James McWilliams, professeur d’histoire associé à l’Université d’Etat du Texas et auteur de Just Food: Where Locavores Get It Wrong and How We Can Truly Eat Responsibly, a publié un article provocateur sur Slate.com intitulé Vegan Feud. Le sous-titre : « Les militants des droits des animaux accompliraient bien davantage s’ils cessaient d’attaquer la Humane Society. »
McWilliams déclare :
Aucun auteur n’a plaidé la cause abolitionniste avec plus d’éloquence que le philosophe de Rutgers Gary Francione. Dans ses livres Animals as Persons et Rain Without Thunder, Francione, qui est également avocat, démontre avec force que la seule position éthiquement cohérente des humains vis-à-vis des animaux est l’élimination pure et simple de la propriété animale. Cette posture l’amène à attaquer HSUS à tout bout de champ. Quand, l’année dernière, HSUS a accepté de collaborer avec les United Egg Producers afin de légiférer sur l’agrandissement des cages des poulets, Francione a réagi en ces termes :
C’est parfaitement ridicule. Les cages « enrichies » impliquent la torture des poules. Point final. Cette torture peut être un tout petit peu moins terrible, de la même façon que les planches matelassées peuvent rendre le supplice de la baignoire un tout petit peu moins terrible. Mais soyons clairs : les poules seront toujours torturées. Et elles finiront toujours à l’abattoir.
La logique de Francione est imparable, mais il est peu probable que son message extrême résonne largement au sein d’une population comptant seulement 1,4 % de végans. Selon la psychologue sociale et végane de longue date Melanie Joy, l’approche abolitionniste attirerait beaucoup plus de partisans si elle reconnaissait, à l’instar d’HSUS, que le passage au véganisme demande un profond mouvement de conscience qui se produit seulement lorsque les gens sont personnellement prêts à le faire.
Comme l’indique le sous-titre de l’article, McWilliams estime que les abolitionnistes ne devraient pas critiquer HSUS.
Ce n’est pas la première fois que je suis en désaccord avec McWilliams (sauf lorsqu’il déclare que ma logique est « imparable » !).
J’ai donc posté, sur Slate.com, le commentaire suivant :
Cher James,
Comme vous pouvez vous y attendre, je ne suis pas d’accord avec votre article, que ce soit au niveau théorique ou pratique. J’ai quelques observations à formuler et une invitation à vous faire.En guise de préambule, laissez-moi être clair quant au fait que je n’ai aucune implication que ce soit dans l’événement qui a eu lieu lors de l’Animal Rights National Conference et que vous rapportez dans votre article — aucune implication autre que certaines de mes propres idées générées au cours des vingt dernières années et que certains « abolitionnistes » ont généreusement empruntées et régurgitées, souvent de manière incorrecte. Je dis cela non seulement parce que votre article peut être mal interprété, mais encore parce que vous devez faire attention à ne pas assimiler la position abolitionniste au comportement adopté par certaines personnes lors de l’événement susmentionné.
Mes remarques : le courant animaliste de type welfariste admet explicitement que la vie animale n’a aucune valeur morale en soi, et que nous ne causons pas de tort aux animaux si nous les tuons sans douleur. C’était le raisonnement de Bentham ; c’est aussi celui de Singer ; c’est enfin celui de la plupart des grosses organisations animalistes. C’est même précisément ce raisonnement qui permet à PETA de tuer des animaux en bonne santé qu’elle détient dans ses aménagements à Norfolk et de défendre cette idée qu’il est acceptable, de la part des autres refuges, de faire de même. Une telle position, selon moi, pose problème pour plusieurs raisons morales.
En outre, vous admettez sans l’ombre d’une critique que les réformes welfaristes apportent des améliorations importantes au bien-être des animaux. Je ne suis pas d’accord. Au mieux, ces réformes sont analogues au fait de rembourrer les planches à eau de Guantanamo Bay. Notez bien que j’ai dit « au mieux ». La plupart du temps, elles font encore moins que cela.
