Le Sunday Times (UK) du 26 novembre 2006 rapporte que, dans un documentaire de la BBC, Peter Singer, décrit par The Times comme « le père du mouvement contemporain des droits des animaux » rencontre Tipu Aziz, un vivisecteur d’Oxford qui utilise des primates dans le cadre de ses recherches sur la maladie de Parkinson. Aziz informe Singer qu’il induit le parkinson dans les primates et prétend que sont utilisation de 100 singes a aidé 40,000 humains. Singer répond :
Bien, je pense que dans un cas comme celui-là, il est clair qu’il faille admettre qu’il s’agissait d’une expérimentation justifiable. Je ne pense pas que vous devriez vous reprocher de l’avoir menée, considérant – puisque vous êtes l’expert en la matière, moi pas – qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’obtenir les mêmes connaissances.
Jusqu’à maintenant, j’ai reçu 64 courriels par lesquels des défenseurs des animaux des États-Unis, de l’Angleterre et d’ailleurs m’exprimaient leur surprise et leur incrédulité devant la position de Singer. Presque tous commençaient leur message en exprimant leur surprise, d’une manière telle que « pouvez-vous croire ce que Singer a dit? »
Ma réponse est simple : pourquoi êtes-vous surpris?
Si vous lisez ce que Peter Singer a écrit dans les 30 dernières années, il est absolument clair qu’il considère l’utilisation de nonhumains − et d’humains − dans le cadre de la vivisection comme moralement permissible. En effet, Singer rejette explicitement les droits des animaux et l’abolition de l’exploitation animale; il ne considère pas la consommation d’animaux ou de produits d’origine animale comme étant mauvaise en soi; il maintient que nous pouvons être des « omnivores consciencieux »; il prétend que nous pouvons avoir des rapports sexuels « mutuellement satisfaisants » avec des animaux, et il clame qu’il est moralement permissible de tuer des enfants handicapés.
En résumé, plutôt que de demander « pouvez-vous croire ce que Singer a dit? », il serait plus approprié de demander : est-ce que quelqu’un pourrait, s’il vous plait, expliquer comment Singer en est venu à être considéré comme le « père du mouvement contemporain pour les droits des animaux »?
Singer est un utilitariste. Il soutient que ce qui est bien ou mal dans n’importe quelle situation dépend seulement des conséquences. Si tuer 100 singes peut sauver 40,000 humains, alors l’action est moralement justifiable. Singer rejette explicitement l’idée des droits des animaux, qui interdirait de traiter ces 100 singes exclusivement comme des moyens d’atteindre nos fins. Mais Singer pense aussi qu’il serait approprié d’utiliser des humains sévèrement handicapés mentalement dans cette situation, parce qu’il serait spéciste de préférer des nonhumains aux humains qui lui paraissent se trouver dans une situation similaire. Donc, dès le départ, Singer fait la promotion d’une approche qui est complètement en désaccord non seulement avec la position des droits des animaux, mais aussi avec les principes des droits humains communément respectés et, en fait, est consistante avec les vues des docteurs nazis qui utilisaient des humains « défectueux » pour des expérimentations.
Singer soutient que, pour la plupart, les animaux n’ont pas intérêt à continuer à vivre. Ainsi, notre utilisation d’animaux ne soulèverait pas, en soi, de question morale; c’est notre traitement des animaux qui compterait. Singer le dit explicitement à plusieurs endroits, y compris dans Libération animale. Singer maintient que la plupart des animaux ne sont pas conscients d’eux-mêmes et n’ont ni une « existence mentale continue », ni de désir à propos du future (p.228). Un animal pourrait avoir un intérêt à ne pas souffrir, mais parce que « il ne peut pas saisir qu’il a « une vie », dans un sens qui requiert une compréhension de ce en quoi consiste exister pendant une certaine période de temps », l’animal n’aurait pas intérêt à continuer à vivre ou à ne pas être utilisé comme une ressource ou comme la propriété des humains (228-29). Les animaux ne se préoccuperaient pas du fait que nous les élevions et les abattions pour les manger, que nous les utilisions pour l’expérimentation ou que nous les exploitions comme nos ressources de n’importe quelle autre façon, du moment qu’ils puissent avoir une vie raisonnablement plaisante. Selon Singer, parce que les animaux ne possèdent aucun intérêt à vivre en soi, il n’est pas facile d’expliquer pourquoi la perte d’un animal tué n’est pas, d’un point de vue impartial, compensée par la création d’un nouvel animal qui mènera une vie également plaisante » (229). Même si Singer critique l’élevage industriel, il soutient qu’il est moralement justifiable de manger des animaux « qui ont eu une existence plaisante à l’intérieur d’un groupe social adapté à leurs besoins comportementaux et qu’ils sont tués rapidement et sans douleur » (229-30). Il affirme qu’il « peut respecter les personnes consciencieuses qui prennent soin de ne manger que la viande provenant de tels animaux » (230).
