Les animaux comme propriétés et l’analogie avec l’agression sexuelle: poscriptum

Depuis la publication, hier, de Véganisme: le principe fondamental du mouvement abolitionniste, j’ai reçu un certain nombre de courriels provenant de personnes qui affirment que l’analyse les a aidées à raffiner leurs idées à propos de cette question. Certaines gens ont posé des questions qui, bien qu’elles ne fussent pas toutes formulées exactement de la même façon, focalisaient généralement sur deux aspects − le statut de propriété de l’animal et l’analogie avec l’agression sexuelle. J’ai donc décidé d’élaborer quelque peu sur ces deux sujets généraux.

Les animaux comme propriétés

Premièrement, certaines personnes m’ont demandé d’expliquer plus en détails certains aspects de la question de l’impossibilité d’améliorer le bien-être animal parce que les animaux sont notre propriété.

Il s’agit là d’une question à propos de laquelle j’ai beaucoup écrit. Une bonne façon d’en apprendre davantage sur le problème est de commencer par visionner la présentation Les animaux comme propriétés, que vous trouverez sur mon site web.

D’une manière extrêmement simplifiée: Les animaux sont notre propriété; ils sont des marchandises. Parce que les animaux sont notre propriété, nous les percevons exclusivement comme des moyens d’atteindre nos fins. Les animaux n’ont donc aucune valeur inhérente; ils n’ont qu’une valeur extrinsèque ou limitée à celle que nous voulons bien leur accorder. Aux yeux de la loi, les animaux nonhumains ne sont guère différents des autres choses que nous possédons.

Bien sûr, il y a des différences factuelles entre les animaux et les autres types de propriétés en ce que, contrairement à nos voitures ou iPods, etc., les animaux nonhumains sont des êtres sensibles. Ils ont une conscience subjective. Ils ont des intérêts. Il y a des choses que les nonhumains veulent, désirent ou préfèrent − plus particulièrement, ils ont intérêt à ne pas souffrir, à ne pas faire l’expérience de la douleur et à continuer à vivre. De manière très importante, les propriétés animales sont différentes de toutes les autres sortes de propriétés. Une vache est un être sensible qui est subjectivement conscient et qui peut souffrir; un iPod n’est pas un être sensible et n’a pas de conscience subjective. Il n’y a rien qu’un iPod puisse vouloir, désirer ou préférer.

Le problème est que protéger les intérêts des animaux coûterait de l’argent. En général, nous ne protégeons les intérêts des animaux que lorsque cela nous procure un avantage économique.

Par exemple, l’abattage des vaches, particulièrement à une échelle commerciale, implique nécessairement de la douleur et de la souffrance. Nous exigeons que les vaches soient rendues inconscientes par un choc électrique avant de les abattre (à moins que les vaches ne soient abattues selon la procédure kasher ou halal) parce que, même si l’électrocution coûte de l’argent, cette dépense est justifiée. Les animaux qui sont d’abord électrocutés se débattent moins pendant le processus de l’abattage et cela réduit les risques que les employés subissent des blessures et que les carcasses soient endommagées, ce qui permet à la viande d’être vendue plus cher.

Les vaches ont beaucoup d’autres intérêts en plus de ceux qu’elles ont juste avant que l’on plante un couteau dans leur gorge et plusieurs de ces autres intérêts sont liés à leur intégrité. Mais nous ne protégeons pas ces autres intérêts parce qu’il ne serait pas économiquement justifié de le faire. Protéger ces autres intérêts coûterait de l’argent et ces coûts devraient, du moins en bonne partie, être assumés par les consommateurs. Même si la plupart des gens ont vaguement l’impression que les animaux devraient être traités « humainement », la réalité est que la plupart des gens mangent des animaux et consomment des produits d’origine animale. Or, si elles prenaient vraiment cette question au sérieux, ces personnes ne se soucieraient pas seulement de la manière dont les animaux sont traités, mais elles cesseraient carrément de les manger. Autrement dit, la plupart des gens ne sont pas prêts à « acheter » plus de protection aux animaux.

Par conséquent, le niveau de bien-être des animaux est lié à leur statut de marchandises et demeure bas. De manière générale, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une société dans laquelle on mange des nonhumains − une pratique qui ne peut être justifiée autrement que par le plaisir ou la convenance des êtres humains − décide d’ « acheter » plus de protection pour les animaux, considérant que cela coûte de l’argent et que toute augmentation de la protection entraînerait une hausse considérable des coûts des produits d’origine animale.

Ce statut de marchandises des animaux est reflété dans nos lois de protection des animaux et dans les campagnes de type « welfariste » des organisations de défense des animaux.