D’un point de vue économique, la plupart des réformes de bien-être ne font en fait qu’augmenter les rendements de production. Vous citez par exemple la campagne d’HSUS contre les stalles de gestation. Jetez donc un œil sur la documentation d’HSUS. Après avoir passé en revue l’état de la recherche agricole, il est dit : « La productivité des truies est meilleure dans les élevages en groupe que dans les stalles individuelles, par suite de la réduction des taux de blessures et de maladies, du premier œstrus qui survient plus tôt, du retour à l’œstrus plus rapide après accouchement, de la diminution du nombre de porcelets mort-nés, et des temps de mise-bas plus courts. Les systèmes de groupes employant des distributeurs électroniques d’aliments (« ESF ») sont particulièrement rentables. » En outre, « le passage des stalles de gestation aux élevages en groupe avec ESF réduit très légèrement les coûts de production et augmente la productivité. »
Par conséquent, pourquoi les industriels se battent-ils ? La vérité, c’est que ce n’est là qu’une scène du grand théâtre des relations symbiotiques existant entre eux et les grandes organisations animalistes. Ces dernières identifient des pratiques économiquement vulnérables ; les industriels résistent ; toute une farce s’ensuit, à l’issue de laquelle les industriels finissent par consentir à opérer des changements dépourvus de sens pour les animaux mais leur rapportant des bénéfices financiers ; les organisations animalistes, à partir de là, crient victoire et lancent des collectes de fonds ; les industriels, loués par les organisations, se mettent à rassurer le public en lui disant qu’ils se « soucient » réellement des animaux. Le public, convaincu, peut alors se sentir « plein de compassion » et continuer de consommer les animaux, en toute tranquillité d’esprit cette fois.
Vous évoquez le point de vue de Joy selon lequel devenir végan « demande un profond mouvement de conscience qui se produit seulement lorsque les gens sont personnellement prêts à le faire. » Quelqu’un a-t-il un jour prétendu le contraire ? Le problème n’est pas de savoir s’il s’agit d’une question de choix moral. Bien sûr que ça l’est. Le problème est de savoir si nous allons argumenter de façon à ce que les gens fassent ce choix moral, ou si nous allons les rassurer en leur disant qu’ils peuvent se décharger de leurs obligations morales envers les animaux en mangeant des produits d’origine animale « heureux » et en consommant de manière « compassionnelle », avec tout ce que cela implique, à la fois sur un plan théorique et pratique.D’une manière générale, j’ai trouvé déroutant que vous pensiez que nous soyons en mesure de rendre les gens plus réceptifs au message végan en décidant, avec Joy, Cooney et d’autres, que le public n’est simplement pas prêt à entendre des arguments sérieux à propos d’éthique animale. Je ne suis pas d’accord. Je pense que la plupart des gens peuvent très bien comprendre ce genre d’arguments. Le problème est que les groupes animalistes welfaristes ne veulent simplement pas qu’une telle discussion ait lieu. Depuis des années à présent, elles ont fait tout ce qui était possible pour l’étouffer. Vous semblez même croire que ce problème est récent. Il ne l’est pas. Le fait est qu’il fait l’objet d’un débat passionné depuis le début des années 1990. Je reconnais que certains défenseurs ont intérêt à faire croire qu’il s’agit de quelque chose de nouveau. Mais ce n’est pas le cas.
Mon invitation : puisque nous sommes tous les deux universitaires et que nous nous intéressons aux grandes questions, j’estime que nous devons débattre de ces sujets. J’ai créé, en relation avec le site www. abolitionistapproach.com, un podcast, et je vous invite en toute amabilité à me rejoindre pour en discuter.
Cordialement,
Gary
Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
J’espère que le Professeur McWilliams sera heureux de participer à ce débat. De plus amples informations suivront.
*****
Si vous n’êtes pas végan, s’il vous plaît, devenez-le. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients. Mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.
Le monde est végane ! Si vous le voulez.
Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2012 Gary L. Francione