opinion généralement acceptée (mis de l’avant par Singer) comme quoi les animaux sont cognitivement inférieurs, rend d’emblée presque impossible la considération de leurs intérêts comme étant semblables aux nôtres. Et même si nous considérions leurs intérêts comme semblables aux nôtres, le statut de propriété des animaux fait en sorte que, dès qu’il y a le moindre conflit entre les intérêts des humains et celui des non humains, nous avons toujours une bonne raison de pencher en faveur des intérêts des humains. Lorsque nous, en tant que propriétaires d’animaux, devons choisir entre les intérêts des animaux et les nôtres, nous allons toujours privilégier nos propres intérêts et diminuer l’importance de ceux des animaux.

Fait intéressant, bien que Bentham était un utilitariste, il s’opposait à l’institution de l’esclavage humain. Pourquoi? L’explication typique est qu’il croyait que l’esclavage deviendrait inévitablement le « lot d’un grand nombre » et que les esclaves seraient invariablement mal traités, car on pourrait justifier de tels traitements par des raisons utilitaristes, argüant qu’ils contribuent au bonheur de la majorité.

Il y a en fait une autre explication. Bentham reconnaissait que le principe d’impartialité, ou d’égale considération, ne pouvait pas s’appliquer aux esclaves, car l’intérêt d’un esclave serait toujours jugé de moindre importance que l’intérêt de son propriétaire.

À l’égard des animaux, Bentham ne reconnaissait pas ce problème, pas plus que Singer. Bentham pensait qu’une société utilitariste éclairée pouvait se permettre de continuer de manger et utiliser des animaux, tout en accordant à leurs intérêts la considération qui s’impose : en effet, du point de vue de Bentham, le fait de tuer et manger les animaux n’implique pas qu’ils soient « dégradés et considérés comme des choses ». Mais le fait est que, tant et aussi longtemps que les animaux sont considérés légalement comme des choses que nous sommes en droit d’utiliser, il n’y a aucun moyen de respecter leurs intérêts vitaux. Cela est impossible. C’est une simple question économique. Les animaux sont des propriétés et protéger leurs intérêts coute de l’argent. Compte tenu de la nature des marchés, et particulièrement en considérant le « libre-échange » et les marchés internationaux, nous allons, la plupart du temps, dépenser de l’argent uniquement dans les situations où nous en retirons un avantage économique direct. C’est la raison pour laquelle les normes de protection des animaux prescrites par la loi sont, et ont toujours été, très limitées. Elles n’interdisent que la souffrance gratuite. De façon discutable, la plupart des cas où les propriétaires d’animaux sont tenus de changer leur comportement sont des cas où ils agissent de manière économiquement inefficace. À titre d’exemple, les grands animaux doivent être étourdis avant d’être enchainés, hissés et dépecés, non pas à cause d’une préoccupation réelle pour leur sort, mais parce qu’autrement les blessures des travailleurs et les dommages causés aux carcasses augmentent.

Les organismes de défense des animaux, dirigés par Singer, ont ces dernières années changé leur orientation, possiblement en reconnaissance des limites des normes de protection des animaux imposées par la loi. Plutôt que de viser une réforme des lois, ils travaillent conjointement avec l’industrie afin d’obtenir des changements, sur une base volontaire, dont le but est l’amélioration du bienêtre des animaux. En 2005, Singer a dirigé les efforts d’un groupe impliquant à peu près tous les grands organismes de défense des animaux, afin d’appuyer et de promouvoir les efforts de Whole Foods Market et formuler un programme d’améliorations « humaines ». Mais, tout comme Bentham, Singer n’a pas pris en considération l’intérêt premier qu’ont les êtres sensibles à ne pas être tué ni la réalité économique que représente le statut de propriété des animaux non humains. Dans le meilleur des cas, les efforts de réformes pour le bienêtre auront pour résultat la création de marchés de niche pour consommateurs aisés, dont la conscience peut être rassurée en déboursant un montant plus élevé pour obtenir des produits d’origine animale qui impliquent peut-être légèrement moins de cruauté que les produits conventionnels. Cela n’est en rien cohérent avec les « droits des animaux ».

V

L’idée que la vie animale est de moindre valeur que la vie humaine est imprégnée dans la position de la réforme du bienêtre, développée par les philosophes utilitaristes tels que Bentham et Singer. Mais cette position se retrouve également dans les travaux du théoricien des droits Tom Regan.

