Archives mensuelles : octobre 2009

Quelques réflexions sur l’approche abolitionniste

Chers Collègues :

Voici quelques idées simples exprimant l’approche et la philosophie abolitionnistes. Elles peuvent être utiles à votre réflexion aussi bien qu’aux discussions que vous avez avec les autres :

1. Le spécisme est moralement inacceptable, puisqu’à l’instar du racisme, du sexisme et de l’hétérosexisme, il définit l’individualité selon des critères non pertinents.

Explication : nous ne nous opposons pas au spécisme par hasard. Nous le rejetons parce qu’il est semblable aux autres formes de discrimination. Ce que toutes les formes de discrimination ont en commun, c’est le recours à des critères non pertinents pour exclure des individus de l’appartenance pleine et entière à la communauté morale. Les racistes dévalorisent les gens de races différentes uniquement sur la base de la couleur de la peau ; les sexistes dévalorisent les femmes uniquement sur la base du sexe et du genre ; les hétérosexistes dénient l’appartenance pleine et entière à la communauté morale aux gays, aux lesbiennes, aux transgenres, etc., simplement sur la base de l’orientation sexuelle. Les spécistes dénient l’appartenance pleine et entière à la communauté morale uniquement sur la base de l’espèce.

Toutes ces formes de discrimination sont moralement injustifiables. Nous rejetons le spécisme parce qu’il n’est pas différent de ces autres formes de discrimination.

(On notera que bien que Peter Singer rejette apparemment le spécisme, il soutient néanmoins que les nonhumains n’ayant pas la même sorte d’intelligence que les humains, ils n’auraient pas d’intérêt à poursuivre leur vie, et que par conséquent nous ne leur faisons pas de mal si nous les utilisons et les tuons « avec humanité ». J’estime que ce raisonnement est une forme de spécisme. Cliquez ici.)

2. Ceux qui rejettent le spécisme rejettent le racisme, le sexisme, l’hétérosexisme ainsi que toutes les autres formes de discrimination.

Explication : certains défenseurs des animaux soutiennent que le « mouvement animaliste » n’a pas à prendre position quant aux autres formes de discrimination. Ceci n’est pas correct. Ceux d’entre nous qui veulent la justice pour les nonhumains sont nécessairement engagés dans la justice pour les humains, dans la fin des discriminations interhumaines et des discriminations contre les nonhumains.

Le mouvement animaliste ne devrait pas, par exemple, perpétuer le sexisme en l’utilisant comme moyen de promouvoir les droits des animaux. Le sexisme implique la réification des femmes. La réification est le problème, non la solution.

Et, oui, les femmes peuvent être sexistes exactement comme les gens de couleur peuvent être racistes. Mais ce sexisme et ce racisme sont nécessairement différents car, dans notre société raciste et patriarcale, ces formes de discrimination n’ont pas, et ne peuvent avoir le même effet. Je rejette toutes les discriminations, mais nous ne devons jamais penser qu’il n’y a pas, ici, de différences importantes.

Et, oui, les femmes peuvent choisir de s’auto-réifier exactement comme les gens de couleur peuvent participer aux stéréotypes racistes et les perpétuer. Mais cela ne veut pas dire que l’auto-réification permet de se donner du pouvoir. C’est exactement le contraire. L’idée que l’auto-réification serait un moyen d’acquérir du pouvoir est une idée réactionnaire qui perpétue le sexisme.

3. Le véganisme est Ahimsâ ou non-violence ; le véganisme reconnaît que la non-violence commence par ce que vous mettez dans et sur votre corps.

L’Ahimsâ est le principe selon lequel nous ne devons pas agir avec violence envers les autres, que ce soit dans nos pensées, nos paroles ou nos actes. Mais l’Ahimsâ ne doit pas être considérée comme un principe abstrait. Si elle n’influe pas sur notre vie quotidienne, elle n’est d’aucune utilité.

Le véganisme éthique reflète l’idée que la non-violence commence avec ce que nous mettons dans nos bouches et sur nos corps. Si nous allons à un rassemblement pour la paix après avoir mangé du bacon et des œufs, vêtus de pulls en laine et de chaussures en cuir, nous n’avons, je dirais, rien compris.

4. Le véganisme est l’application du principe de l’abolition dans votre vie personnelle ; il exprime votre reconnaissance du fait que les animaux ne sont pas des choses.

L’approche abolitionniste des droits des animaux, telle que je l’ai développée au cours des vingt dernières années, est que nous ne pouvons justifier aucun usage de l’animal – même si cet usage est « humain ». Nous devons abolir, et non réglementer, l’exploitation des animaux nonhumains. La réglementation échoue pour des raisons à la fois pratiques et théoriques.

