Archives mensuelles : juin 2012

Débat avec le Professeur Michael Marder sur l’éthique végétale

Le Professeur Michael Marder, auteur du livre à paraître Plant-Thinking: A Philosophy of Vegetal Life, et moi-même avons brièvement débattu de l’éthique végétale sur le site de Columbia University Press. Vous pouvez retrouver ce débat ici.

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Si vous n’êtes pas végan, s’il vous plaît, devenez-le. C’est facile, c’est meilleur pour votre santé et l’environnement, et, par-dessus tout, c’est moralement la bonne chose à faire.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2012 Gary L. Francione

Futur podcast sur une défense efficace des droits des animaux : un aperçu

La semaine dernière, j’ai posté deux articles : Souci moral, impulsion morale et argumentation logique dans la défense des droits des animaux et Images violentes et militantisme.

Les réactions que j’ai reçues ont été massives, et cela en l’espace de quelques jours seulement. J’ai reçu 52 courriels (jusqu’à présent) posant des questions sur l’application, dans des circonstances concrètes, des idées que j’ai développées.

Je sortirai un podcast à ce sujet dès que j’en aurai l’occasion. Cela dépendra de l’avancement de mon travail sur différents projets, et pourra prendre une semaine ou deux. Je n’en ai pas réalisé depuis un certain temps, et ce sujet semble suffisamment riche pour faire l’objet d’un ou deux podcasts.

En attendant, le point que je souhaite approfondir dans mes articles est que si les gens n’ont pas ce que j’appelle le souci moral des animaux (par quoi j’entends qu’au moins certains animaux ont, pour eux, une importance morale) et une impulsion morale les concernant (par quoi j’entends qu’ils sont motivés pour suivre cette voie, agir selon cette conviction de façon à vouloir faire ce qui est juste, et pas seulement le penser), alors la logique et la rationalité, face à ces personnes, ne serviront pas à grand-chose.

En revanche, si une personne a le souci moral des animaux et l’impulsion morale de vouloir bien agir envers eux, alors nous pouvons recourir à la logique et à la rationalité pour l’amener à adopter une éthique végane abolitionniste.

En d’autres termes, si quelqu’un me dit : « Je pense que ce que Michael Vick a fait à ces chiens est scandaleux d’un point de vue moral parce qu’il est mal de faire souffrir les animaux sans raison », je peux alors utiliser la logique et la rationalité afin de lui démontrer que notre pratique consistant à manger les animaux et les produits d’origine animale n’est en rien différente de celle consistant à utiliser des animaux dans des combats.

Mais si quelqu’un déclare : « Je ne me préoccupe pas de ce que Michael Vick, ou qui que ce soit d’autre, fait aux animaux. Je ne considère pas que ces derniers aient une valeur morale », il est improbable qu’une telle personne s’intéresse aux arguments logiques concernant la façon dont elle devrait s’acquitter de ses obligations morales envers les animaux. Elle ne reconnaît pas qu’elle en a.

La bonne nouvelle, c’est que la plupart des gens éprouvent un souci moral à l’égard d’une partie au moins des animaux. Notre défi en tant que défenseurs des animaux est d’utiliser la logique et la rationalité pour les amener à voir que leur souci moral a un sens seulement s’ils l’étendent à tous les êtres sentients et s’ils soutiennent l’abolition, à la fois dans leurs vies personnelles, sous la forme du véganisme et, au niveau social, sous la forme d’une éducation au véganisme non-violente.

Quant à ceux qui n’ont réellement aucun souci moral des animaux, nous ne pouvons utiliser la logique et la rationalité pour les forcer à changer, ni prouver qu’ils devraient s’en soucier. S’ils ne s’en soucient pas, ils ne s’en soucient pas.

Bien que notre défi en tant que défenseurs soit d’aider les gens à prendre conscience des implications de leur souci moral des animaux, il n’est pas pertinent de savoir pourquoi ils ont ce souci moral. Ce qui est pertinent, c’est de savoir qu’ils le possèdent. C’est ce que nous devons établir et c’est ce qui sert de prédicat, ou de base, à notre utilisation de la logique et de la rationalité pour démontrer que le véganisme est la seule réponse cohérente à la reconnaissance du fait que les animaux ont une importance morale.

