Martin Balluch, défenseur des animaux et président de l’Association Against Animal Factories en Autriche, fait circuler un essai qu’il a écrit et qu’il juge mettre de l’avant une « toute nouvelle approche » par rapport au débat droits/bien-être.
L’essai de Balluch est long et quelques fois tortueux, mais sa thèse principale est, en fait, assez simple.
Selon Balluch, privilégier l’approche abolitionniste et focaliser sur la promotion de l’éducation véganisme/abolitionnisme plutôt que sur les réformes visant à améliorer le bien-être « ne peut faire autrement que d’échouer » parce que, dans une société spéciste, « vivre de manière végane exige de fournir énormément d’efforts et que jamais plus qu’une petite minorité de personnes trouveront la motivation et la détermination nécessaire pour adopter ce mode de vie et le maintenir ».
Alors en quoi consiste la « toute nouvelle approche » de Balluch exactement?
Balluch soutient que nous devrions appuyer les réformes welfaristes. Il affirme que « il est à tout le moins possible » que les réformes welfaristes nous mènent éventuellement à l’abolition autant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Cela signifie qu’appuyer les réformes welfaristes, au niveau psychologique, dirige les individus vers le véganisme et, au niveau politique, pousse la société vers l’abolition.
En bref, Balluch ne propose aucune soi-disant « toute nouvelle approche » du tout.
Il ne fait que proposer ce que je qualifiais de « néo-welfariste » dans mon livre Rain Without Thunder: The Ideology of the Animal Rights Movement paru en 1996 et dans mes autres écrits. Le néo-welfarisme est la position selon laquelle existe une relation causale entre les réformes welfaristes et l’abolition en ce que les premières mèneront à la dernière et représentent la meilleure (sinon la seule) manière d’obtenir l’abolition. Pour ma part, j’ai défendu que le néo-welfarisme est problématique autant au plan moral qu’au plan pratique.
Le néo-welfarisme est problématique au plan moral parce qu’il implique que les défenseurs des animaux qui prétendent endosser l’abolition participent à des campagnes visant à rendre l’exploitation soi-disant plus « humaine ». Or, cette stratégie est comparable à celle qui consisterait – pour les gens qui s’opposent à la torture, aux agressions sexuelles, aux abus d’enfants et à l’esclavage humain – à faire campagne pour obtenir une version plus « humaine » de ces formes d’exploitation plutôt qu’à travailler directement à l’obtention de l’abolition. Si l’exploitation animale ne peut être moralement justifiée, alors les défenseurs des droits des animaux ne doivent pas faire la promotion de « meilleures » manières de faire quelque chose de mal.
Au plan pratique, les campagnes en faveur du mieux-être animal ne fonctionnent tout simplement pas. Les actions visant le bien-être animal ne protègent les intérêts des animaux que dans la mesure où cela est économiquement bénéfique pour nous, les êtres humains. Cela ne devrait pas nous surprendre puisque les animaux sont notre propriété; ils sont perçus comme des marchandises n’ayant aucune valeur autre que celle que nous leur accordons. Les animaux sont différents des objets inanimés que nous possédons parce que, contrairement à ces choses, ils sont des êtres sensibles ayant des intérêts. Or, la protection de ces intérêts a un prix et nous ne sommes généralement prêts à « acheter » que le niveau de protection justifié par la valeur économique de notre propriété animale. Par exemple, nous pouvons exiger que les vaches soient assommées avant d’être immobilisées, suspendues puis coupées, mais nous ne le faisons que parce que sans cela, les vaches risqueraient, en bougeant, de blesser les employés et d’endommager leur propre corps et d’ainsi diminuer la qualité de leur « viande ».
