On me demande souvent ce que je pense des personnes qui encouragent la violence à l’endroit de ceux qui exploitent des animaux.
Ma réponse est simple : je suis violemment opposé à la violence.
Trois raisons sous-tendent ma position.
Premièrement, la position des droits des animaux représente, pour moi, l’ultime rejet de la violence. Il s’agit de l’affirmation ultime de la paix. Je considère le mouvement en faveur des droits des animaux comme la progression logique du mouvement pour la paix, qui vise à mettre fin aux conflits entre les êtres humains. Le mouvement des droits des animaux cherche idéalement à faire un pas de plus et à faire cesser les conflits entre les humains et les nonhumains.
La raison pour laquelle la situation mondiale actuelle est un tel gâchis est que, à travers l’histoire, nous avons continuellement posé des actes violents que nous avons tenté de justifier en prétendant que des moyens indésirables peuvent mener à des résultats désirables. Quiconque ayant déjà eu recours à la violence prétend regretter avoir eu à le faire, mais argumente que certains objectifs justifient ce choix. Le problème est que cela participe à perpétuer le cercle vicieux de la violence en faisant en sorte que quiconque est convaincu d’une chose peut avoir recours à la violence afin d’accomplir un soi-disant plus grand bien et ceux qui sont la cible de cette violence peuvent alors se sentir justifiés de répondre à leur tour par la violence. Et ainsi de suite.
Il s’agit là d’un raisonnement moral de type conséquentialiste qui détruit le monde et le mène à de très étranges contradictions. Une grande partie du monde occidental adhère au christianisme. Bien que le Nouveau Testament ne soit pas très clair à propos de certaines questions, il affirme clairement que la violence doit être rejetée. Pourtant, les supposés dirigeants de l’église chrétienne et leur supposé électorat chrétien justifient les actions les plus violentes en affirmant, avec une apparente réticence, viser un plus grand bien, peu importe ce que cela peut être. Ceux envers qui ces actions violentes sont dirigées prétendent également adhérer à des religions qui rejettent la violence, mais se sentent justifiés de recourir à la violence en réponse aux attaques qu’ils subissent. Alors nous nous trouvons devant des gens qui prétendent tous rejeter la violence, notamment pour des raisons religieuses, mais qui se livrent à la violence. Et nous disons ensuite que les humains sont rationnels alors que les nonhumains ne le sont pas!
La violence implique que l’on traite les autres comme des moyens permettant d’accomplir certaines fins plutôt que comme des fins en soi. Lorsque nous agissons de manière violente à l’endroit d’autres êtres – qu’ils soient humains ou nonhumains – nous ignorons la valeur inhérente de ceux-ci. Nous les traitons comme de simples choses qui n’ont aucune autre valeur que celle que nous décidons de leur donner. Voilà ce qui porte des gens à commettre des crimes violents contre les personnes de couleur, les femmes, les gais et les lesbiennes. Voilà ce qui nous porte à considérer les nonhumains comme des marchandises et à les traiter comme des ressources qui n’existent que pour notre usage. Tout cela est mal et doit être rejeté.
Deuxièmement, contre qui est-ce que ceux qui défendent le recours à la violence veulent-ils diriger cette violence? Le fermier qui élève des animaux parce qu’un nombre atterrant d’humains exigent de manger de la viande et des produits animaux. Le fermier élève ces animaux dans des conditions intensives parce que le consommateur veut de la viande et des produits animaux à un prix aussi bas que possible. Mais est-ce que le fermier est le seul coupable dans cette situation? Ou est-ce que la responsabilité est partagée par tout ceux qui, parmi nous, mangent des produits d’origine animale, incluant tous les omnivores consciencieux, ces « sympathisants à la cause animale » qui ne sont pas végans et qui consomment des « œufs de poules en liberté » ou de la « viande heureuse », et créent ainsi la demande à laquelle répondent des fermiers qui, autrement, feraient autre chose de leur vie? Je suppose qu’il est plus simple de qualifier le fermier d’« ennemi » et d’ignorer la réalité dans cette situation.
Et qu’en est-il du vivisecteur, une cible notoire de ceux qui défendent le recours à la violence? En mettant de côté le débat entourant la question de savoir si la vivisection permet réellement d’obtenir des données utiles pouvant répondre à des problèmes de santé humaine, contentons-nous de remarquer que la plupart des maladies pour lesquelles les vivisecteurs cherchent des remèdes et des traitements en utilisant des animaux pourraient être évitées entièrement ou être beaucoup moins répandues si les humains arrêtaient de manger de la nourriture provenant d’animaux et abandonnaient leur pratiques destructrices comme leur habitude de fumer, de boire trop d’alcool, de consommer des drogues et de ne pas faire d’exercice. Encore une fois, qui est le véritable coupable? Je ne pense évidemment pas que la vivisection soit justifiable pour quelque raison que ce soit, mais je trouve curieux que ceux qui défendent l’usage de la violence arrivent à considérer les vivisecteurs comme détachés des conditions sociales qui donnent lieu à la vivisection – et à l’égard de la mise en place de ces conditions, nous sommes tous complices.