Les lois de protection des animaux interdisent l’imposition de souffrance « non nécessaire », mais cette condition a été historiquement interprétée à l’aune de ce que les industries exploitant des animaux perçoivent comme de la souffrance « nécessaire ». Et les industries protègent généralement les intérêts des animaux dans la limite de ce qui est justifié par l’avantage économique que cela procure. Pourquoi est-ce que la loi se préoccupe des standards des industries? Plusieurs raisons peuvent être identifiées. Une de celles-ci est que nous présumons que les gens qui élèvent des nonhumains pour les abattre n’imposeront pas de douleur ou de souffrance à leurs propriétés sans raison puisque cela entraînerait la réduction de la valeur de leur propriété animale. Une autre raison est que plusieurs mesures législatives visant à protéger les animaux sont des infractions criminelles (telles que les lois anti-cruauté par exemple) et que, parce qu’il s’agit d’infractions graves, il faut que les gens puissent assez facilement savoir ce qui constitue une conduite interdite. Les standards de l’industrie dictent donc ce qu’il est légalement acceptable ou non de faire.

Si vous examinez les campagnes welfaristes, vous verrez que la plupart d’entre elles associent la protection des intérêts des animaux à des considérations économiques. Jetez un œil à mon blog sur les campagnes américaines concernant les cageots de gestation des truies. Ce blog met en évidence à quel point la promotion des alternatives à la gestation en cageots est basée sur le fait que ces alternatives promettent de rendre la production porcine davantage rentable.

Le lien entre les standards du bien-être animal et les bénéfices économiques pour les êtres humains est explicitement exprimé par les experts du bien-être animal. Pensons à certains commentaires de Temple Grandin, designer d’abattoirs et consultante pour l’industrie de la viande, qualifiée de « visionnaire » par PETA en raison de son travail au niveau du design de certains abattoirs. PETA décrit Grandin comme « l’experte mondiale en matière de bien-être du bétail et des porcs. ».

Une fois que le bétail – bovins, porcs et moutons – arrive à l’abattoir, le respect des procédures de manutention appropriées est non seulement important pour le bien-être des animaux, mais il peut aussi faire une différence entre des profits et des pertes. Des études ont clairement démontré que plusieurs bénéfices au niveau de la qualité de la viande peuvent être obtenus par des manipulations soignées et calmes de l’animal…La manipulation appropriée des animaux ne fait pas que répondre à des idéaux éthiques, mais peut aussi garantir que l’industrie de la viande poursuivra ses activités de manière sûre, efficace et profitable. (voir source)

Assommer un animal correctement procurera une viande de meilleure qualité. Un assommage électrique inapproprié risque de laisser des traces de sang dans la viande et de causer des fractures des os. De bonnes pratiques d’assommage sont aussi requises pour qu’une usine respecte la Humane Slaughter Act et pour le bien-être animal. Lorsque l’assommage est fait correctement, l’animal ne ressent pas de douleur et il devient instantanément inconscient. Un animal qui est assommé convenablement produira une carcasse rigide sur laquelle les travailleurs peuvent travailler de manière sécuritaire. (voir source)

Une manipulation délicate dans un établissement bien organisé minimisera le niveau de stress, augmentera l’efficacité et maintiendra la qualité de la viande. Une manipulation brutale ou un équipement mal conçu sera désavantageux tant pour le bien-être animal que pour la qualité de la viande. (voir source)

Le fait que PETA perçoive Grandin comme une « visionnaire » est une des nombreuses bonnes raisons pour lesquelles personne, parmi ceux qui défendent sérieusement l’abolition, ne devrait prendre PETA au sérieux.

Le mouvement pour le bien-être animal existe depuis maintenant environ 200 ans et nous utilisons pourtant plus de nonhumans et ce, de manières encore plus horribles, qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire de l’humanité. Il ne s’agit pas là d’un problème académique ou théorique. La simple réalité est que le mouvement pour le bien-être animal ne fonctionne pas. S’il s’avère que certaines mesures de protection des animaux entraînent une certaine réduction de la douleur et de la souffrance, c’est généralement seulement parce qu’il était économiquement avantageux de protéger certains des intérêts des animaux. Et, sans doute aussi, parce qu’un niveau minimal de protection est la seule chose qui puisse être étalée pour justifier tout le temps, l’énergie et l’argent que plusieurs générations de défenseurs des animaux ont investis depuis le 19e siècle. Si vous embrassez l’éthique abolitionniste, il est totalement insensé de continuer à lutter pour obtenir la réglementation du bien-être.

De manière générale, le bien-être animal ne fait guère plus que nous donner l’impression d’être plus « humains » et « civilisés ». Nous nous sentons mieux lorsque nous nous asseyons pour manger des animaux parce qu’il y a des standards nous assurant qu’ils ont été traités « humainement ». Cela a tout à voir avec notre confort et rien à voir avec celui des nonhumains que nous exploitons.

Si vous voulez en savoir davantage à propos du problème de la propriété, jetez un coup d’œil à ma présentation en ligne Les animaux comme propriétés.

