Essai original en version anglaise publié le 28 juin 2014.
Suite à son rejet explicite du véganisme comme un principe moral de base, comme représenté dans sa campagne « vous n’avez pas à être végane », la Vegan Society a évidemment reçu une réaction critique significative.
Depuis un moment déjà, la Vegan Society va dans la mauvaise direction. En 2011, la Society m’a banni pour avoir promu le véganisme, après que j’aie lancé une discussion, que vous pouvez lire ici.
De toute façon, voici leur dernière tentative infructueuse pour justifier la nouvelle campagne : une déclaration datant de 1952 de Muriel E. Drake, à l’époque vice-présidente de la VS, dans laquelle elle qualifie le véganisme de « nouveau mode de vie » et la décision de devenir végane de « considérable », et déclare que nous devrions « porter les idées relatives au véganisme à l’attention des autres… mais nous n’avons aucun droit de chercher à prendre la décision pour eux ».
[Traduction de la déclaration de Muriel E. Drake]
« C’est une erreur d’essayer de persuader les autres de devenir végane avant qu’ils ne soient préparés à faire un pas aussi considérable. Ce que nous pouvons faire, qui est justifiable, c’est de porter les idées relatives au véganisme à l’attention des autres, de sorte qu’ils puissent voir de quoi il s’agit, mais nous n’avons aucun droit de chercher à décider pour eux — la décision d’adopter ce nouveau mode de vie doit venir d’eux, et s’ils ne sont pas prêts, ou qu’ils ne sont pas disposés à faire certains sacrifices, il est de loin préférable pour eux d’attendre que quelque chose change au plus profond de leurs êtres. »
– Muriel E. Drake, Vice-présidente, The Vegan Society
Vegetarian News (journal of the London Vegetarian Society), p.50, Summer 1952
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D’abord, cela fait 62 ans que Drake a fait ces commentaires. Le véganisme était alors une idée relativement nouvelle, particulièrement dans l’Ouest. Comme l’était l’égalité raciale. Comme l’était l’égalité des femmes. Et alors ? Nous sommes maintenant en 2014.
Ensuite, personne ne conteste que nous ne puissions pas décider pour les autres. Les gens doivent se forger leur propre opinion. Et voilà précisément la raison pour laquelle nous devons être clairs comme du cristal comme quoi le véganisme est la base morale, car c’est la seule réponse rationnelle à la reconnaissance de la valeur intrinsèque des autres animaux.
Nous devons être clairs comme du cristal comme quoi le véganisme est une question de justice fondamentale.
La Vegan Society pense que notre incapacité à décider pour les autres signifie que nous ne devrions pas promouvoir le véganisme comme un principe moral fondamental.
Cela est complètement faux et nous pouvons le constater en regardant la chose dans un contexte humain.
Nous ne pouvons décider pour les autres à propos de l’égalité des femmes. Est-ce que cela veut dire que nous devrions caractériser leur égalité comme une décision « considérable » à propos de laquelle nous ne pouvons prendre une position morale claire, solide et sans équivoque ? Est-ce que notre incapacité à décider pour les autres signifie que nous ne devrions pas être clairs comme du cristal comme quoi le patriarcat est fondamentalement répréhensible d’un point de vue moral ?
Bien sûr que non.
