Quelle bataille gagnons-nous?

Dans un récent blog (et dans mes autres textes, écrits au fil des 15 dernières années), je soutiens que non seulement le mouvement en faveur du bien-être animal ne réussit pas à protéger les intérêts des animaux, mais il est également contreproductif puisqu’il fait en sorte que les gens se sentent plus à l’aise à l’égard de l’exploitation animale. Cela perpétue l’exploitation animale et pourrait même finir, en participant à augmenter la consommation d’animaux, par entraîner une augmentation nette la souffrance animale.

Voici un exemple frappant de ce dont je parle.

Dans le numéro du 16 mars de Farmed Animal Net, qui est paraîné par People for the Ethical Treatment of Animals, The Humane Society of the United States, et par Farm Sanctuary, on pouvait lire :

Strauss Veal & Lamb, qui affirme fournir entre 18% et 25% des veaux utilisés pour leur viande aux É.U., s’est donné comme objectif de remplacer complètement ses cabines individuelles par des enclos de groupes d’ici 2-3 ans. Randy Strauss, le chef de direction de la compagnie, a écrit que les cageots pour les veaux sont « inhumains et archaïques » et « ne font rien d’autre que soumettre le veau au stress, à la peur, aux blessures physiques et à la douleur ». Énonçant que « les droits des animaux sont importants », il dit : « Nous voulons être une compagnie qui révolutionne l’industrie du veau. Il y a de plus en plus de personnes qui, si elles se sentent bien à propos de ce qu’elles mangent, mangeront du veau. Si nous pouvons prendre le marché, nous augmenterons de 0.6-livres per capita le marché de la consommation, ce qui aura pour conséquence d’améliorer la santé de l’industrie du veau. » Strauss affirme que la consommation de veau a augmenté en Europe, où les cabines à veau de type individuel sont maintenant illégales, au cours des 5-10 ans pendant lesquels la conversion s’est faite. La compagnie a également exprimé un intérêt pour l’élevage « sans cage » et pour la production organique.

  • Strauss reconnaît explicitement que son objectif est de faire en sorte que les gens « se sentent à l’aise » à propos du fait de manger de la viande.
  • Strauss reconnaît explicitement que les réformes welfaristes entraîneront une augmentation de la consommation de veau.
  • Strauss rapporte qu’on a remarqué une augmentation de la consommation de veau en Europe en réponse à une réforme welfariste.

À propos de Strauss, vous pouvez lire l’article « Révolutionner l’industrie du veau » (« Revolutionizing the Veal Industry ») qui fait la une du numéro de décembre du magazine Meat Processing.

Les réformes welfaristes ne mèneront pas, contrairement à ce que prétendent certains, à l’abolition de l’exploitation; elles mèneront à plus de consommation d’animaux. Les réformes welfaristes n’entraîneront pas l’éradication du statut de propriété des animaux; elles ne feront que renforcer ce statut.

Le mouvement en faveur du bien-être animal ne permet même pas de réduire la souffrance animale. Faite le calcul. Présumons que nous consommons en moyenne 5 veaux qui font l’expérience de 10 unités de douleur au cours de leur vie, à partir du moment où ils sont arrachés à leur mère, peu de temps après leur naissance, jusqu’à ce qu’ils soient abattus dans un abattoir. Voilà qui représente 50 unités de souffrance au total. Ensuite, imaginons qu’une réforme welfariste particulière entraîne la réduction d’une unité de souffrance, de manière à ce que chaque veau ne fasse plus l’expérience que de 9 unités de souffrance. Imaginons, par ailleurs, que cette réforme fait en sorte que la consommation augmente à 6 veaux parce que les gens « se sentent plus à l’aise » de manger du veau. Nous obtenons alors un total de 54 unités de souffrance.

Si, toutefois, nous réduisons la consommation de 5 à 4 veaux, nous faisons passer la souffrance nette de 50 unités à 40 unités.

En somme, le bien-être animal échoue, de l’aveu même du mouvement, à nous diriger vers l’abolition et vers l’éradication du statut de propriété des animaux.

Et les welfaristes applaudissent cela. Paul Shapiro, le directeur de la campagne concernant l’élevage industriel de la HSUS, qualifie cette décision de Strauss d’« historique ».

De plus, en louangeant Strauss et Marcho Farms (un autre producteur qui s’est engagé à remplacer les cageots dans les prochaines années), la HSUS cite les affirmations d’un expert en science animale :

Nos résultats démontrent que les veaux ont une très forte volonté de bouger et de faire de l’exercice qui est empêchée par un confinement chronique. Les études ont également révélé que maintenir les veaux en situation de confinement cause des effets physiologiques qui altèrent le métabolisme et réduisent l’habileté du système immunitaire des veaux à répondre aux maladies. Il s’agit là de changements dans le corps qui indiquent une situation de stress chronique.