Nous avons des lois de protection du bien-être animal depuis maintenant 200 ans et nous n’avons toujours aucune preuve que les réformes welfaristes nous dirigent vers l’abolition de l’exploitation animale. En effet, nous exploitons aujourd’hui plus d’animaux et de manière plus cruelle que jamais dans l’histoire de l’humanité. De plus, si ces mesures welfaristes permettent au public de croire que les animaux sont traités plus « humainement », cela tend à encourager le maintien de l’exploitation. À l’heure actuelle, dans les médias, on rapporte, les unes à la suite des autres, des histoires de personnes qui, alors qu’elles avaient cessé de consommer de la chair ou d’autres produits animaux, ont réadmis ces produits dans leur diète parce qu’elles ont cru que les animaux étaient dorénavant mieux traités grâce aux réformes entourant le bien-être animal.
Balluch m’a demandé d’exprimer mes réactions à sa « toute nouvelle approche ». Voici mes commentaires.
L’éducation au véganisme « ne peut faire autrement qu’échouer »
Balluch affirme qu’éduquer le public à propos du véganisme constitue une perte de temps puisque, bien que nous le fassions depuis 130 ans en Autriche, cela n’a toujours pas fonctionné.
Je ne peux parler de la situation autrichienne en particulier mais, en général, le mouvement de défense des animaux n’a jamais fait, clairement et sans équivoque, la promotion du véganisme entendu comme principe fondamental. Au contraire, le véganisme est dépeint par les dirigeants du mouvement de défense des animaux, tels que Peter Singer, comme un choix « fanatique ». Singer parle de la consommation occasionnelle de produits animaux comme d’un « luxe » et défend que nous pouvons même avoir l’obligation de ne pas être végans si cela risque de choquer les autres. Le mouvement fait activement la promotion de la viande/produits animaux « heureux » et de l’étiquetage des cadavres et des autres produits animaux comme produits dans des conditions « humaines » et donne des prix aux dessinateurs d’abattoirs. Le mouvement établit une distinction entre la viande et les autres produits d’origine animale et considère le ovo-lacto « végétarisme » comme la principale option alternative.
Le mouvement de défense des animaux, à l’exception des pionniers comme Donald Watson, a constamment marginalisé le véganisme. Dire aux gens que le véganisme est la moindre des choses qu’ils puissent faire s’ils prennent les droits des animaux au sérieux peut grandement affecter les dons qu’ils feront aux organismes de protection. Balluch reconnaît ce point. Il affirme que les groupes autrichiens de protection des animaux recueillent annuellement 30 millions d’euros et que « certaines de ces sociétés font explicitement la promotion du véganisme dans la littérature qu’ils produisent ». Il remarque que, « si tous les groupes de protection des animaux devaient s’en tenir à des campagnes strictement abolitionnistes, leur taille réduirait jusqu’à atteindre celle des sociétés véganes et ils perdraient leur influence et leur capacité de faire, eux aussi, la promotion du véganisme ». Selon lui, il est donc inutile de faire la promotion de l’abolitionnisme et du véganisme parce que cela risque d’entraîner une diminution des dons et mettrait fin à l’activisme végan fait par ces groupes welfaristes. Le raisonnement de Balluch est à couper le souffle.
Mais même si Balluch a tort d’affirmer que le véganisme a déjà représenté le fondement du mouvement de défense des animaux, cette erreur n’affecte pas son analyse puisque, selon lui, même si tout le mouvement devait s’engager à l’égard du véganisme et promouvoir de manière claire et sans équivoque ce fondement moral, cela ne changerait rien. Les gens ne deviendront tout simplement jamais végans parce que la société est spéciste et qu’il est trop difficile pour la plupart d’entre nous de respecter le véganisme. Le public ne fera que « suivre le courant et vivre de la manière qui exige le moins de résistance ».
Nous ne devrions pas, malgré tout, perdre espoir selon Balluch, qui présume qu’« il est à tout le moins possible, sinon probable, qu’une personne soit psychologiquement amenée à passer de l’utilisation des animaux de manière welfariste aux droits des animaux ». Selon lui, si nous encourageons les gens à appuyer les réformes portant sur le bien-être animal, il est « possible, sinon probable » qu’ils deviennent éventuellement végans.
