Le message erroné des néo-welfaristes

Chères collègues et chers collègues :

Parmi mes abonnements, se trouve le Farmed Animal Watch qui est publié périodiquement par le Farmed Animal Net, un groupe formé par des gens des organismes People for the Ethical Treatment of Animals, Farm Sanctuary, The Humane Society of the United States et autres.

Le plus souvent, Farmed Animal Watch rapporte des enquêtes dénonçant les « abus » dans l’industrie de la viande/produits animaux ainsi que les efforts faits par cette industrie et par les agences gouvernementales pour « améliorer » le traitement des animaux. Selon leur site web :

Farmed Animal Net s’efforce d’être une source objective et fiable d’informations de nature académique ou liée à l’industrie, adressées aux défenseurs des animaux, aux chercheurs, aux médias, au législateur et autres.

En tant qu’enseignant, je suis favorable aux sources d’informations « objectives et fiables ». Mais je suis préoccupé par le message normatif véhiculé par plusieurs histoires racontées dans le magasine Farmed Animal Watch.

Par exemple, dans le plus récent numéro (8 avril 2009), l’histoire suivante est racontée :

1. ALLÉGATIONS D’ABUS DANS LA PLUS GRANDE USINE DE PRODUCTION D’ŒUFS DE LA NOUVELLE ANGLETERRE

Le 1er avril, la police de l’État et des représentants du Département de l’agriculture du Maine ont procédé à un raid dans une usine de production d’œufs connue sous le nom de Maine Contract Farming and Quality Egg of New England, suite à la plainte déposée par le groupe Mercy for Animals (MFA), demandant que des accusations civiles et criminelles soient portées contre l’usine et ses travailleurs. Un enquêteur de la MFA a amassé des preuves d’abus envers des animaux commis dans cette usine de la mi-décembre à février. « Elles nous indiquent qu’il semble y avoir eu des violations très déplorables et flagrantes des règles concernant le bien-être animal à cet endroit », affirme le vétérinaire Don Hoenig pour l’État, à propos du dossier qui inclut : superviseurs et autres employés donnant des coups de pied à des poules vivantes pour les faire tomber dans des trous de fumier; trous dans le sol des cages suffisamment gros pour que les poules tombent dedans, poules dont certaines parties du corps sont prises dans la cage, incluant près de 150 d’entre elles qui n’ont pas accès à de la nourriture et à de l’eau, cages contenant des cadavres décomposés et des œufs pourris; poules tuées de manière cruelle et poules vivantes retrouvées dans les ordures (voir : http://tinyurl.com/cf2gaa).

Le problème général, avec ce type de description, est que, même si elle se veut être un récit des faits objectifs, elle véhicule un message normatif implicite : qu’il y a une différence entre l’usine du Main, qui implique des « abus », et d’autres usines de production intensive d’œufs. La réalité est qu’il y a peut-être de petites différences, mais que le traitement de toutes les poules exploitées dans le cadre de l’industrie des œufs se voient soumises à rien de moins que de la torture.

Selon l’histoire du Farmed Animal Watch, la Radlo Foods, un distributeur majeur d’œufs de la côte est, a annoncé qu’ « elle rompra ses liens avec Quality Egg et planifie de « devenir une compagnie qui n’utilise plus de cage dans les 10 prochaines années », ce qui, est-il rapporté, fera d’elle la première compagnie nationale de production d’œufs à le faire ». Cela laisse croire qu’il y a d’importantes différences entre la production d’œufs en batterie et la production d’œufs « sans cage ». Mais, comme le montre clairement l’excellent matériel éducatif produit par les défenseurs tels que Peaceful Prairie Sanctuary, une telle idée est insensée. La torture demeure de la torture. Les murs de la chambre de torture peuvent être peints d’une jolie couleur et être décorés de charmants tableaux, mais il s’agit toujours d’une chambre de torture et toute « amélioration » sert d’abord à faire en sorte que ceux qui infligent la torture se sentent mieux dans cet environnement et soient plus à l’aise par rapport à leur conduite envers les victimes.

