Selon cet article :
L’Inde a officiellement reconnu les dauphins comme des personnes nonhumaines, dont les droits à la vie et à la liberté doivent être respectés. Les delphinariums qui avaient été construits à travers le pays seront fermés.
Dans un communiqué, le gouvernement a déclaré que la recherche avait clairement établi que les cétacés sont très intelligents et sensibles, et que les dauphins « doivent être considérés comme des ‘personnes nonhumaines’, et en tant que telles avoir leurs propres droits spécifiques. »
Le mouvement pour reconnaître les baleines et les dauphins comme des individus doués de conscience de soi et d’une palette de droits a pris son essor il y a trois ans à Helsinki, en Finlande, lorsque des scientifiques et des éthiciens ont esquissé une Déclaration des Droits des Cétacés. « Nous affirmons que tous les cétacés, en tant que personnes, ont droit à la vie, à la liberté et au bien-être », ont-ils écrit.
Depuis hier, j’ai reçu un nombre important de demandes afin que je commente ce rapport.
J’ai deux réponses.
Premièrement, je vous renvoie à l’article “Our Hypocrisy”, que j’ai écrit pour The New Scientist en juin 2005 :
Notre hypocrisie
Les grands singes, les dauphins, les perroquets et peut-être même les animaux dits « de boucherie », possèdent-ils certaines caractéristiques cognitives qui leur donnent le droit de se voir accorder une plus grande considération morale et une protection juridique ?
Une littérature considérable en a débattu ces derniers temps. L’idée centrale derrière cette entreprise est que nous devons repenser nos relations avec les nonhumains si nous trouvons qu’ils sont intelligents, conscients d’eux-mêmes ou qu’ils ont des émotions. Dans la mesure où les non-humains ont des esprits semblables aux nôtres, discourt l’argument, ils ont des intérêts similaires, et ont le droit de se voir accorder une plus grande protection en raison de ces intérêts. Cette approche des « esprits similaires » a conduit un bataillon impatient d’éthologues cognitifs à étudier — souvent, de manière ironique, via toutes sortes d’expérimentations animales — jusqu’à quel point ils sont comme nous.
Il est stupéfiant que, cent cinquante ans après Darwin, l’on s’étonne encore de ce que d’autres animaux aient des caractéristiques que l’on croyait être l’apanage des humains. La thèse selon laquelle les humains posséderaient des caractéristiques psychiques qui feraient complètement défaut aux non-humains est incompatible avec la théorie de l’évolution. Darwin a fait valoir qu’il n’existe aucune caractéristique appartenant en propre aux humains, et qu’entre les esprits humains et nonhumains existaient seulement des différences de nature quantitative et non qualitative. Il a soutenu que les êtres nonhumains sont capables de penser et de raisonner, et qu’ils possèdent les mêmes attributs émotionnels que les êtres humains.
Ce qui est plus ennuyant avec l’approche des esprits similaires, c’est ce qu’elle implique pour la théorie morale. Bien qu’elle semble être progressiste et indiquer une réelle évolution de nos rapports avec les autres espèces, elle renforce en fait le paradigme même qui a abouti à notre exclusion des non-humains de la communauté morale. Nous avons historiquement justifié notre exploitation des non-humains sur le fait qu’il y aurait une distinction qualitative entre les humains et les autres animaux : ces derniers peuvent bien être sentients, mais ils ne seraient pas intelligents, ni rationnels, ni doués d’émotions, ni conscients d’eux-mêmes.
Bien que l’approche des esprits similaires affirme qu’empiriquement nous nous sommes trompés par le passé et qu’au moins certains non-humains peuvent posséder certaines de ces caractéristiques, elle ne remet pas en question l’hypothèse sous-jacente selon laquelle une caractéristique autre que la sentience — la capacité à ressentir la douleur — est nécessaire pour avoir une importance morale.
Positions arbitraires
Toute tentative pour justifier notre exploitation des non-humains basée sur leur manque de caractéristiques « humaines » esquive la question éthique en posant d’emblée que certaines caractéristiques sont spéciales et justifient un traitement différent. Même si, par exemple, les humains sont les seuls animaux capables de se reconnaître dans un miroir (ce qui en outre n’est pas vrai) ou communiquer au moyen d’un langage symbolique, aucun humain n’est capable de voler, ou encore de respirer sous l’eau sans assistance. Qu’est-ce qui rend la capacité à se reconnaître soi-même dans un miroir ou à utiliser un langage symbolique moralement plus pertinente que la capacité à voler ou à respirer sous l’eau ? La réponse, bien sûr, est que nous l’affirmons simplement parce qu’il est dans notre intérêt de l’affirmer.