Les veaux en cabines ont besoin d’approximativement 5 fois plus de médication que ceux qui sont dans un environnement moins restreint.

En d’autres mots, éliminer les cageots à veaux entraînera des bénéfices pour les producteurs en rendant la production du veau encore plus efficace et profitable pour les exploiteurs.

Les abolitionnistes ne sont pas, contrairement à ce que certains welfaristes prétendent, opposés a priori aux mesures visant à réduire la souffrance. Une fois qu’on a décidé de causer du dommage, il est toujours préférable d’infliger un peu de dommages plutôt que d’infliger beaucoup de dommages. Mais les abolitionnistes refusent de prétendre qu’il est moralement acceptable de causer un peu de dommages. Les abolitionnistes sont opposés à l’utilisation de nos ressources pour des campagnes destinées à faire en sorte que le public « se sentent à l’aise » vis-à-vis l’exploitation animale, parce cela milite contre la reconnaissance sociale de l’immoralité inhérente de l’utilisation des animaux, facilite le maintien de l’exploitation et résulte en une augmentation de la consommation d’animaux. Oui, il est « mieux » qu’un meurtrier ne torture pas sa victime avant de la tuer. Mais cela ne rend pas le meurtre sans torture moralement acceptable. Il ne s’agit pas de quelque chose à propos de quoi on devrait « être à l’aise ».

Dans le cas des cageots à veaux, les animaux continueront à être torturés. Peut-être seront-ils torturés un tout petit peu moins. Cela reste à voir. Mais les producteurs recevront un bénéfice économique en ce qu’ils n’encourront plus les frais associés à la situation présente : la consommation augmentera parce que les gens, encore une fois, se « sentiront plus à l’aise » de manger du veau et les producteurs pourront charger davantage pour leurs produits puisque ceux-ci permettront aux gens d’avoir l’impression d’être des « omnivores consciencieux ».

Aujourd’hui même, la HSUS annonçait une nouvelle « qui allait assurément faire des vagues dans l’industrie agro-alimentaire impliquant des animaux ». La HSUS et PETA ont négocié avec Burger King, qui a accepté de faire en sorte que 5% de ses œufs proviennent de poules élevées « en liberté » d’ici a fin de l’année, et que 20% des cadavres de porcs qu’il utilise proviennent de nonhumains toujours élevés de manière intensive, mais selon des méthodes alternatives aux cageots de gestation. Et Burger King a annoncé l’adoption d’une politique visant à « favoriser les producteurs » qui vendent des œufs de poules « en liberté »; qui emprisonnent des porcs dans des enclos qui, bien qu’ils constituent de l’élevage intensif, ne sont pas des cageots de gestation; et qui tuent leurs poulets par gaz.

L’annonce de la HSUS précisait :

Avec ces nouveaux changements de politiques, Burger King indique à l’industrie agro-alimentaire que les pratiques d’élevage industriel les plus inhumaines sont appelées à disparaître », dit Wayne Pacelle, président et chef de direction de la Humane Society of the United States, « Comme résultat de cette décision, un grand nombre d’animaux à travers la nation évitera beaucoup de souffrances inutiles ».

À la place d’utiliser sa réserve de plus de $100 millions pour lancer une puissante campagne en faveur du véganisme, la HSUS s’associe à Burger King pour envoyer un message aux gens du public : ils peuvent être des « omnivores consciencieux » et « consommer avec compassion » s’ils mangent chez Burger King. La HSUS et PETA font en sorte que le public « se sent plus à l’aise » de manger des animaux. Quelle bonne affaire pour Burger King, qui peut maintenant se vanter d’être louangé par PETA, par la HSUS et par tous leurs welfaristes béni-oui-oui.

Il est intéressant de savoir que le 28 juin 2001, PETA a mis fin à sa campagne « Murder King » lorsque Burger King a accepté de procéder à différentes réformes welfaristes insignifiantes, incluant celle de « commencer à acheter du porc de fermes qui ne confinent pas les truies dans des cabines individuelles ». Et maintenant, près de six ans plus tard, nous nous faisons dire par PETA que Burger King vient d’« annoncer un nouveau plan révolutionnaire, le plaçant à la tête de toute l’industrie du fast-food à l’égard du bien-être animal », parce que Burger King commencera en 2007 à faire ce qu’il a promis de faire en 2001.

La seule chose qui soit « historique » dans tout ça est que le mouvement welfariste atteint des sommets inégalés dans ses liens de partenariat avec des exploiteurs institutionnels et dans l’aide qu’il procure activement aux exploiteurs qui vendent des cadavres de nonhumains.

Gary L. Francione
© 2007 Gary L. Francione