Balluch demeure vague quant à la manière dont s’opérerait cette transformation. À certains moments, il semble maintenir que la réglementation concernant le bien-être animal fera éventuellement en sorte que les produits d’origine animale seront si dispendieux que les gens n’auront pas d’autres choix que de devenir végans. Nonobstant le fait que ce scénario présume qu’un public qui ne soucie pourtant pas de l’abolition appuierait ces réformes législatives qui, selon Balluch, nous dirigent vers l’abolition, les normes de bien-être, comme je l’explique ci-bas, ont plutôt tendance à augmenter l’efficacité de l’exploitation animale plutôt que les coûts de production. Et dans un contexte de « libre-échange », même si la réglementation devait augmenter les coûts et les prix, des importations moins dispendieuses seraient toujours disponibles pour satisfaire la demande.
À d’autres moments, Balluch semble croire qu’en appuyant les réformes welfaristes, les gens réaliseront éventuellement que l’utilisation des animaux est, en soi, condamnable. Si nous encourageons les gens à croire que l’exploitation de nonhumains est moralement acceptable parce qu’elle est réglementée, ils s’apercevront un jour qu’elle n’est pas acceptable du tout. Pourquoi est-ce que Balluch pense que renforcer la croyance que l’utilisation d’animaux est acceptable mettra éventuellement fin à l’utilisation d’animaux? Balluch soutient que les campagnes welfaristes aident à sensibiliser les gens par rapport à la souffrance animale. Mais la grande majorité d’entre nous croyons, et ce depuis longtemps déjà, qu’il est mal d’imposer des souffrances « non nécessaires » aux animaux. Nous ne disposons d’aucune preuve empirique permettant de croire que cela nous dirige vers l’abolition.
L’argument de Balluch visant à démontrer que l’éducation « ne peut faire autrement que d’échouer » n’en est pas un. Il ne fait que repousser le problème, affirmant que nous devons appuyer les mesures de bien-être animal parce que nous devons appuyer les mesures de bien-être animal.
Je trouve difficile, sinon impossible, de croire que, si le mouvement avait décidé d’investir les centaines de millions (ou milliards) de dollars qui ont été dépensés au courant des dernières décennies aux États-Unis seulement dans la promotion claire et sans équivoque du véganisme, plutôt que dans des campagnes welfaristes, il n’y aurait pas des centaines de milliers de végans de plus qu’il y en a aujourd’hui. Et cette masse critique de gens constituerait les racines d’un mouvement politique qui pourrait revendiquer des protections significatives pour les intérêts des animaux, incluant certaines interdictions d’utiliser des animaux.
Finalement, l’essai de Balluch fournit un excellent exemple de la manière dont sont marginalisés les défenseurs de la position végane. Balluch s’efforce d’expliquer longuement à quel point il est difficile d’être végan dans une société non végane. De toute manière, tant et aussi longtemps que les défenseurs des animaux présenteront le véganisme comme une forme de sacrifice extrême qui fait de ses adeptes des « martyrs » de la cause animale ou des « fanatiques », ils ne pourront encourager les autres à devenir végans. Je suis végan depuis 26 ans. D’aucune façon, je ne perçois cela comme un sacrifice et les aliments de base d’une diète végane sont disponibles partout. Je ne suis pas davantage tenté de manger des produits animaux parce que je vis dans une société spéciste que je serais tenté de poser les autres gestes que je considère comme fondamentalement mauvais, au plan moral.
Et même si Balluch avait raison de croire que les gens ne respecteront pas toujours leur engagement à être végans, cela ne devrait pas déterminer le contenu du message que nous voulons passer. Le fait que le racisme, le sexisme et l’hétérosexisme s’insinuent toujours dans nos rapports sociaux ne signifie pas que nous devrions modifier notre message et excuser ces formes de discrimination seulement parce que plusieurs y ont recours.
La non pertinence du public
Balluch affirme que l’opinion publique n’est pas pertinente dans la lutte pour les droits des animaux parce que le conflit « oppose le mouvement en faveur des droits des animaux et les industries exploitant des animaux ». Le public en général ne serait pas, quant à lui, pertinent. Selon Balluch, le public ne fera toujours que « suivre le courant et vivre de la manière qui exige le moins de résistance ».