Réglementer l’exploitation animale au moyen de réformes welfaristes est comme réglementer la torture en ajoutant un rembourrage à la planche à eau du condamné. Si une conduite est mauvaise, alors nous devons œuvrer pour qu’elle cesse, et non proposer de faire du mal d’une « meilleure » manière.

Les réformes welfaristes ne fonctionnent pas dans la pratique. Aux yeux de la loi, les animaux sont des biens meubles ; ils sont des produits économiques. Etant donné ce statut et la réalité des marchés, y compris des marchés globaux, la protection offerte par les lois de bien-être animal et les réglementations dépassent rarement, sinon jamais, le niveau de protection nécessaire à une exploitation des animaux économiquement performante. Pour dire les choses autrement : nous ne protégeons les intérêts des animaux que lorsque nous en retirons un bénéfice économique. Le welfarisme est à l’œuvre depuis maintenant plus de deux siècles, or nous n’avons jamais exploité autant d’animaux ni de manières plus horribles de toute notre histoire.

Si quelqu’un défendait le principe de l’abolition de l’esclavage humain tout en continuant de posséder des esclaves, nous trouverions que ses actes ne concordent ni avec sa pensée, ni avec son discours. De la même façon, si quelqu’un défend le principe de l’abolition mais consomme et utilise toujours des produits d’origine animale, il y a contradiction, il y a dissonance.

Être abolitionniste, c’est être un vegan éthique. C’est renoncer à consommer la chair, les produits laitiers, le miel, les dérivés animaux, etc. ; c’est renoncer à porter laine, cuir, fourrure et soie.

5. Nous devons recourir à des moyens créatifs et non-violents pour sensibiliser les autres à l’abolitionnisme.

La violence est le problème ; elle n’est en aucun cas la solution. Ceux qui défendent la violence contre les exploiteurs institutionnels des animaux échouent à reconnaître cette réalité toute simple : que ces exploiteurs répondent simplement à une demande générée par les autres. Les véritables exploiteurs sont ceux qui créent la demande. Par conséquent, la violence contre les exploiteurs institutionnels n’a aucun sens. Et aucune personne sensée ne défendrait la violence contre les 99.9999 % de la population qui considèrent qu’utiliser les animaux est aussi naturel que le fait de boire ou respirer.

Nous avons besoin de changer de paradigme ; nous avons besoin d’une révolution – celle du cœur. Nous ne changerons jamais la façon dont les humains perçoivent les animaux en recourant à la violence ou à l’intimidation. Nous n’y parviendrons qu’en convainquant les autres que l’exploitation animale ne peut se justifier moralement. Nous n’y parviendrons que lorsque nous pourrons partager avec les autres la paix qui descend sur nos vies lorsque nous rejetons la violence. Et cela n’a aucun sens de dire que nous pouvons partager cette paix en empruntant la voie de la violence !

Juger les autres est une forme de violence. Nous devrions toujours éviter d’émettre un jugement sur l’intégrité morale d’autrui. Nous devrions borner notre attention à nos actes. Je n’émets pas de jugement personnel sur les welfaristes. Je pense simplement qu’ils ont tort, et je donne les raisons de ma position. Nous devons toujours éduquer autrui de manière non-violente. Cela ne veut pas dire pour autant que nous tombons dans le relativisme moral, ou que nous évitons de prendre des positions de principe : bien au contraire. Mais nous devons consentir à rejoindre tous ceux qui veulent nous engager dans une foi positive, et nous devons toujours sensibiliser autrui dans la non-violence.

6. Le véganisme est la reconnaissance de l’individualité morale des animaux nonhumains.

Nous vivons dans un univers moral binaire. Il y a des personnes et il y a des choses. Les premières ont une valeur inhérente et sont membres de la communauté morale. Les secondes ont seulement une valeur extrinsèque ou externe et sont en dehors de la communauté morale. Bien que de nombreux humains considèrent certains animaux (leurs compagnons) comme des personnes nonhumaines ayant une valeur morale, les animaux sont légalement perçus comme des biens meubles, des choses qui n’ont que la valeur que nous leur donnons.

Le véganisme est un acte de défi non-violent. Il est notre déclaration selon laquelle nous rejetons l’idée que les animaux sont des choses. Il est notre déclaration selon laquelle nous considérons les nonhumains sentients comme des personnes morales dotées du droit moral fondamental de ne pas être traitées comme des biens, ni comme les ressources des humains.