En tant qu’abolitionniste, je suis d’avis (et j’ai soutenu cet argument à l’occasion de nombreux essais et autre matériel disponible sur ce site, ainsi que dans mes livres et articles) que nous ne pouvons justifier l’utilisation d’animaux nonhumains sensibles, peu importe que leur traitement soit « humain » ou non. Même si nous pouvions faire l’élevage d’animaux sans leur infliger de souffrance ou de détresse et les tuer sans douleur, il serait tout de même moralement condamnable de le faire parce que la vie de tous les êtres sensibles a une valeur morale qui nous empêche de traiter ces êtres exclusivement comme des ressources. Mais la réalité pratique est que nous ne pouvons pas faire l’élevage d’animaux sans leur infliger de souffrance et de détresse, ni les tuer sans douleur; la réalité pratique est que tous les produits d’origine animale que nous consommons – qu’ils proviennent d’un supermarché local ou d’un vendeur haut de gamme qui offre des produits provenant d’animaux dits « heureux » ou encore d’une petite ferme locale – sont obtenus par le recours à des pratiques qui seraient clairement et incontestablement considérées comme de la torture si elles étaient appliquées à des victimes humaines. Il est possible que certaines productions aient recours à moins de brutalité que d’autres, mais toutes sont terribles; toutes impliquent de la souffrance, de la détresse et de la privation; toutes impliquent la mort.

Le mouvement néo-welfariste, qui fait la promotion de l’idée que nous pouvons rendre ce système de violence et de mort meilleur ou plus « humain », promeut un message que je crois être faux. Je reconnais que les néo-welfaristes agissent de bonne foi lorsqu’ils font la promotion des œufs de « poules en liberté », de la mise à mort des poulets par asphyxie, ou des mesures telles que la Proposition 2 de la Californie. Je pense simplement que ces efforts sont sérieusement contre-productifs et je ne vois aucun indice permettant de croire que toutes ces campagnes font autres chose que de rendre les humains plus confortables à propos de la consommation de nonhumains.

Nous avons assurément la responsabilité d’informer clairement le public à propos de la nature du traitement des animaux que nous consommons. Mais nous devons également rendre clairement compte du fait que notre système ne peut être amélioré de manière à régler les problèmes moraux les plus fondamentaux qui l’entachent. Nous ne devrions pas faire la promotion de l’idée selon laquelle certaines productions impliquent des « abus » et d’autres pas. Elles en impliquent toutes. Elles sont toutes moralement injustifiables. Nous ne devrions jamais utiliser le mot « humanitaire » pour décrire quelque aspect que ce soit de cette machine de violence, de torture et de mort.

Récemment, Home Box Office a présenté un documentaire intitulé Death on a Factory Farm, qui porte sur les horreurs d’une ferme porcine de l’Ohio. Une réaction fréquente chez les gens qui l’ont vu était : « oui, il s’agissait d’une ferme horrible mais elles ne sont pas toutes aussi mauvaises, n’est-ce pas? ». La réponse courte est : oui, elles sont toutes mauvaises et, dans la mesure où certaines sont moins pires, elles sont tout de même horribles. Il y a une différence entre être torturé pendant 3 heures et être torturé pendant 3 heures et 5 minutes. Mais est-ce que la première séance de torture est moralement acceptable ou « humaine » parce qu’elle dure 5 minutes de moins?

Nous devons nous débarrasser de ce fantasme qu’il sera un jour possible de produire des produits animaux sans torture. C’est impossible. Point. Je répète que je continuerais à considérer le fait de tuer des nonhumains comme moralement mauvais même si ce n’était pas le cas, mais c’est le cas. Consommer des animaux implique nécessairement que l’on encourage la torture.

Il y a une réponse à la reconnaissance du fait que les nonhumains sensibles sont des membres à part entière de la communauté morale : nous devons devenir végans et utiliser des méthode créatives et non-violentes pour éduquer tout le monde à faire de même. Nous ne changerons jamais de paradigme moral si notre message est que le problème se situe au niveau des « abus » perpétrés dans une certaine usine de production d’œufs du Maine ou que les œufs de « poules en liberté » sont autre chose qu’un artifice permettant que nous nous sentions plus à l’aise de les exploiter.

Gary L. Francione
© 2009 Gary L. Francione