Bien qu’il soit certainement vrai que le capitalisme prospère en manufacturant des réponses aux désirs imposés au public, l’idée selon laquelle les « industries exploitant des animaux » forment le premier moteur de l’exploitation animale est absurde. Les industries fondées sur l’exploitation animale existent « parce que » le public demande des produits animaux. Si le public cesse de demander de tels produits, ceux qui ont de l’argent investi dans les entreprises qui les produisent retireront leur capital et l’investiront ailleurs.
Il y a peu d’indices, sinon aucun, nous permettant de croire que le public tolérerait des changements qui auraient pour effet de rendre plus difficile la consommation de produits d’origine animale. Le public peut très bien appuyer les réformes superficielles qui n’augmentent pas véritablement les prix, particulièrement lorsque des produits meilleur marché peuvent être importés, mais Balluch se laisse berner s’il croit que sa stratégie visant à obtenir des lois portant sur le véganisme via l’adoption de réformes welfaristes (même si cela était possible en pratique) serait acceptée par le public avant que celui-ci ne soit intimement convaincu de l’immoralité de notre utilisation d’animaux. De plus, l’idée que le mouvement des droits des animaux peut, sans l’appui actif du public, exercer la pression nécessaire pour entraîner ne serait-ce qu’un tout petit changement légal trahit un profond manque de compréhension de la manière dont fonctionne la politique.
L’effet économique des réformes welfaristes
Balluch affirme que « il est au moins possible [même si, à ce jour, nous ne disposons d’aucune preuve à cet effet] qu’une société passe, au plan politique, d’une utilisation « humaine » d’animaux aux droits des animaux ». Il présume que les réformes wefaristes affaiblissent l’industrie reposant sur l’exploitation animale et diminue la demande pour des produits animaux en rendant ceux-ci plus dispendieux et en incitant les gens à se tourner vers des alternatives véganes.
Balluch n’arrive pas à saisir la nature de l’exploitation animale et des réformes welfaristes.
Les réformes welfaristes n’affaiblissent pas, de manière générale, les industries fondées sur l’utilisation d’animaux. Et cela s’explique par le fait que les réformes welfaristes rendent plutôt l’exploitation animale plus efficace au plan économique et renforce donc, au contraire, les industries qui en profitent. Par exemple, les alternatives aux enclos de gestation et aux enclos pour les veaux ont démontré qu’elles permettaient aux producteurs d’augmenter leurs profits.
Aux États-Unis, la campagne actuelle, qui vise à ce que la méthode consistant à assommer les poulets soit remplacée par celle de la mise à mort par « contrôle atmosphérique », mise explicitement sur les bénéfices économiques dont les producteurs et les consommateurs bénéficieront. Selon la Humane Society of the United States, l’asphyxie des poulets « entraînera une diminution des coûts et une augmentation des gains en réduisant les dommages subis par les carcasses, la contamination, les coûts de réfrigération; augmentera le rendement à l’abattage, la qualité de la viande et sa durée de conservation; et améliorera les conditions de travail des employés ».
Selon People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), l’abattage par choc électrique « diminue la qualité et le rendement des produits » parce qu’il brise les os des oiseaux et parce que cette méthode peut entraîner une contamination dangereuse pour la santé humaine. Par ailleurs, l’abattage par choc électrique « augmente les coûts liés au travail des employés » pour plusieurs raisons. PETA soutient que la méthode du « CAK augmente le rendement et la qualité des produits » parce les os brisés, les ecchymoses et les hémorragies sont prétendument éliminées, la contamination est réduite, la « durée de vie de la viande » est augmentée et « une viande plus tendre » est obtenue. PETA affirme aussi que la méthode « CAK diminue les frais associés au travail » en réduisant le nombre d’inspections nécessaires, en réduisant le taux d’accidents et en décélérant le roulement de personnel. La méthode CAK offre également « d’autres bénéfices économiques » à l’industrie du poulet en permettant aux producteurs d’économiser de l’argent en coûts énergétiques ainsi qu’en réduisant le gaspillage de sous-produits et la quantité d’eau nécessaire.