Par conséquent, si quelqu’un dit : « Je pense que ce que Michael Vick a fait à ces chiens est scandaleux d’un point de vue moral parce qu’il est mal de faire souffrir les animaux sans raison », la réponse n’est pas de demander : « Pourquoi pensez-vous cela ? », et se mettre ensuite à raisonner avec la personne parce que vous êtes en désaccord avec la source de ses préoccupations morales.

Par exemple, si une personne déclare : « Je pense que ce que Michael Vick a fait à ces chiens est scandaleux d’un point de vue moral parce qu’il est mal de faire souffrir les animaux sans raison », votre tâche est de lui faire voir que son souci moral des animaux nécessite qu’elle arrête complètement de les consommer ou de les utiliser, et d’encourager les autres à faire de même.

Vous ne rendez pas service aux animaux si, dans cette situation, vous dites : « Et pourquoi pensez-vous cela ? », que la personne répond : « Parce que je suis bouddhiste et que je crois en l’interconnexion de toute vie », et que vous lui rétorquez qu’elle est idiote, ou irrationnelle, de croire au bouddhisme sous prétexte que vous, vous êtes athée, d’esprit « scientifique », et que vous ne croyez pas au bouddhisme.

De même, si le fondement de votre souci moral des animaux est le bouddhisme, votre tâche n’est pas de convaincre les autres de devenir bouddhistes. La source du souci moral d’une personne peut être en effet complètement différente de la vôtre et résulter de la lecture d’un poème de Byron, qui était athée (et pourtant tourmenté par la question de Dieu), ou encore de la relation qu’elle a tissée avec son chien. Ce qui compte, c’est que vous partagiez tous deux le souci moral des animaux. La raison pour laquelle vous éprouvez ce souci moral est hors de propos. Tout ce qui importe, c’est le fait que vous l’éprouviez.

Si une personne déclare que son souci moral vient de ce qu’elle a grandi dans une ferme avec des animaux, qu’un jour cela a fait tilt alors même que ces animaux étaient exploités par sa famille, qu’elle a reconnu à partir de là son affinité avec eux mais qu’elle n’est pas certaine pour autant de ce qu’elle doit faire au niveau pratique, notre tâche consiste à lui montrer en quoi son sens de l’affinité doit la conduire au véganisme et à soutenir l’abolition de l’exploitation. Notre tâche n’est pas de la critiquer sous prétexte que son sens de l’affinité avec les non-humains s’est développé dans une situation que nous considérons comme moralement répréhensible.

Je parle beaucoup de la non-violence comme source du souci moral quant aux questions impliquant des humains et des non-humains. Je crois juste de dire que beaucoup de gens partagent avec moi la conviction que la non-violence représente une valeur importante et fondamentale, indépendamment du fait qu’ils la relient généralement à une religion ou une tradition spirituelle particulière. De fait, de nombreuses personnes adoptent la non-violence en tant que concept purement laïque. Et c’est précisément parce que la non-violence est une valeur morale adoptée par beaucoup de gens malgré ce qu’ils peuvent croire par ailleurs qu’elle fournit une structure commune à partir de laquelle de nombreux sujets peuvent être abordés. Je ne parle jamais de la non-violence dans un contexte métaphysique ou spirituel particulier lorsque je discute d’éthique animale, car cela n’est ni utile ni pertinent. Si vous et moi partageons une préoccupation morale commune — notre croyance en la non-violence —, la raison pour laquelle nous l’éprouvons n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est que notre croyance commune est le fondement de notre préoccupation morale de la violence envers les animaux. De cette préoccupation morale commune, nous pouvons raisonner sur les importantes conclusions morales du véganisme et de l’abolition.

