Quelques réflexions à propos des organisations nationales

On m’a récemment invité à participer à une émission en deux parties diffusée sur la Vegan Freak Radio. À l’occasion des discussions incluses dans le section commentaires de la seconde partie de l’émission et dans celle des forums, a été soulevée la question de savoir si les défenseurs des animaux doivent se concentrer sur les activités locales et populaires, ou si le mouvement doit plutôt être contrôlé par des « dirigeants » qui fixent les objectifs du mouvement et les imposent aux activistes.

J’ai quelques idées à ce propos, que j’ai émises à l’occasion du forum de discussion et que j’aimerais partager avec vous.

À mon avis, il y deux problèmes intereliés :

Premièrement, même si certaines organisations nationales sont certes meilleures que d’autres, la plupart de ces groupes font la promotion de campagnes qui focalisent davantage sur le traitement des animaux plutôt que sur leur utilisation. C’est-à-dire qu’ils considèrent que le problème se situe principalement au niveau de la manière dont les animaux sont utilisés et non du fait même que les animaux soient utilisés. Or, tant et aussi longtemps que le traitement sera sa principale préoccupation, le mouvement tentera d’atteindre l’objectif évasif de réduire la souffrance en rendant l’exploitation plus « humaine » plutôt que d’abolir l’utilisation d’animaux en éradiquant graduellement leur statut de propriété.

Tel que je le soutiens depuis maintenant de nombreuses années, toute mesure prise à l’égard des animaux peut être considérée comme « réduisant leur souffrance ». Pourtant, ces mesures ont généralement pour but de protéger les intérêts des animaux dans la seule limite où il est économiquement avantageux de le faire et, donc, ne peuvent, d’aucune manière significative, être interprétées comme le résultat de la reconnaissance de la valeur inhérente des nonhumains. Au contraire, ces campagnes welfaristes renforcent souvent la valeur extrinsèque ou conditionnelle des animaux.

Deuxièmement, parce que les organisations nationales ont besoin de pouvoir régulièrement afficher des « victoires » afin d’obtenir du financement – pour défrayer, notamment, les salaires considérablement élevés de certains de leur directeurs, officiers et autres employés – ils construisent invariablement leurs campagnes de manière étroite et souvent insignifiante afin de pouvoir atteindre le plus grand nombre de donneurs et maximiser ainsi leurs chances de « succès ». Par exemple, ils mènent des campagnes focalisant sur les méthodes d’abattage plutôt que sur le fait de tuer; ils mènent des campagnes focalisant sur un type de vêtement fait à partir d’animaux, mais pas sur l’utilisation générale des animaux pour l’habillement. Et parce que la discussion à propos des stratégies et tactiques du mouvement est perçue comme un simple inconvénient qui coûte temps et argent, ces groupes qualifient souvent toute critique de « dénigrement ». Les désaccords ne sont pas tolérés. La critique est accusée de « diviser » le mouvement et de « causer du tort aux animaux ».

Ces deux problèmes ont agi en synergie pour produire un mouvement qui ne fait que reculer. Les « victoires » ne procurent aucune protection significative aux animaux à court terme et elles ne mèneront pas vers l’abolition à long terme. En effet, le résultat des campagnes des organisations nationales est de permettre au public de se sentir plus confortable par rapport à l’exploitation des animaux. Le paradigme ne change pas.

Si vous considérez que les choses vont dans la bonne direction et que de réels progrès sont obtenus, alors vous devriez continuer à appuyer les organisations nationales.

Si vous jugez qu’il est approprié pour les « membres exécutifs du mouvement de défense des animaux » de recevoir de hauts salaires, plusieurs comportant six chiffres, alors vous devriez continuer à appuyer les organisations nationales.

Si vous croyez qu’il est louable pour les organisations de défense des animaux de s’assoir sur des tas d’argent, souvent de plusieurs millions de dollars, alors continuez à supporter les riches organisations de défense animale.

Si vous êtes à l’aise avec le fait que certains « dirigeants », par exemple, prétendent qu’être un végan consciencieux est « fanatique », ou semblent considérer que les droits des animaux veulent dire des animaux morts, ou jugent que les réformes welfaristes insignifiantes témoignent qu’ « une révolution est en route », ou qui banalisent les sérieux problèmes liés à l’exploitation animale par des campagnes sexistes et puériles, ou qui octroient des prix aux concepteurs d’abattoirs ou accumulent les louanges flagorneuses à propos des commerçants de la viande « heureuse », et qui, à travers tout ça, considèrent toute forme d’expression d’un désaccord comme équivalent à de l’hérésie ou à de la trahison, alors, par tous les moyens, continuez à encourager ces organisations.