Si vous n’êtes pas végan, devenez-le. C’est facile. C’est meilleur pour la santé. C’est meilleur pour la planète. Mais, par-dessus tout, c’est, moralement, la bonne chose à faire.

Vous pouvez devenir abolitionniste aujourd’hui. Maintenant. Dès cette seconde. Vous n’avez pas besoin, pour ce faire, d’une grande association, ni d’une campagne coûteuse. Vous n’avez pas besoin de vous asseoir nu dans une cage. Vous n’avez pas besoin de leaders pour vous dire ce qu’il faut faire. Vous avez simplement besoin de dire non à la violence : ce refus de collaborer avec l’oppression commence par ce que vous mettez dans et sur votre corps.

Gary L. Francione
©2009 Gary L. Francione

Documents originaux sur Donald Watson

Chers Collègues,

Donald Watson (1910-2005), co-fondateur en Grande-Bretagne de la Vegan Society et inventeur du terme « végan » en réaction à la consommation et à l’utilisation, par les « végétariens », des produits laitiers et des autres produits d’origine animale, était un homme remarquable, très en avance sur son temps.

En 2002, George D. Rodger, de la Vegan Society, a réalisé une interview de Watson d’une durée de quatre heures. Il en a gracieusement fourni la transcription intégrale (diverses formes abrégées ayant été publiées/postées), laquelle a été approuvée par Watson. Sentez-vous libre de la faire circuler autour de vous, mais seulement sous sa forme intégrale.

Est également disponible le premier numéro de The Vegan News, qui a inauguré la Vegan Society en 1944.

Pour ceux d’entre vous qui s’intéressent à l’histoire du véganisme, il s’agit là de documents inestimables.

Devenez végan. C’est facile. C’est meilleur pour la santé et la planète, et, par-dessus tout, c’est, moralement, la bonne chose à faire.

Gary L. Francione
©2009 Gary L. Francione

Commentaire n°9: l’utilisation du sexisme dans la promotion des droits des animaux

Chers collègues:

Martin Luther King aurait-il mené une campagne intitulée : « Je préfère être nu que m’asseoir à l’arrière d’un bus » ?

Bien sûr que non.

Il aurait admis qu’une telle campagne aurait ruiné la portée de l’important message en faveur des droits civiques.

Pourquoi les défenseurs des animaux n’admettent-ils pas que, de la même façon, les campagnes sexistes ruinent la question des droits des animaux et donnent aux gens une raison supplémentaire de l’ignorer ?

Tel est le thème de notre neuvième Commentaire.

Gary L. Francione
©2009 Gary L. Francione

Quelques réflexions sur le sens du mot « vegan »

Chers Collègues :

On discute beaucoup du sens du mot « végan ».

Le « véganisme » signifie au minimum ne pas consommer la chair, les produits laitiers et les autres produits d’origine animale. En ce sens, « végan » veut dire « régime alimentaire végan ». Donald Watson, qui a inventé le terme « végan », l’utilisait dans ce sens-là lorsqu’il déclarait par exemple : « Où que l’être humain habite, il peut avoir un régime végan. »

Des personnes différentes peuvent avoir différentes raisons (éthique/spiritualité, santé, environnement) d’adopter un régime alimentaire végan. Les gens qui suivent un tel régime peuvent également, pour des raisons diverses, éviter l’utilisation d’autres produits d’origine animale dans des contextes qui dépassent le simple régime alimentaire. Par exemple, une personne qui adopte un régime alimentaire végan peut également ne pas porter de produits d’origine animale sur sa peau pour des raisons de santé (les produits appliqués sur la peau allant en effet à l’intérieur du corps). Une personne qui adopte un régime alimentaire végan pour des raisons environnementales peut aussi ne pas porter un certain produit d’origine animale en raison de l’impact sur l’environnement engendré par la production dudit produit.

Ceux qui adoptent un régime végan pour des raisons éthiques/spirituelles se répartissent également en différents groupes. Certains considèrent leur régime végan comme un moyen de réduire la souffrance animale. C’est-à-dire qu’ils ne pensent pas qu’il soit mal en soi de tuer les animaux pour notre usage, mais qu’en revanche il est mal de leur infliger de la souffrance. Par conséquent, ils évitent de manger ou d’utiliser des produits d’origine animale. S’il existait des méthodes sans douleur d’élever et de massacrer les animaux pour l’usage des hommes, ces végans éthiques ne s’opposeraient pas à l’utilisation des animaux. Ces personnes ne sont pas nécessairement – et ne le sont généralement pas – engagées dans l’abolition de l’exploitation animale. Elles poursuivent des réformes régulatrices dont elles croient, à tort de mon point de vue, qu’elles réduiront la souffrance des animaux.