De plus, les producteurs peuvent charger plus cher aux consommateurs pour leurs produits et justifier cette hausse des prix en écrivant sur les étiquettes que leur viande a été produite « humainement » et peut-être même obtenir l’appui des organismes de bien-être animal qui parrainent plusieurs types d’étiquettes.
Les réformes welfaristes n’affectent pas les consommateurs et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, la plupart des réformes welfaristes n’entraînent pas une augmentation des prix qui soit suffisante pour affecter la demande. Ensuite, si une augmentation des prix devait être considérable, les consommateurs ne se tourneraient pas vers les alternatives véganes mais chercheraient plutôt à se procurer des produits animaux moins dispendieux. Si le prix du bœuf augmente pour quelque raison que ce soit, les consommateurs achètent davantage de poulet, de porc, d’agneau ou de poisson. Ils n’achètent pas plus de tofu. Finalement, puisque la plupart des pays ont maintenant signé des accords de « libre-échange » d’une forme ou d’une autre, une augmentation des prix de certaines marchandises dans un pays ne fait qu’entraîner l’importation de marchandises étrangères moins dispendieuses sur le marché.
Les exemples donnés par Balluch
Les exemples offerts par Balluch dans le but d’appuyer sa position ne lui sont d’aucune utilité.
Son exemple principal concerne l’industrie des œufs en Autriche. Balluch prétend que l’Autriche a interdit les cages en batterie avant l’arrivée de l’échéance de 2012 déterminée par l’Union européenne et que la production d’œufs a diminué de 35%. Je n’ai rien pu trouver qui confirme cette affirmation. Selon Statistics Austria, la production globale d’œufs en Autriche était de 89 271 tonnes en 2005 et de 90 613 tonnes en 2006. Il s’agit d’une augmentation de 1.5%. De cette production totale, 3 510 tonnes des œufs produits en 2005 et 3 902 des œufs produits en 2006 étaient destinés à obtenir des poules pondeuses. Si l’on soustrait ces nombres d’œufs de la production totale, on obtient la quantité d’œufs produits pour la consommation, soit 85 761 tonnes en 2005 et 86 711 tonnes en 2006. La consommation d’œufs per capita en Autriche est passée de 233 en 2005 à 236 en 2006. De plus, il semble que l’Autriche augmente ses importations d’œufs. Les chiffres entourant la production en 2007 ne sont pas encore disponible sur le site de Statistics Austria. Je ne sais pas où Balluch a trouvé l’information selon laquelle la production d’œuf aurait chutée de 35%, mais une telle affirmation n’est pas du tout soutenue par les statistiques dont j’ai connaissance.
Par ailleurs, le niveau de production d’œufs en Autriche demeure, à certains égards, une donnée non pertinente. L’Autriche fait partie de l’Union européenne. Si le prix des œufs devait augmenter significativement en Autriche, ou si la production d’œufs en Autriche ne suffisait plus à rencontrer la demande (ce qui serait le cas si Balluch avait raison d’affirmer que la production d’œufs a diminuée de 35%), alors les œufs seraient importés d’autres pays de l’UE qui utilisent encore un système de cages en batterie conventionnelles. Même si l’UE a l’intention d’interdire les cages en batterie à compter de 2012, l’idée selon laquelle tous les pays de l’UE vont se plier à cette norme dans le délai prévu par la loi est totalement irréaliste. De plus, la directive de l’UE permettra que l’on continue à utiliser des cages « enrichies », qui sont essentiellement des cages en batterie condamnées même par les organisations welfaristes. Ces cages pourront continuer à être utilisées même si tous les pays de l’UE devaient se plier aux exigences de la norme d’ici 2012. Bien que Balluch affirme que les Autrichiens ont également interdit les cages « enrichies », on peut lire dans une autre section de ce site web que les cages « enrichies » construites avant le 1er janvier 2005 pourront être utilisées en Autrhiche pendant les 15 années suivant leur première utilisation.
Finalement, Balluch présume que les œufs produits selon des méthodes « sans cage » ou « en larges enclos » proviennent de poules traitées de manière considérablement meilleure. Or, cela est un mythe. À cet égard, jetez un œil aux articles (1,2) diffusés par Peaceful Prairie Sanctuary sur les œufs de « poules élevées en liberté ».