Mis à part l’intérêt personnel, il n’y a aucune raison de conclure que les caractéristiques perçues comme uniquement humaines ont une quelconque valeur qui nous autorise à les utiliser comme justification non arbitraire pour exploiter les non-humains. En outre, même si tous les animaux autres qu’humains manquaient d’une caractéristique particulière située au-delà de la sentience, ou possédaient cette caractéristique à un degré moindre que les humains, une telle différence ne peut justifier l’exploitation, par les humains, des non-humains.
Les différences entre les humains et les autres animaux peuvent être pertinentes à d’autres égards. Par exemple, nulle personne sensée n’affirme que les animaux nonhumains doivent conduire des voitures, voter ou aller à l’université, mais de telles différences ne sauraient avoir d’incidence sur le fait de savoir si nous devons manger les non-humains ou les utiliser lors d’expérimentations. De fait, nous validons cette conclusion lorsqu’il s’agit des humains. Quelle que soit la caractéristique que nous établissons comme spécifiquement humaine, elle sera présente à un moindre degré chez certains humains, et point du tout chez d’autres. Certains humains auront les mêmes déficiences que nous attribuons aux non-humains, et bien que telle de ces déficiences puisse se révéler pertinente en certains domaines, elle ne l’est plus dès lors qu’il s’agit de savoir si nous avons le droit d’exploiter les humains en question.
Songez, par exemple, à la conscience de soi. N’importe quel être sentient possède nécessairement un quelconque niveau de conscience de soi. Être sentient, c’est être la sorte d’être qui reconnaît qu’il est cet être et non un autre, qu’il est celui qui fait l’expérience de la douleur ou de l’angoisse. Même si nous définissons arbitrairement la conscience de soi d’une manière exclusivement humaine, comme, mettons, être capable de penser le fait de penser, de nombreux humains, parmi lesquels les handicapés mentaux sévères, manquent de ce type de conscience. Encore une fois, cette « déficience » peut être pertinente en certains domaines, mais pas en ce qui concerne le fait de savoir si nous devons utiliser ces humains dans des expérimentations médicales douloureuses ou comme donneurs d’organes forcés. En fin de compte, la seule différence entre les humains et les non-humains, c’est l’espèce, et l’espèce ne constitue pas davantage une justification de l’exploitation que la race, le sexe ou l’orientation sexuelle.
C’est pourquoi l’approche des esprits similaires est peu judicieuse, et créera seulement de nouvelles hiérarchies spécistes au sein desquelles nous mettrons en avant et privilégierons certains non-humains, comme les grands singes ou les dauphins, au détriment de tous les autres, que nous continuerons de traiter comme des choses dépourvues d’intérêts moralement significatifs.
Si, en revanche, nous voulons réfléchir sérieusement aux relations entre humains et non-humains, alors nous devons nous concentrer sur une, et une seule, caractéristique : la sentience. L’ironie de la chose, c’est que nous prétendons prendre la souffrance des non-humains au sérieux. Notre morale sociale nous fait pratiquement tous acquiescer à l’idée qu’il est moralement mal d’infliger souffrance et mort « non nécessaires » aux non-humains. Une telle interdiction n’a le moindre sens que si elle condamne la souffrance infligée aux dits non-humains au seul nom du plaisir, du divertissement ou du confort.
Or tel est, précisément, le problème : bien que nous exprimions notre désapprobation quant à l’infliction de souffrances non nécessaires aux non-humains, la plupart de ces souffrances et de ces morts sont causées uniquement pour satisfaire notre plaisir, divertissement ou confort, toutes « raisons » qui ne peuvent en aucun cas être qualifiées plausiblement de « nécessaires ». Nous tuons des milliards d’animaux chaque année pour la nourriture. Or il n’est pas « nécessaire », en quelque sens que ce soit, de manger de la viande ou des produits d’origine animale. Un nombre croissant de professionnels de la santé affirme même que ces produits peuvent être préjudiciables à la santé humaine. En outre, les scientifiques environnementaux signalent les conséquences et l’impact terribles de l’agriculture animale sur la planète. Il reste que notre seule justification pour la douleur, la souffrance et la mort infligées aux non-humains dans les élevages, n’est rien de plus que le plaisir que nous prenons au goût de leur chair.
Il n’est certainement pas nécessaire non plus d’utiliser les non-humains pour le sport, la chasse, le divertissement ou les tests chimiques, et un nombre considérable de preuves existe comme quoi le recours au modèle animal dans le cadre des expérimentations ou des tests de médicaments peut même s’avérer contre productive.