Le concept de « véganisme éthique », que j’utilise de manière interchangeable avec celui de « véganisme abolitionniste », va bien au-delà du simple régime alimentaire végan, et refuse catégoriquement la consommation des animaux ou leur utilisation quelle qu’elle soit. Un végan éthique suit un régime alimentaire végan et refuse de consommer des produits d’origine animale. Mais il ne porte pas non plus, ni n’utilise, de produits d’origine animale quels qu’ils soient. Un végan éthique condamne la réification et la marchandisation des nonhumains considérés (par la loi et la société) comme des biens. Un végan éthique est engagé dans l’abolition de l’exploitation animale. En outre, les végans éthiques reconnaissent qu’une agriculture basée sur l’exploitation des animaux cause du mal aux humains aussi bien qu’aux nonhumains, et établissent une connexion entre les droits des humains et les droits des animaux. Le véganisme éthique constitue la ligne de fond morale du mouvement des droits des animaux. Le véganisme éthique représente un engagement pour la non-violence dans sa vie de tous les jours.

D’après mon expérience, le véganisme éthique est le seul type d’approche qui débouche sur une conduite réellement cohérente. Les personnes qui sont véganes seulement pour leur santé « trichent » souvent, exactement comme toutes celles qui suivent un régime alimentaire dans cette optique. Les personnes qui sont véganes pour des raisons environnementales peuvent non seulement manquer à leur engagement, mais décider en outre qu’un produit d’origine animale a moins de conséquences néfastes sur la nature que les produits non-animaux. Une personne qui considère le véganisme seulement comme un moyen de réduire la souffrance peut manger ou utiliser un produit d’origine animale si elle estime que plus de souffrance sera causé si elle ne le fait pas. Par exemple, certains individus, à l’instar de Peter Singer et d’autres, maintiennent que nous devons manger des produits d’origine animale si nous ne voulons pas amener les autres à croire que le véganisme est trop dur à appliquer, et de ce fait les dissuader de réfléchir au véganisme. Ces végans deviennent alors des végans « flexibles », ce qui, de mon point de vue, signifie qu’ils ne sont pas vraiment végans. Un végan éthique voit le véganisme comme une approche générale de la vie – une philosophie de la vie –, et pas seulement comme un style de vie.

Un dernier commentaire (pour le moment) : la santé et le souci de l’environnement peuvent revêtir des aspects moraux. Par exemple, des personnes peuvent suivre un régime végan parce qu’elles estiment qu’infliger des dommages physiques à leurs corps en consommant des produits d’origine animale est une forme de violence (de mal fait à elles-mêmes), et que donc c’est immoral. Des personnes qui suivent un régime végan ou évitent d’utiliser des produits d’origine animale pour des raisons écologiques peuvent le faire non par souci utilitaire de préserver l’environnement, mais parce qu’elles jugent que les conséquences environnementales affectent directement humains et nonhumains, et qu’elles violent les droits de ces êtres sentients. Un végan éthique ou abolitionniste, qui considère toute forme de consommation ou d’utilisation de produits d’origine animale comme une violation des droits des animaux, peut également éviter les produits d’origine animale pour des raisons de santé et environnementales.

Pour résumer, les gens peuvent être végans pour différentes raisons. Selon moi, le véganisme éthique ou abolitionniste est la seule approche débouchant sur une conduite réellement cohérente. Nous devons, cependant, nous convaincre qu’aucune forme de véganisme n’est cohérente dès lors que des produits animaux sont consommés. C’est-à-dire que suivre un « régime vegan » est le sens minimal du mot « végan ». De mon point de vue, un « végan » est quelqu’un qui ne mange, n’utilise ou ne porte absolument aucun produit d’origine animale. Mais il est également exact de dire d’une personne qui ne mange aucun produit d’origine animale qu’elle suit un « régime végan ». L’absence de produits d’origine animale est ici explicitement limitée au régime alimentaire. Comme je l’ai dit plus haut, les végans « flexibles » ne sont pas pour moi des végans, et, par définition, ils ne suivent même pas un régime végan.

J’écrirai bientôt plus longuement à ce sujet.

Si vous n’êtes pas végan, devenez-le. C’est incroyablement facile. C’est meilleur pour la santé et la planète. Mais, par-dessus tout, c’est, moralement, la bonne chose à faire.

Gary L. Francione
©2009 Gary L. Francione