De plus, nous ne devons pas oublier qu’il y a toujours plusieurs façons de répondre aux différents problèmes de santé. La vivisection en est une et, du point de vue de plusieurs (dont le mien), il ne s’agit pas là d’une option très efficace. La décision d’investir des ressources sociales dans la vivisection plutôt que dans d’autres moyens possiblement plus efficaces relève du domaine politique autant, ou probablement davantage, que du domaine scientifique.
Par exemple, les dépenses considérables liées à la recherche sur le SIDA qui implique l’utilisation d’animaux se sont avérées fort peu efficaces pour réduire le nombre de personnes souffrant du SIDA et la plupart de ce qui a permis de rallonger et d’améliorer la vie de ceux qui souffrent du VIH/SIDA vient de tests cliniques faits sur des humains ayant consenti à ces essais. Il est certainement raisonnable de penser que, si l’argent dépensé en recherche sur des animaux avait plutôt été investi dans l’éducation aux relations sexuelles protégées, dans des campagnes de sensibilisation aux risques liés aux échanges de seringues et dans la distribution de préservatifs, le taux de nouveaux cas de VIH aurait considérablement chuté. Le choix de recourir à l’expérimentation sur des animaux pour répondre au problème est, de plusieurs manières, une décision politique et sociale. L’expérimentation sur des animaux est considérée comme un moyen acceptable de résoudre le problème du SIDA alors que les programmes de distribution de seringues et de condoms, de même que l’éducation au sexe sans risque demeurent politiquement controversés.
Alors une fois de plus, le vivisecteur n’est pas le seul coupable ici. En fait, on pourrait très bien soutenir que les principaux responsables de l’utilisation d’animaux dans la recherche visant à contrer le SIDA sont les politiciens réactionnaires qui répondent aux volontés réactionnaires d’une base politique qui rejette les manières les plus efficaces de composer avec le problème du SIDA.
Troisièmement, je ne comprends pas très bien ce que cherchent à accomplir concrètement ceux qui appuient la violence. Ils ne peuvent assurément pas espérer rendre le public plus sympathique aux intérêts des animaux nonhumains. Il est même possible que le contraire soit vrai et que ces réactions aient davantage d’effets négatifs au niveau de la perception du public. Nous vivons dans un monde où pratiquement tous les gens qui peuvent se permettre de manger des produits animaux le font. Un tel monde n’est pas un contexte dans lequel la violence peut être interprétée autrement que d’une manière négative.
En d’autres mots, dans un monde dans lequel manger des produits animaux est considéré par la plupart des gens comme quelque chose d’aussi « naturel » ou « normal » que de boire de l’eau ou respirer de l’air, les actes violents ont bien des chances d’être perçus comme rien d’autre que des actes de démence et ne feront rien pour faire progresser la réflexion sociale sur la question de l’exploitation des animaux.
L’exploitation animale est omniprésente dans notre société. Et cela est le cas parce que nous croyons que la fin (les supposés bénéfices que nous obtenons grâce à l’utilisation des animaux) justifie les moyens (l’imposition de souffrance et la mise à mort de milliards de nonhumains chaque année), et parce que nous traitons les animaux exclusivement comme des marchandises et ignorons leur valeur inhérente. On ne peut sérieusement espérer corriger cette situation en se servant de ces notions pour justifier la violence contre les humains.
Le fait qu’au moins certains des « défenseurs des animaux » qui approuvent le recours à la violence ne soient pas végans est profondément déroutant. Ces personnes se soucient des animaux à un point tel qu’elles défendent la possibilité de blesser les humains qui les exploitent, mais semblent ne pas pouvoir eux-mêmes cesser d’exploiter des nonhumains.
La conclusion est claire. La seule façon d’agir qui pourrait peut-être avoir un jour un impact significatif sur le problème est l’éducation vraiment pacifiste. Et cela commence par la décision que chacun d’entre nous doit prendre de devenir végan et de rejeter la violence dirigée contre les animaux dans nos propres vies, et d’ensuite éduquer les autres, de manière créative et non-violente, à propos de la nécessité d’embrasser le véganisme.
Je compte discuter cette question plus en profondeur à l’occasion de prochains essais, mais je voulais partager avec vous certaines réflexions préliminaires.
Gary L. Francione
© 2007 Gary L. Francione