Je répète : nous ne devons pas nous soucier de la raison pour laquelle les gens sont concernés par les animaux ; ce qui importe, c’est qu’ils aient cette préoccupation. Les raisons pour lesquelles ils se préoccupent des autres animaux — humains ou autres — importent seulement dans la mesure où ces raisons limitent leur souci moral, non quand elles l’augmentent.

Plus à venir…

Si vous avez une question à me poser, veuillez la soumettre sur notre page Contact.

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Si vous n’êtes pas végan, s’il vous plaît, devenez-le. C’est facile, c’est meilleur pour votre santé et l’environnement, et par-dessus tout, c’est moralement la bonne chose à faire.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2012 Gary L. Francione

Images violentes et militantisme

On me demande souvent s’il est souhaitable, dans la sensibilisation d’autrui au véganisme abolitionniste, de recourir à des images violentes montrant des scènes d’abattage ou encore la réalité des élevages industriels. Lorsque je fais part de mes hésitations et de mes inquiétudes, les personnes qui connaissent mon passé me disent souvent : « Mais visiter un abattoir n’a-t-il pas eu un effet profond sur toi ? »

Cela est assurément le cas. Mais nous devons faire la différence entre l’origine de notre préoccupation morale des animaux et les arguments que nous déployons en faveur de l’abolition et du véganisme. Dans mon précédent post, Souci moral, impulsion morale et argumentation logique dans la défense des droits des animaux, j’ai maintenu que la rationalité est absolument essentielle pour une défense efficace des droits des animaux, mais que pour qu’une personne soit réceptive à l’argument rationnel, elle doit d’abord concevoir au moins une certaine inquiétude morale à l’égard des animaux. Elle doit avoir l’impulsion morale de vouloir faire la chose juste concernant au moins certains animaux, afin de pouvoir répondre positivement aux arguments logiques à propos de ce qu’est cette juste chose à faire. L’inquiétude et l’impulsion morales peuvent avoir plusieurs origines. Si, cependant, une personne ne se préoccupe tout simplement pas des animaux et ne les considère en aucune façon comme des membres de la communauté morale, la logique et la rationalité ne seront guère utiles.

Dans mon cas, mon inquiétude morale est née de la visite d’un abattoir et d’une reconnaissance simultanée qu’un engagement pour la non-violence était gravement incomplet s’il n’était pas appliqué aux animaux. Ce fut cette inquiétude et la très forte impulsion morale qui en a résulté qui m’ont conduit à développer l’approche abolitionniste des droits des animaux, laquelle considère que tous les êtres sentients font partie de la communauté morale et identifie le véganisme et l’abolition comme les seules réponses cohérentes à la reconnaissance de l’inhérente valeur morale des animaux.

Mais dire qu’une chose a servi à déclencher ou éveiller le souci moral d’une personne n’est pas dire qu’elle constituera également un outil de plaidoyer efficace pour ceux qui déjà se préoccupent moralement des animaux tout en hésitant à propos de ce que cela implique concrètement dans leurs vies et leurs efforts de plaidoirie. Montrer des vidéos sanglantes à quelqu’un peut déclencher chez lui un souci moral, mais la plupart de ceux qui visionneront de tels films sont déjà concernés par le sort des animaux et tentent simplement de comprendre que faire de leur propre inquiétude. Le danger est que les vidéos sanglantes incitent les gens à se concentrer sur le problème du traitement et non sur celui de l’utilisation des animaux, particulièrement lorsqu’elles sont présentées, ainsi qu’elles le sont souvent, comme des appels explicites ou implicites aux réformes de bien-être. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne les vidéos consacrées aux élevages industriels ou aux « abus » commis au sein desdits élevages. Beaucoup de gens visionnant de tels films repartent avec un message welfariste très clair, selon lequel la solution réside dans les labels « heureux », les élevages familiaux, la CCTV, et plus généralement dans n’importe quoi excepté le véganisme. Nous connaissons tous de telles personnes.

Et c’est le risque. En effet, lorsqu’au départ nous avons ouvert ce site, il y avait en bannière des images sanglantes. L’une des raisons pour lesquelles j’ai retiré ces images est que certaines personnes en concluaient que les défenseurs des animaux devaient se focaliser sur les réformes de bien-être afin d’ « améliorer » le traitement des animaux. Ce qui allait à l’encontre des buts et de la philosophie du site !