Regan rejette à la fois la théorie morale utilitariste et celle de la réforme du bienêtre animal. Il soutient, à tout le moins dans le cas des mammifères adultes, que nous n’avons aucune justification morale de les traiter exclusivement comme des ressources pour les humains. Ainsi, contrairement à Bentham et Singer, il ne se base pas sur la valeur morale inférieure des non humains pour justifier l’utilisation des animaux. Regan soutient cependant que, face à un conflit, par exemple dans une situation où nous sommes dans un canot de sauvetage et nous devons choisir entre le sauvetage d’un chien ou celui d’un être humain, nous devons opter pour le sauvetage de la vie de l’être humain plutôt que celle du chien, car la mort causerait plus de tort à l’humain qu’au chien. Selon Regan, « le préjudice, qu’est la mort, dépend des possibilités de satisfaction qu’il exclut », et la mort d’un animal, « bien que causant du tort, n’est pas comparable au préjudice que causerait la mort » pour l’humain. En effet, Regan argumenterait que nous devrions sacrifier n’importe quel nombre de chiens pour sauver un seul être humain (Regan, The Case for Animal Rights, 1983, p. 324).

La position de Regan est problématique parce que, si la mort cause qualitativement un plus grand préjudice aux humains qu’aux non humains, on trouvera un moyen qui n’est pas arbitraire de distinguer les humains des non humains. Bien que Regan est contre l’utilisation des animaux exclusivement comme des ressources, son argument à savoir que les patients moraux (tels que les animaux non humains) ont une valeur intrinsèque égale est basé sur sa vision selon laquelle il n’y a aucune façon non arbitraire de séparer les agents moraux des patients moraux. Sa position est cependant affaiblie par le fait qu’il considère que les humains ont un intérêt pour leur vie qui est qualitativement plus grand. À tout le moins, dans la mesure où Regan considère qu’en raison de l’espèce, nous devons toujours favoriser l’humain dans les situations de réel conflit, sa position ouvre la porte à causer du tort, en fonction de l’interprétation que l’on fait du mot « conflit ».

Nous ne sommes pas d’accord que la mort cause moins de tort à une personne amnésique qu’à une personne qui ne l’est pas, pas plus que sommes d’accord que la mort est un moindre mal pour les non humains. Il en va de même pour une personne moins intelligente, à qui la mort ne cause pas moins de tort qu’à une personne plus intelligente. Dans un contexte de réel conflit, nous pensons que de choisir un non humain plutôt qu’un être humain est tout à fait acceptable. Mais nous croyons aussi que si nous prenions au sérieux les droits des animaux, nous cesserions de créer des conflits entre humains et non humains, en mettant au monde des non humains dans le seul but de les utiliser comme ressources pour les humains.

VI

Nous concluons en notant que Singer dit que nous ne devrions pas utiliser les animaux dans des contextes où nous n’utiliserions pas des humains qui se trouveraient dans une situation similaire. Il est cependant clair que Singer approuve l’utilisation des non humains dans des situations où jamais nous n’envisagerions d’utiliser un être humain, qu’il s’agisse d’un être humain « normal » ou d’un handicapé mental. D’après ce que nous avons dit ici, il devrait être clair qu’il n’y a aucune raison légitime de privilégier de façon catégorique les êtres humains avant les animaux non humains. Tout comme nous ne privilégierions pas un être humain parce qu’il est plus intelligent qu’un autre. Ainsi, le chroniqueur du New York Times Nicholas Kristof a tout à fait raison de reconnaitre, comme il l’a fait à plusieurs reprises dans ses billets op-ed du New York Times, que c’est « hypocrite » de sa part de déplorer le traitement des animaux de boucherie, alors qu’il résiste à l’appel du véganisme.

Singer préconise précisément le type de spécisme qu’il prétend dénoncer. Jusqu’à ce que nous trouvions le courage et l’honnêteté de reconnaitre la violence injustifiable faite à l’endroit des animaux, sanctionnée par les idées de Singer, nous allons continuer de lire des articles dans les pages des grands journaux, avec des titres tels que « Sauver les vaches, affamer les enfants » (New York Times, 26 juin 2015), où les auteurs insistent, de façon tout à fait spécieuse, que les conflits entre animaux et les intérêts humains sont irréductibles et que la vie d’un animal non humain vient au prix d’une vie humaine.

Gary L. Francione, professeur distingué de droit et chercheur en droit et en philosophie Katzenbach, membre du conseil d’administration des professeurs, École de droit, Université de Rutgers

Gary Steiner, Professeur de philosophie, Université de Bucknell.
© 2016 par Gary L. Francione & Gary Steiner

*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
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