Nous ne pouvons décider pour les autres à propos du véganisme ni à propos d’aucune question morale. Mais cela ne signifie pas que les principes moraux fondamentaux cessent de l’être ou que nous ne sommes pas dans l’obligation d’être clairs comme du cristal au sujet de ces questions morales. Au contraire. Notre obligation d’être clairs est elle-même claire, et est encore plus nécessaire — non pas moins — dans la mesure où la discrimination est omniprésente. En 1944, dans la première lettre de la Vegan Society, Donald Watson, fondateur de la société en 1944, écrit :
Une critique commune est que le temps n’est pas encore mûr pour notre réforme. Le temps ne peut-il jamais être mûr pour quelque réforme que ce soit, sans avoir été muri* par la détermination humaine ? Est-ce que Wilberforce a attendu le « murissement » du temps avant de commencer sa lutte contre l’esclavage ? Est-ce que Edwin Chadwick, Lord Shaftesbury et Charles Kingsley ont attendu un tel moment inexistant, avant d’essayer de convaincre le grand poids mort de l’opinion publique que l’eau potable et les salles de bains constitueraient une amélioration ? S’ils avaient annoncé leur intention d’empoisonner tout le monde, l’opposition qu’ils ont rencontrée aurait difficilement pu être plus forte. En laissant à la postérité la réalisation de nos idéaux, il y a un danger évident, car la postérité pourrait ne pas avoir nos idéaux. L’évolution peut être rétrograde ainsi bien que progressive ; en effet, il semble toujours y avoir une forte gravitation dans la mauvaise direction, à moins que les normes existantes ne soient protégées et que les nouvelles visions ne soient honorées.
Lisez ces mots. Réfléchissez-y.
Soixante-dix ans plus tard, la Vegan Society déclare : « Vous n’avez pas à être végane pour aimer des choses véganes », et elle encourage le relativisme moral de façon transparente — tout est une question de choix facultatif — et soutient l’idée que nous ne devrions pas promouvoir le véganisme comme un principe moral fondamental.
Voilà un exemple très clair d’un déplacement vers l’arrière ; c’est exactement ce à quoi Watson faisait allusion lorsqu’il a déclaré que le changement peut être « rétrograde ».
Nous sommes en 2014. Devenir végane est facile. C’est préférable pour la santé humaine ainsi que pour la santé de la planète, de laquelle toute vie dépend.
Mais le plus important est que, d’un point de vue moral, c’est la bonne chose à faire. C’est ce que nous devons aux autres animaux. Le véganisme est une question de justice.
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Si vous n’êtes pas végane, devenez-le s’il vous plait. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients, mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.
Le monde est végane ! Si vous le voulez.
Gary L. Francione
Professeur distingué, membre du conseil d’administration des professeurs, Université de Rutgers
© 2014 Gary L. Francione
*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
Pour en savoir plus : www.orthographe-recommandee.info
ADDENDUM
À titre d’information, j’ajoute ce texte d’une publication sur Facebook que j’ai écrit le 16 mai 2014 :
UN MOMENT DE SILENCE À LA MÉMOIRE DE DONALD WATSON (1910-2005), FONDATEUR DE LA VEGAN SOCIETY EN 1944
La Vegan Society a récemment décidé de désavouer explicitement l’idée du véganisme comme un impératif moral.
Dans cet essai, le « PDG » Jasmijn de Boo explique pourquoi ici.
Selon le PDG de Boo : « la recherche montre que les jeunes ne veulent pas qu’on leur fasse la leçon ou qu’on les culpabilise au sujet de questions, ils veulent plutôt la liberté de choisir pour eux-mêmes, arriver à leurs propres conclusions et atteindre ce moment de réalisation ».
Mais le but de la promotion du véganisme non violente n’est pas de faire la leçon ou de « culpabiliser » qui que ce soit.
Au contraire.
Il s’agit d’aider les gens, de manière constructive et bienveillante, à mettre en pratique une idée en laquelle la plupart d’entre eux croient déjà : à savoir que les animaux ont une valeur morale et que nous avons des obligations morales directement envers eux que nous sommes tenus de suivre.
C’est une reconnaissance que notre souci moral concernant les animaux doive être mis en application tout au long de notre vie, non pas seulement dans les moments sporadiques où ça nous fait du bien, ou que cela est en accord avec quelque concept superficiel de « style de vie. »
Le PDG de Boo suppose faussement qu’on doit choisir entre « culpabiliser » les gens ou promouvoir une version plus souple de « véganisme flexible. » Ce ne sont pas les seuls choix, sauf si, bien sûr, nous voulons défendre le markéting d’une approche « flexitarienne », qui est manifestement ce qu’a choisi de faire la « nouvelle » Vegan Society.
