Chères collègues et chers collègues :
Depuis maintenant plusieurs années, j’utilise l’expression « schizophrénie morale » pour décrire la manière confuse et illusoire dont nous, humains, pensons le statut moral des animaux nonhumains.
Ce matin, je suis tombé sur un exemple de schizophrénie morale qui m’a paru remarquable.
L’Associated Press rapporte l’histoire suivante : Les grands requins blancs chassent exactement comme Hannibal Lecter. Selon ce qui est raconté, des personnes apparemment considérées comme des scientifiques soutiennent ce qui suit :
Les grands requins blancs ont quelque chose en commun avec les tueurs en série, nous apprend une nouvelle étude : ils n’attaquent pas au hasard, mais traquent des victimes spécifiques, qui tentent de leur échapper.
Selon une étude publiée en ligne lundi dans le Journal of Zoology, les requins restent à l’écart et observent d’un point de vue ni trop rapproché, ni trop éloigné, chassent stratégiquement et apprennent de leurs précédentes attaques. Les chercheurs ont utilisé une méthode servant à comprendre le profil des tueurs en série pour saisir comment chasse ce prédateur sans peur des océans, ce qui est difficile à observer de la surface.
Réfléchissons à tout ça quelques secondes. Les animaux nonhumains sont comme des tueurs en série parce qu’ils chassent de façon stratégique et parce qu’ils prennent des décision délibérées à propos de ce qu’ils vont manger.
S’agit-il d’une blague?
Les chasseurs humains ne font-ils pas la même chose? Bien sûr que oui.
L’article continue :
Il y a une grosse différence entre les grands requins blancs et les tueurs en série et elle peut être identifiée par les bonnes vieilles méthodes d’enquête : la recherche du motif. Les grands requins blancs attaquent pour manger et survivre, pas pour le plaisir. Et les grands requins blancs sont des créatures majestueuses qui doivent être sauvées, nous dit Hammerschlag.
Mais la plupart des chasseurs humains ne chassent pas pour survivre; ils chassent parce qu’ils aiment traquer et tuer. Est-ce que cela ne les rend pas davantage comparables aux tueurs en série, compte tenu de la définition que donne l’auteur de l’article de ces derniers? Il me semble qu’il s’agit là de la conclusion logique à laquelle nous mène inéluctablement l’article.
Le fait que les animaux nonhumains agissent de manière stratégique pour se procurer de la nourriture ne les distingue pas des chasseurs humains -ou, en l’occurrence, des consommateurs humains qui font des choix alimentaires lorsqu’ils parcourent les allées du supermarché.
De plus, le comportement des requins (et d’autres nonhumains) consistant à traquer est une preuve assez probante du fait que les nonhumains sont cognitivement sophistiqués et capables de penser rationnellement. Comme vous le savez, ma théorie des droits des animaux requiert seulement que les nonhumains soient sensibles pour être des membres à part entière de la communauté morale. Aucune autre capacité cognitive n’est nécessaire. Cela signifie que, du moment que les animaux sont conscients de leurs perceptions et peuvent ressentir la douleur, nous avons l’obligation morale de ne pas traiter ces animaux comme des ressources à la disposition des êtres humains. Mais ce comportement de traqueur indique tout de même que la philosophie occidentale, qui a traditionnellement nié toute pensée rationnelle aux animaux, s’est tout simplement trompée. En fait, l’analyse du comportement de chasse des requins que les chercheurs ont offerte constitue une preuve convaincante que certains humains sont incapables de penser rationnellement.
Afin de nous sentir « supérieurs » et de maintenir la fantaisie voulant que le nonhumain soit l’« autre », nous tentons une analogie qui rend de notre propre comportement (dans le cas des chasseurs humains, l’analogie est beaucoup plus appropriée que dans celui des requins) comparable à celui d’un « tueur en série ». Voilà un exemple illustrant parfaitement à quel point notre raisonnement est confus et erroné; c’est ce que je veux dire lorsque je parle de schizophrénie morale.
Gary L. Francione
© 2009 Gary L. Francione