Dans le plus récent livre de Singer, The Way We Eat : Why Our Food Choices Matter (co-écrit avec Jim Mason), Singer argumente que nous pouvons être des « omnivores consciencieux » et exploiter des animaux de manière éthique si, par exemple, nous choisissons de ne manger que les animaux ayant été élevés et tués « humainement ».
Le message de Singer est clair : il peut être préférable d’être végan ou végétarien en raison des abus de l’élevage industriel. Mais il n’a pas d’objection à la mise à mort et à la consommation d’animaux pour l’alimentation et il n’en a jamais eu.
Si vous avez quelque doute à propos de cela, lisez l’interview accordée par Singer, parue dans l’édition du mois d’octobre du magazine new-welfariste Satya. Selon les mots de Singer lui-même :
Je pense que les gens se trompent s’ils pensent que j’ai dilué l’argument éthique sous-jacent. Aujourd’hui, certains assument incidemment que, dans Libération animale, je disais que tuer des animaux est toujours mauvais, et qu’il s’agissait là d’un argument pour devenir végétarien ou végan. Mais s’ils y retournent et fouillent dans Libération animale, ils ne trouveront pas cet argument.
Singer dit clairement que, ce qui est problématique, selon lui, ce sont les abus de l’élevage industriel. Une fois que nous avons rendu le procédé plus « humain », et que nous avons corrigé le problème de la souffrance, selon une manière utilitariste qui satisfait Singer, alors nous pouvons recommencer à manger des animaux. Singer pense que c’est une erreur que d’être « trop fanatique en insistant sur le mode de vie purement végan ». Lorsqu’on l’a questionné à propos de son propre véganisme, il a répondu : « Oh, il n’y a aucun doute à ce propos, je suis impur ».
Non seulement Singer ne perçoit aucun problème inhérent à la consommation d’animaux et de produits d’origine animale, mais il ne voit pas non plus de problème à avoir des contacts sexuels avec des nonhumains − une fois de plus, du moment que nous agissons « humainement ». Sur un site de pornographie « soft-core », Nerve.com, notre Père nous dit :
Mais le sexe avec des animaux n’implique pas toujours de cruauté. Qui ne s’est pas déjà trouvé dans une situation sociale interrompue par le chien des hôtes agrippant la jambe d’un invité pour frotter vigoureusement son pénis contre lui? L’hôte décourage généralement de telles activités, mais en privé tout le monde ne s’objecte pas à être utilisé par son chien de cette manière et, occasionnellement, des activités mutuellement satisfaisantes peuvent se développer. (voir critique)
Dans The Way We Eat, Singer et Mason rapportent avoir passé une journée à travailler dans une ferme où l’on faisait l’élevage de dindes, à « recueillir la semence et à l’inséminer dans les dindes ». Ils devaient attraper et maîtriser les dindons alors que l’employé « pressait leur orifice jusqu’à ce qu’il s’ouvre et que la semence suinte vers l’extérieur. En utilisant une pompe vacuum, il l’aspirait ensuite dans une seringue ». Singer et Mason ont alors « cassé » les dindes, ce qui implique qu’ils les maîtrisent « de manière à ce que leur postérieur soit bien droit et leur orifice ouvert » (28). L’inséminateur insérait alors un tube dans la dinde et utilisait une souffleuse à air comprimé pour pousser la semence dans l’oviducte de la dinde. Donc, apparemment, la version de Singer de la « libération animale » signifie que nous puissions infliger du tort aux animaux de manière à satisfaire notre curiosité à propos des mécanismes de l’exploitation animale.