Imaginez où en serait le mouvement des droits civils si nous avions décidé qu’une « étude » de marché avait montré que les gens n’aiment pas qu’on les « culpabilise » au sujet du racisme ; ainsi, nous aurons plutôt fait la promotion d’une campagne « traitez gentiment une personne de couleur, lorsque cela vous plait* ».
Le PDG de Boo adopte explicitement le langage du mouvement de « l’exploitation heureuse », en affirmant que beaucoup de gens ne deviendront pas véganes du « jour au lendemain ». Eh bien, ce n’est pas surprenant, surtout considérant qu’aucun des grands organismes animaliers de bienfaisance — et maintenant la Vegan Society — ne promeut le véganisme comme un impératif moral, qui nait d’un engagement moral cohérent avec la justice et la non-violence, qui, soit dit en passant, est explicitement ce que Donald Watson promouvait.
Mais la question n’est pas si quelqu’un fait quoi que ce soit « du jour au lendemain » ou non. La question est si la Vegan Society doit promouvoir un message moral clair comme quoi le véganisme — qu’on devienne végane du « jour au lendemain » ou pas — est la seule réponse rationnelle à l’idée que la plupart des gens acceptent déjà : que les animaux comptent moralement. La Vegan Society dit qu’elle ne promouvra pas cette idée, optant plutôt pour une célébration du non-véganisme.
Le PDG de Boo écrit : « Tout le monde est maintenant libre d’embrasser le véganisme, non seulement ceux qui sont déjà véganes, mais ceux qui y songent et qui veulent commencer à intégrer plus de plats végétaliens dans leur alimentation, ou remplacer leurs chaussures en cuir par des versions véganes ». Voilà une version du « véganisme flexible », encore plus souple que quelque chose du genre « végane avant 18 h », qui bien qu’étant insensé, encourage à tout le moins à ne pas consommer les animaux pendant une partie de la journée.
La Vegan Society, sous la direction du PDG de Boo, a rejoint les autres organismes de bienfaisance, qui ont abandonné l’idée qu’il existe des principes moraux significatifs que nous sommes obligés de respecter. Mais ce que ces organismes de charité ne semblent pas comprendre est qu’on ne peut effectuer un changement de paradigmes moraux en rejetant l’idée que les principes moraux importent.
En 1944, Donald Watson a écrit :
« Nous pouvons voir très clairement que notre civilisation actuelle est construite sur l’exploitation des animaux, tout comme les civilisations passées ont été construites sur l’exploitation des esclaves, et nous croyons que le destin spirituel de l’homme est tel que le temps viendra où il verra avec horreur l’idée que les hommes se nourrissaient jadis de produits issus du corps des animaux. . . . Une critique commune est que le temps n’est pas encore mûr pour notre réforme. Le temps ne peut-il jamais être mûr pour quelque réforme que ce soit, sans avoir été muri par la détermination humaine ? Est-ce que Wilberforce a attendu le “murissement” du temps avant de commencer sa lutte contre l’esclavage ? »
En 2014, le PDG de Boo écrit : « Notre rôle n’est pas de dire aux gens quoi faire ou comment vivre leur vie. Nous donnons aux gens le choix et la chance de se joindre à nous. Nous sommes là pour soutenir quiconque se dirige vers un mode de vie plus éthique et durable. Ce n’est pas tout ou rien. L’idée est de démarrer une conversation ou semer une graine. »
Soixante-dix ans séparent Watson et le PDG de Boo. Le mot « progrès » ne vient pas à l’esprit.
La Vegan Society vient de se greffer au mouvement de l’« exploitation heureuse »/« flexitarien ».
S’il vous plait : un moment de silence à la mémoire de Donald Watson.
Gary L. Francione
*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
Pour en savoir plus : www.orthographe-recommandee.info