En résumé, lorsque nous abordons le sujet des non-humains, nous sommes atteints de ce que l’on peut parfaitement qualifier de schizophrénie morale. Nous disons une chose sur la manière dont ils doivent être traités, mais nous en faisons une autre. Nous sommes, bien sûr, conscients que nous manquons d’une approche satisfaisante quant au sujet de nos relations avec les autres animaux, et nous nous efforçons depuis un certain temps d’en trouver une.
Si nous prenions réellement au sérieux le principe voulant qu’il est mal d’infliger des souffrances non nécessaires aux non-humains, alors nous cesserions complètement de faire naître des animaux domestiques pour notre usage, et notre reconnaissance de leur statut moral ne dépendrait pas du fait de savoir si un perroquet peut comprendre les mathématiques, ou un chien se reconnaître dans un miroir. Nous prendrions au sérieux ce que Jeremy Bentham a dit il y a plus de deux siècles : « La question n’est pas : peuvent-ils raisonner, ni : peuvent-ils parler, mais : peuvent-ils souffrir ? »
Je discute extensivement de ces idées dans mon article “Taking Sentience Seriously”, paru originellement en 2006 et qui devait devenir le troisième chapitre de mon livre Animals as Persons: Essays on the Abolition of Animal Exploitation.
Deuxièmement, j’insisterai sur le fait que bien que Bentham ait correctement identifié la sentience comme la seule caractéristique requise pour avoir une importance morale, il a commis une erreur importante. Il a cru que les animaux ne se soucient pas du fait que nous les utilisions, mais seulement de la manière dont nous les traitons et les tuons. Selon Bentham, les animaux vivent dans le présent et ne sont pas conscients de ce qu’ils perdent quand nous leur prenons la vie. Si nous les tuons et les mangeons, « nous nous en trouvons mieux, et ils ne s’en trouvent pas plus mal. Ils n’ont pas de ces très longues anticipations de misère future que nous avons. »
Les échos de la pensée benthamienne subsistent dans le raisonnement de certains défenseurs des animaux, tel Peter Singer, qui déclare :
« Vous pouvez dire qu’il est mal de tuer un être lorsque cet être est sentient ou conscient. Dès lors, vous devez dire qu’il est mal de tuer un poulet ou une souris exactement de la même façon qu’il est mal de vous tuer, vous, ou de me tuer moi. Je ne peux accepter cette idée. C’est sans doute mal, mais des millions de poulets sont tués chaque jour. Je ne pense pas à cela comme à une tragédie de la même ampleur que lorsque des millions d’humains sont tués. Qu’est-ce que les humains ont de différent ? Les humains sont tournés vers l’avenir, ils ont des espoirs et des désirs pour le futur. Cela semble une réponse plausible à la question de savoir pourquoi, lorsque des humains meurent, c’est une telle tragédie. » (Indystar.com, 8 mars 2009)
« Pour éviter d’infliger de la souffrance aux animaux — sans mentionner le coût environnemental de la production animale intensive —, nous devons réduire drastiquement notre consommation de produits animaux. Mais cela signifie-t-il forcément un monde végan ? Ce serait une solution, mais pas nécessairement la seule. Si c’est le fait d’infliger de la souffrance qui nous préoccupe, plutôt que le fait de tuer, alors je peux aussi imaginer un monde dans lequel les gens consommeraient en majorité des aliments végétaux, mais occasionnellement s’offriraient le luxe de manger des œufs de poules élevées en plein air, ou peut-être même de la viande provenant d’animaux ayant vécu dans de bonnes conditions adaptées à leur espèce, avant d’être tués humainement à la ferme. » (The Vegan, automne 2006)
Dans un récent article intitulé “On Killing Animals,” publié dans The Point, j’ai soutenu que c’est le raisonnement de Bentham qui mène ceux-là mêmes qui affirment souscrire aux « droits des animaux » à penser que tuer des chiens et des chats en bonne santé peut être considéré comme moralement acceptable.
L’idée que l’intérêt à poursuivre sa vie est le propre d’une conscience de soi de type humain est précisément le type de raisonnement qui a conduit à la thèse voulant que bien que tous les animaux sentients aient des intérêts à ne pas souffrir qui comptent moralement, seuls certains d’entre eux ont un intérêt à ne pas être utilisés du tout ou tués à des fins humaines.
Je pense que l’approche des « esprits similaires », qui sert de fondement au mouvement de l’exploitation « heureuse » dominant actuellement le mouvement animaliste, est très peu judicieuse et doit être rejetée au profit de la position suivante : la sentience est suffisante pour fonder l’obligation de ne pas traiter un être exclusivement comme moyen d’une fin, quelque « humain » ce traitement puisse être.
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Si vous n’êtes pas végan, devenez-le s’il vous plaît. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients. Mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.
Le monde est végane ! Si vous le voulez.
Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2013 Gary L. Francione