En outre, je pense qu’il y a une différence significative entre visiter un abattoir et regarder un film le représentant. Celui-ci est sanglant, mais une partie de l’horreur d’un abattoir réside dans le contact visuel que vous établissez avec des animaux particuliers que jamais vous n’oublierez. Si ce genre d’expérience n’éveille pas en vous de prédisposition à vous sentir moralement préoccupé ou à ressentir de l’empathie envers les animaux nonhumains, je ne vois guère ce qui le fera.

Par conséquent, nous devons être prudents quant à l’utilisation, dans le cadre du militantisme, de ce genre de documentation. Je n’y suis pas absolument opposé ; il peut aider une personne se débattant avec ces questions à développer l’inquiétude morale qui la rendra réceptive aux arguments rationnels en faveur du véganisme et de l’abolition. Il peut aussi être utile pour persuader quelqu’un qui est déjà concerné et possède l’impulsion morale, de s’orienter vers l’abolitionnisme. Mais, dans ce dernier cas, il peut aussi pousser cette personne à se focaliser sur le traitement et non l’utilisation, et dès lors nous retombons sur la viande « heureuse » et les réformes de bien-être.

Je l’ai expliqué dans mon article consacré à l’inquiétude morale :

D’un point de vue général, je ne dis pas que nous devrions nous servir, dans notre plaidoyer en faveur des droits des animaux, de l’élément déclencheur de notre inquiétude morale. Cela n’aurait aucun sens. Si l’inquiétude morale de quelqu’un a été déclenchée par la lecture de Black Beauty étant enfant, je ne dis pas que nous devrions promouvoir la lecture de Black Beauty comme moyen de plaidoirie. En effet, beaucoup de gens ayant lu Black Beauty étant enfants ne sont pas devenus végans pour autant. Mais ce livre (à l’instar d’innombrables autres livres, expériences, etc.) peut avoir déclenché l’impulsion morale d’une personne, la rendant dès lors réceptive aux arguments rationnels que nous développons en tant qu’abolitionnistes afin de l’amener à considérer tous les êtres sentients comme des membres de la communauté morale, et le véganisme comme la seule réponse cohérente à son inquiétude morale. Mais si elle n’a pas en premier lieu d’inquiétude morale, elle ne sera pas réceptive à ces arguments.

Quelqu’un peut avoir développé son souci moral des animaux en travaillant dans un élevage, intensif ou non, mais nous n’allons pas militer afin que les gens aillent travailler dans ce genre d’endroits dans le but de les persuader de devenir végans. Non seulement ce serait peu réaliste, mais il n’est pas sûr que ce soit aussi efficace que de fournir des arguments logiques à une personne se souciant déjà moralement des animaux.

J’ai connu quelqu’un dont le souci moral fut déclenché en travaillant comme assistant-étudiant dans un laboratoire qui utilisait des animaux. Cette personne a arrêté de travailler dans le laboratoire, a fait du bénévolat pour un grand nombre d’associations de bien-être animal et est devenue végétarienne pendant plusieurs années. Elle a embrassé le véganisme après avoir lu Introduction to Animal Rights, a cessé de plébisciter les réformes welfaristes au profit de l’éducation au véganisme. Elle fut sensible aux arguments logiques exposés dans Introduction to Animal Rights parce qu’elle se souciait moralement des animaux, résultat de son expérience en laboratoire. Mais je ne recommanderais certainement jamais à quiconque de travailler dans un laboratoire animalier pour devenir végan.

Le point à retenir : ne pas confondre l’origine de la préoccupation morale, qui peut venir d’à peu près tout, avec les arguments logiques exprimés en faveur du véganisme et de l’abolition.

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Si vous n’êtes pas végan, s’il vous plaît, devenez-le. C’est facile, c’est meilleur pour votre santé et l’environnement. Par-dessus tout, c’est moralement la bonne chose à faire.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2012 Gary L. Francione