Les campagnes ciblées dans les contextes humain et nonhumain

Chers Collègues :

En réponse à mes commentaires sur les campagnes ciblées, j’ai reçu hier soir le courriel suivant :

Pr Francione :

Si les campagnes ciblées ne sont pas souhaitables, cela signifie-t-il que nous ne devrions rien faire pour Haïti sous prétexte que nous ne venons pas au secours de ceux qui souffrent partout ailleurs ? Cela ne conduit-il pas à ne rien faire ?

[nom]

C’est une bonne question. Je l’ai déjà abordée, mais à la lumière de mes récents billets, c’est bien d’en reparler.

Lorsque nous soutenons l’aide en Haïti, nous ne sommes pas en train de dire que la souffrance qui sévit partout ailleurs est une bonne chose. Nous reconnaissons tous que la souffrance d’humains innocents est une mauvaise chose où qu’elle ait lieu. Le fait que nous choisissions d’aider Haïti ne signifie pas que nous pensons que les souffrances des humains, mettons, au Darfour, soient souhaitables ou que les gens du Darfour importent moins. De la même manière, le fait que nous choisissions de nous consacrer à la maltraitance enfantine ne veut pas dire que nous estimons le viol acceptable ou moins choquant sur le plan moral.

Pour résumer, si X, Y et Z sont tous perçus comme moralement indésirables, le choix de travailler sur X ne véhicule pas pour autant l’idée que Y et Z sont moralement acceptables.

Pour ce qui est des animaux, l’analyse est différente. La plupart des gens estiment que manger de la viande, des produits laitiers ou tout autre produit d’origine animale, de porter ou d’utiliser des produits animaux, est aussi naturel que boire de l’eau ou respirer. Par conséquent, lorsque nous distinguons une forme d’exploitation animale, nous le faisons nécessairement dans une intention morale.

C’est-à-dire que si la plupart des gens pensent que manger de la viande, des produits laitiers et des œufs est naturel et ne soulève aucun problème d’ordre éthique, se focaliser sur la viande véhicule alors nécessairement l’idée que les produits laitiers et les œufs sont différents et que leur consommation est moralement acceptable, ou à tout le moins moralement différentiable.

Pour résumer, si X, Y et Z sont tous perçus comme moralement acceptables et que vous distinguez X comme moralement problématique, vous dites implicitement au public que Y et Z sont différents de X et qu’ils ne sont donc pas moralement inacceptables, ou qu’à tout le moins ils sont moralement différentiables de X.

Nous constatons ce problème tous les jours : les gens pensent que la fourrure diffère moralement du cuir, de la laine ou de la soie ; ils pensent que la viande diffère moralement des autres produits d’origine animale.

Tel est le problème posé par les campagnes ciblées dans le contexte de l’exploitation animale. Ce problème n’existe pas lorsque les humains sont concernés.

Nous n’avons pas besoin de campagnes ciblées pour nous lancer dans un activisme actif. Il y a quelque chose que chacun d’entre nous peut faire tous les jours : être végan et s’impliquer dans une éducation au véganisme créative et non-violente.

Laissez-moi être très clair : je pense que les campagnes ciblées sont problématiques et qu’elles risquent de perpétuer la confusion, y compris dans les circonstances les plus idéales. Je pense que les défenseurs seraient bien avisés de se tenir à l’écart des campagnes ciblées. Si néanmoins vous tenez absolument à vous lancer là-dedans, merci de minimiser au moins la confusion qui en résulte en vous assurant que le message « aucune exploitation » est explicite et clair comme le cristal. Par exemple, si un cirque vient dans votre ville et que vous voulez protester contre un tel événement, assurez-vous au moins (en plus d’être pacifique et non-violent dans votre protestation) d’être explicite en incluant dans votre documentation et dans toutes vos discussions avec les gens que les cirques sont seulement représentatifs de l’exploitation animale en tant que phénomène global, et que nous devrions arrêter complètement de manger, de porter et d’utiliser les animaux. Faites du cirque un « point de discussion », mais ne le dépeignez pas comme moralement différentiable des autres formes d’exploitation animale.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
©2010 Gary L. Francione