Mais si vous pensez que les choses vont dans une bien mauvaise direction, et si vous pensez que ce que permettent d’obtenir les nombreux millions de dollars qui sont donnés à ces groupes est épouvantablement pauvre, alors vous devriez envisager une approche alternative. Vous devriez rejeter l’idée selon laquelle l’activisme veut dire envoyer un chèque à une organisation nationale afin d’appuyer des campagnes visant des modifications règlementaires/législatives qui vont nulle part.

J’ai longtemps défendu que nous devions investir la plupart de nos ressources dans l’éducation au véganisme et dans sa défense. Nous devons être végans et nous devons faire tout ce que nous pouvons pour éduquer tout le monde à propos du véganisme. Il n’y aura jamais aucun progrès significatif vers l’éradication de l’exploitation animale tant que nous n’obtiendrons pas un mouvement abolitionniste populaire fort. Et nous ne pouvons espérer obtenir un mouvement abolitionniste sans adopter le véganisme comme fondement moral clair et non négociable. Et si des organisations nationales sont en place malgré tout, elles doivent avoir comme tâche principalement de fournir de la formation et de la littérature afin d’aider les activistes dans leurs efforts visant à offrir une éducation efficace et créative au véganisme/abolitionnisme.

Un mouvement fondé sur la viande « heureuse » et sur d’autres réformes limitées au bien-être animal sont inutiles et, en fait, contreproductives. La position en faveur du bien-être animal ne peut être distinguée de la position des exploiteurs d’animaux. Les exploiteurs d’animaux sont prêts à travailler avec les adeptes du bien-être animal parce que ces derniers visent des réformes qui, pour la plupart d’entre elles, rendent l’exploitation animale plus efficace. Les welfaristes, en effet, éduquent les exploiteurs à l’égard des changements mineurs qui pourront augmenter leur productivité et leurs profits.

Nous devrions également allouer nos ressources aux soins apportés aux nonhumains à qui nous avons imposé la vie et envers qui nous avons des obligations morales. Cela inclut les sanctuaires qui font la promotion du message abolitionniste, les bons refuges qui ne tuent pas les animaux, les familles d’accueil, les programmes de stérilisation, les TNR (capturer, stériliser, relâcher), etc. Dans la mesure où les organisations nationales investissent des dollars dans ces activités, il s’agit d’une bonne utilisation de l’argent. Mais la plupart d’entre elles investissent relativement peu ou pas de ressources dans ces activités de soins fournis aux animaux.

Pourquoi est-ce que le Peaceful Prairie Sanctuary fonctionne de bouche à oreille et a maintenant désespérément besoin de fonds alors que les organisations nationales défraient des salaires à six chiffres? Cette situation n’est qu’un exemple illustrant le fait que le « mouvement » représenté par les organisations nationales a perdu de vue les valeurs fondamentales et a misérablement failli.

Pendant plusieurs années, les organisations nationales contrôlaient les communications entre les défenseurs des animaux. Les défenseurs apprenaient ce qui se passait par l’entremise de publications et de conférences orchestrées par des organisations particulières dont la perspective était évidemment biaisée de manière à servir les objectifs de ces organisations. Les défenseurs ayant des vues différentes et dissidentes étaient exclus et leurs voix étaient effectivement réduites au silence.

Voilà qui est en train d’être complètement modifié grâce à internet, qui rend possible le développement d’un mouvement populaire non violent et abolitionniste international, basé sur le véganisme. Les organisations nationales tentent de supprimer ce mouvement émergeant en défendant que seul un mouvement opéré par des employés travaillant à temps plein et étant souvent hautement payés peut aider les animaux. Cela n’est pas surprenant, mais devrait être rejeté.

Nous sommes limités en temps et en ressources. Il s’agit de vases communicants. Chaque dollar que nous dépensons et chaque seconde de notre temps que nous accordons à des campagnes entourant des règlements/législations est un dollar en moins et une seconde en moins que nous consacrons à l’éducation vers le véganisme/abolition et au travail sur le terrain à l’égard des animaux.

Nous ne faisons aucun tort aux animaux en décidant d’affecter nos ressources aux campagnes véganistes/abolitionnistes et au travail entourant le soin des animaux et la stérilisation de ceux qui ne vivent pas à l’état sauvage par notre faute. En effet, si quelque chose cause du tort aux animaux, c’est la perpétuation du mythe insidieux selon lequel les réformes réduisent la souffrance de manière significative à court terme et mènent vers l’abolition de l’utilisation des animaux à long terme.