Finalement, Singer maintient une position que la plupart d’entre nous considérons inacceptable en ce qui concerne les droits humains fondamentaux. Par exemple (un parmi plusieurs), dans Practical Ethics, Singer aborde la question de savoir s’il est acceptable de tuer un enfant qui est né avec l’hémophilie. Il maintient que, bien que cette question soit compliquée, il est possible d’argumenter qu’il est acceptable de tuer l’enfant, s’il s’agit là de la seule façon pour les parents d’avoir un autre enfant, « normal » cette fois, « alors que la mort de l’enfant infirme permettra la naissance d’une autre enfant ayant de meilleures chances de vivre une vie heureuse, le montant total de bonheur sera plus grand si l’enfant infirme est tu » (186) ». Même si cela signifie traiter l’enfant humain comme un objet « remplaçable », Singer soutient qu’il est possible d’argumenter que les enfants sont semblables aux nonhumains qui ne sont pas conscients d’eux-mêmes, et qu’il est acceptable de les tuer. Il prétend que « tuer un enfant infirme n’équivaut pas à tuer une personne. Très souvent, cela n’est pas mal du tout » (191).
Je pourrais continuer à présenter des exemples démontrant que les opinions de Singer n’ont rien à voir avec les droits des animaux ou avec ce que la plupart d’entre nous percevons comme une conception acceptable des droits humains. Mais la seule chose positive que nous puissions dire à propos de Singer est qu’il n’a jamais tenté de cacher ses vues. Par conséquent, je me demande pourquoi qui que ce soit serait surpris en entendant ses remarques, à propos de l’utilisation de singes que Aziz fait à Oxford.
Dans l’interview parue dans Satya, Singer dit, en réponse à une question à propos des réactions à The Way We Eat :
J’ai été heureux d’apprendre que des gens ayant eux-mêmes été végans, et ayant été impliqués dans certaines des organisations majeures de défense des droits des animaux, l’ont fortement apprécié. J’ai bien reçu quelques critiques, provenant des gens de qui je m’attendais à être critiqué. Je veux dire qu’il y a des gens qui me paraissent un petit peu trop prompts à critiquer les autres qui sont, en fait, du même côté de la clôture, mais qui ne sont pas aussi puristes qu’eux, et ils ne s’arrêtent qu’au fait que ce livre ne dit pas seulement qu’il faille être végan et rien d’autre.
Singer s’égare. Ceux qui croient qu’il est moralement mauvais de consommer des produits animaux ne sont pas du « même côté de la clôture », comme Singer le dit. La position de Singer n’est pas différente de celle des exploitations institutionnalisées d’animaux qui, comme Singer, soutiennent que nous pouvons utiliser des animaux, tant et aussi longtemps que nous prenons soin de nous assurer qu’ils ne souffrent pas « trop ». La position de Singer réduit le sujet des droits des animaux à un débat à propos de ce qui constitue « trop » de souffrance, ce qui passe à côté de l’idée fondamentale selon laquelle nous ne pouvons justifier l’utilisation – aussi « humaine » soit-elle – de nonhumains. Il n’y a rien de mauvais à être un « puriste » à propos des droits fondamentaux. Est-ce que qui que ce soit soutient qu’il est « puriste » de rejeter le viol « humain » ou les abus d’enfants « humains »? Bien sûr que non.
Aussi longtemps que le soi-disant « père du mouvement contemporain des droits des animaux » percevra comme « fanatique » la promotion du véganisme comme fondement moral, le mouvement continuera à faire exactement ce qu’il a fait dans les décennies passées – aller de reculons. Il est plus que temps que ceux qui recherchent l’abolition de l’exploitation animale et non seulement sa réglementation désavouent Notre Père et s’attaquent enfin à l’entreprise de créer un mouvement social et politique non-violent qui défiera l’exploitation animale d’une manière significative.
Gary L. Francione
© 2006 Gary L. Francione