Balluch offre plusieurs autres exemples. Il renvoie à l’interdiction autrichienne concernant l’utilisation d’animaux sauvages pour le cirque. Le problème, bien sûr, est que les animaux domestiques peuvent toujours être utilisés dans les cirques autrichiens et Balluch admet que les « chevaux, les chameaux, le bétail, les porcs et les chiens » continuent à être utilisés dans les cirques. Peut-être pense-t-il qu’il y a une différence entre l’utilisation d’animaux non domestiques et l’utilisation d’animaux domestiques. Je ne suis pas d’accord.
Balluch a également recours aux interdictions autrichiennes liées aux fermes à fourrure, bien qu’il reconnaisse que l’interdiction « ne réduit pas la quantité de fourrure vendue en Autriche puisque les vendeurs se sont retournés vers les importations ». Les observations de Balluch lui-même réfutent sa thèse générale selon laquelle l’opinion publique n’est pas pertinente, que l’éducation constitue une perte de temps, que le problème de l’exploitation animale est principalement un conflit entre les défenseurs des animaux et les industries utilisant des animaux et que le public « suit naturellement le courant et vit de la façon qui exige le moins de résistance possible ». L’Autriche a interdit les fermes à fourrure. Les éleveurs d’animaux pour leur fourrure ont fait faillite, mais les ventes de fourrure en Autriche n’ont pas décliné. Cela démontre de manière plutôt convaincante que, si le public n’est pas éduqué et que la demande pour les produits animaux se maintient, les animaux continueront à être exploités. Le fait que la mise à mort d’animaux ait lieu ailleurs n’est pas pertinent.
Balluch soutient que l’Autriche a ce qu’il semble percevoir comme un statut unique et des lois constitutionnelles qui protègent les animaux contre la mise à mort même « sans douleur » ou provoquée « humainement ».
§6 (1) Loi concernant les animaux : Il est interdit de tuer quelque animal que ce soit sans raison valable §222 (3) Droit criminel : Il est interdit de tuer des animaux vertébrés sans raison valable Constitution : L’État protège la vie des animaux en tant que cohabitants avec les êtres humains
Balluch ignore le fait que l’utilisation d’animaux dans le cadre d’une forme d’exploitation institutionnalisée constitue une « raison valable » de tuer des animaux aux yeux de la loi et de son application en Autriche qui, à ce que je sache, n’est toujours pas un pays végan. Il ne sait apparemment pas que plusieurs lois anti-cruauté contiennent des infractions comparables et que la loi autrichienne n’a rien d’unique.
Balluch mentionne l’interdiction de 2005 concernant les grands singes nonhumains lors d’expérimentations en Autriche. Sans même considérer le fait que les vivisecteurs autrichiens avaient largement cessé d’utiliser les grands singes avant que l’interdiction ne soit adoptée, l’idée que les grands singes « nous ressemblent davantage » que les autres nonhumains et méritent une protection légale plus importante renforce le spécisme; il ne l’affaiblit pas. Bien sûr, je me réjouis du fait que les vivisecteurs en Autriche ne pourront pas utiliser des grands singes dans le cadre de leurs expériences dans le futur mais je mets en garde les défenseurs des animaux face aux campagnes poursuivant l’objectif de faire adopter quelque loi que ce soit sur la base du fait que certains nonhumains sont plus égaux que d’autres en raison du fait qu’ils sont semblables aux humains. La sensibilité est le seul critère requis pour être une personne.
« Deux formes d’activisme » = « Mauvaise forme d’activisme »
L’analyse de Balluch est semblable à celle des néo-welfaristes. Par exemple, dans un essai qu’a fait circulé « Vegan » Outreach, Norm Phelps fait la promotion de ce qu’il appelle « les deux-formes d’activisme » qui impliquent l’appui aux réformes welfaristes. Selon Phelps, cette réforme rend les gens « beaucoup plus réceptifs au message végan ». Il affirme que ceux qui appuient l’approche abolitionniste favorisent la cohérence par rapport aux résultats pratiques. Comme Balluch, Phelps présume que les réformes welfaristes font du tort à l’industrie. Comme Balluch, il ne semble pas comprendre les enjeux économiques derrière les réglementations de type welfariste.