Nous n’avons pas besoin de grandes organisations dont les employés obtiennent des gros salaires et des voyages subventionnés. Chacun d’entre nous peut être un « dirigeant ». Si nous souhaitons obtenir du succès, chacun d’entre nous doit être un dirigeant, une force importante de changement. Chacun de nous a l’habilité d’affecter et d’influencer la vie des autres. Cela représente un travail difficile, c’est certain. Plusieurs ne seront pas intéressés; certains le seront. Mais les quelques personnes que nous rejoindrons en rejoindront d’autres, qui en rejoindront d’autres, et ainsi de suite. Et pour chaque personne qui adhèrera au véganisme, la source de l’oppression – la demande – sera réduite.

Si vous n’êtes pas végan, alors cessez d’être un exploiteur d’animaux et adoptez le véganisme. Si vous êtes végan, alors, pour cette simple raison, vous faites quelque chose d’important et ne laissez personne vous dire le contraire. Le véganisme est de l’activisme. Rappelez-vous que le véganisme n’est pas qu’une question de diète ou de mode de vie; c’est l’expression du principe abolitionniste. Il s’agit de votre engagement personnel envers la non violence.

Si vous voulez faire plus, alors mettez la main sur de la littérature clairement végane/abolitionniste, telle que celle qui est disponible sans frais sur le site de Peaceful Prairie Sanctuary. Distribuez cette littérature. Éduquez-vous vous-mêmes à propos de cette question. Parlez des considérations morales et environnementales du véganisme à toute personne qui accepte de vous écouter. Demeurez toujours respectueux dans votre manière de transmettre le message végan. Mais n’acceptez jamais de compromettre la clarté et l’aspect sans équivoque de votre opinion à l’effet que nous n’avons aucune justification morale d’exploiter quelque animal que ce soit – peu importe si cela est fait de manière « humaine » ou non.

Il y a de très nombreuses choses, que vous pouvez faire pour promouvoir l’abolition, qui coûtent très peu d’argent ou même rien du tout et qui ne requièrent que votre décision d’accomplir ce travail pour faire une différence.

À titre d’exemple : si vous êtes étudiant, tentez d’obtenir des mets végans dans votre école plutôt que d’encourager votre école à servir des œufs de « poules en liberté », qui impliquent tout de même d’horribles souffrances et qui trompent les gens en leur permettant de croire qu’ils sont alors des « consommateurs consciencieux ».

Regardez ce que les professeurs Bob Torres et Jenna Torres, les Vegan Freaks, ont fait. Avec un modeste montant d’argent mais beaucoup de travail et de persistance, ils ont utilisé internet pour éduquer à propos du véganisme et construire un réseau de végans à travers le monde. Vegan Freaks est un excellent exemple d’une forme créative d’éducation véganiste/abolitionniste et est beaucoup plus efficace que toutes les campagnes welfaristes dispendieuses combinées.

végane sur une base régulière au centre communautaire de votre région. Ou aidez ceux qui apportent des soins directement aux animaux. Il y a tellement plus de manières efficaces d’utiliser votre argent que de contribuer à la fortune des corporations de défense des animaux ou que de payer des salaires ou des voyages à leurs employés.

La première fois que quelqu’un vous dit qu’il ou elle est devenu(e) végan(e) en raison de vos efforts, vous réaliserez que vous n’avez pas besoin des « dirigeants » ou des « cadres des organisations animales nationales » qui contrôlent les choses et font taire la dissidence parce qu’elle nuit aux bonnes affaires. Vous verrez que vous, travaillant par vous-mêmes ou avec un ami ou deux et sans utiliser beaucoup d’argent, pouvez contribuer de manière importante au mouvement émergeant visant à mettre fin à l’esclavage animal plutôt qu’à le perpétuer en le rendant socialement plus acceptable parce qu’il est considéré plus « humain ».

Bien sûr, il est plus facile de signer un chèque, mais cela n’aide aucunement les animaux. Bien sûr, il est plus facile de suivre ce que les grosses corporations vous disent de faire plutôt que d’accomplir votre propre travail et d’être pour cela qualifié de « fractionnel » et « désobligeant » par les membres exécutifs de ces corporations. Mais tout mouvement social qui rejette la dissidence et le désaccord n’est pas un mouvement social, mais un culte. Et tout mouvement social qui maintient que l’activisme consiste à envoyer un chèque est devenu impuissant et n’est plus rien d’autre qu’une entreprise.

Vous avez – nous avons tous – la possibilité de changer cela. Et nous avons la responsabilité de le faire.

Gary L. Francione
© 2007 Gary L. Francione