L’analogie du viol

Deuxièmement, certaines personnes m’ont demandé d’expliquer davantage l’analogie du viol. Dans le cadre de mon blog, j’ai affirmé qu’il est « mieux », pour un violeur, de ne pas battre sa victime en plus de la violer, mais que cela ne fait pas d’un viol à l’occasion duquel la victime n’est pas battue, un acte moralement acceptable, ni ne nous justifie de féliciter le violeur parce qu’il a été un « violeur consciencieux » ou de déclarer qu’il est un « violeur visionnaire ». J’utilise cet exemple pour m’aider à expliquer pourquoi je trouve qu’il est troublant de voir certains des plus importants défenseurs s’empressant de féliciter des personnes comme John Mackey de Whole Foods, ou Temple Grandin. Honorer de telles personnes n’est pas mieux que de donner une récompense aux violeurs qui ne battent pas leurs victimes. Puisque les abolitionnistes veulent abolir l’utilisation des animaux, il est problématique qu’ils supportent des mesures faisant la promotion de l’idée selon laquelle l’exploitation est acceptable, du moment que certaines limites sont respectées.

J’ai déjà offert quelques commentaires à propos de Grandin ci-haut. Laissez-moi dire quelques mots à propos de Mackey. Singer, Regan, PETA et d’autres sont tous terriblement excités à propos de Mackey, parce que celui-ci est supposément un végan engagé à respecter des « standards stricts » de bien-être animal. Mettons d’abord de côté la question de savoir si ces soi-disant « standards stricts » feront quelque différence réelle que ce soit pour les animaux ou s’ils ne sont que des déclarations éclatantes qui n’auront aucun effet concret. Nous pouvons sérieusement nous demander ce qui est le pire : un végan prétendant croire qu’il est moralement inacceptable de manger de la viande, de consommer des produits laitiers et des œufs, mais qui vend ces produits afin de faire de l’argent, ou le directeur général d’un marché d’alimentation ordinaire, qui mange de la viande et boit du lait parce qu’il n’a jamais réfléchi aux problèmes éthiques que cela soulève. Au moins, cette dernière personne n’est pas hypocrite. Mais récompenser la première ou, comme l’a fait Tom Regan, en faire son invité d’honneur à l’occasion d’une conférence à propos des « individus qui donnent l’exemple en osant défier le statu quo et défendre la cause des opprimés » est, à mon avis, rien d’autre qu’obscène.

Le but visé par l’analogie avec le viol est d’aider à établir une distinction entre deux idées très différentes :

  1. l’idée selon laquelle, si nous devons infliger un tort, il est mieux d’infliger moins de dommage que plus de dommage; et
  2. l’idée selon laquelle, en infligeant moins de dommage, nous faisons quelque chose de moralement admirable, qui mérite que nous en fassions la promotion en tant qu’action positive.

Il s’agit là d’idées très différentes et c’est ce que l’analogie était destinée à démontrer.

Nous pouvons facilement penser à des variations sur ce même thème. Si X est un pédophile, il est mieux qu’il moleste cinq enfants plutôt que dix. Mais cela ne signifie pas que le pédophile qui ne moleste que cinq enfants soit, au plan moral, un « pédophile consciencieux » ou un « pédophile visionnaire ». Il est « mieux » de ne pas torturer une victime avant de la tuer, mais ne pas torturer votre victime ne fait pas de vous un « meurtrier consciencieux » ou un « meurtrier visionnaire ». La liste n’est limitée que par l’étendue des actes violents et immoraux auxquels on peut penser.

L’erreur commise par Singer, Regan, PETA, et autres est de confondre l’idée selon laquelle il est mieux d’infliger moins de dommage que plus avec la position très différente selon laquelle infliger moins de dommages fait de la personne qui impose ces dommages un « imposeur de dommages consciencieux ».

Il est crucial de ne pas confondre ces deux très différentes idées. Si un groupe de défense des droits des femmes récompensait un violeur parce qu’il ne bat pas ses victimes, ou qu’une organisation de défense des droits des enfants récompensait un pédophile qui n’a molesté que cinq enfants plutôt que dix, ou qu’une organisation de défense des droits des victimes récompensait un tueur en série parce qu’il ne torture pas ses victimes avant de les tuer, nous serions bien légitimement horrifiés et ne considérerions pas une seconde la possibilité d’appuyer ces organisations.

Si nous pensons réellement que l’exploitation des nonhumains est pertinemment similaire à l’exploitation des humains, alors nous ne devrions considérer aucunement plus acceptable de récompenser quelqu’un qui exploite les nonhumains « humainement » que de récompenser un violeur, un pédophile ou un meurtrier « humanitaire ». Traiter ces deux situations différemment serait évidemment spéciste.

Si le mouvement de défense des animaux a le moindre espoir de changer la façon dont les humains envisagent l’exploitation animale, nous devons être parfaitement clairs : même si infliger moins de dommages est toujours moins pire qu’infliger plus de dommages, nous ne sommes aucunement justifiés d’infliger quelque dommage que ce soit et nous ne devons pas offrir de récompense, louanger ou faire la promotion de ceux dont le commerce est de vendre des parties d’animaux ou des produits provenant de nonhumains élevés « humainement » ou encore de s’assurer que les propriétés que sont les animaux soient exploitées de manière efficace afin que, selon les mots de Temple Grandin que PETA qualifie de visionnaire, nous fassions en sorte que« l’industrie de la viande continue à être sécuritaire, efficace et profitable ».

Gary L. Francione
© 2006 Gary L. Francione