Par exemple, Phelps juge lui aussi que la campagne de la HSUS portant sur les cageots de gestation est un exemple d’efforts qui « atrophieront, au plan économique », les producteurs de viande. Peut-être que Phelps devrait lire le rapport de la HSUS sur les enclos de gestation, qui rapporte que les études européennes indiquent que :
la méthode du logement en groupe permet une meilleure productivité des truies par rapport à celle des enclos individuels, en ce qu’elle entraîne une diminution du nombre de blessures et de maladie, devance le premier œstrus, accélère l’arrivée de l’œstrus après la mise bas, réduit le nombre de mort-nés et diminue le temps de parturition. Les systèmes de groupe employant la méthode ESF [alimentation électronique des porcs] sont particulièrement économiques… Le remplacement des enclos de gestation par la méthode d’hébergement en groupe incluant le ESF entraîne une faible réduction des coûts de production et augmente la productivité.
La HSUS rapporte des études démontrant :
que le coût total par goret vendu est de 0.6% plus bas lorsque la méthode d’élevage employée est celle du système par groupe et emploi du ESF et que les revenus des éleveurs de porcelets est de 8% plus élevé en raison du fait que la productivité est favorisée… que, comparé aux enclos de gestation, l’hébergement en groupe et le ESF diminue la quantité de travail nécessaire de 3% et augmente un peu les revenues par truie, par année… [et que] les économies faites au niveau de l’élevage des truies peuvent être investies au niveau de l’étape de l’engraissement où le coût au poids diminue de 0.3%. Ce n’est que ce changement au niveau des coûts de production qui pourrait être reflété dans le prix au détail du porc.
La HSUS conclut :
Il est probable que les producteurs qui adoptent le système d’hébergement en groupes et le ESF puissent augmenter la demande pour leurs produits ou obtenir un profit supplémentaire parce que leurs aliments seraient dorénavant considérés comme hauts de gamme. Une enquête menée en 2003 démontre que 77% des consommateurs du Iowa achèteraient des produits du porc de compagnies dont les fournisseurs élèvent et produisent des animaux de manière humaine et respectueuse de l’environnement.
De plus, Balluch et les autres néo-welfaristes ne semblent pas comprendre que nous vivons dans un monde où les ressources sont limitées. Chaque dollar et chaque minute que nous dépensons à la promotion des réformes de type welfariste font en sorte qu’il reste moins de ressources disponibles pour l’éducation créative et pacifique au véganisme. Il ne s’agit pas d’un activisme à « deux voies » lorsqu’une voie est très clairement la mauvaise.
Finalement, Balluch affirme que j’endosse les réformes progressives de type welfariste dans Rain Without Thunder, mais que je suis trop limité par rapport à ce que je considère être une réforme abolitionniste. Ses commentaires suggèrent que je suis en faveur des réformes welfaristes et que cela n’est pas correct. Dans mon livre, je soutiens que les défenseurs des animaux doivent focaliser sur le véganisme et sur les efforts d’éducation non violente, dans le but de miner le paradigme de propriété. J’explique que si les activistes tiennent à participer à des campagnes visant des réformes, ils devraient à tout le moins viser l’obtention d’interdictions s’appliquant à des parties de l’exploitation institutionnelle dans le cadre de campagnes qui traduisent la reconnaissance de la valeur inhérente des nonhumains et qui présentent explicitement au public ces revendications comme faisant partie d’un ensemble d’efforts visant l’abolition de toutes les formes d’utilisation d’animaux.
Remarquons que la proposition de Balluch ne rencontre même pas ces critères. D’une part, il affirme qu’une réforme welfariste « est un pas vers les droits des animaux si elle entraîne des torts considérables à l’industrie fondée sur l’exploitation animale ». Une telle campagne ne rencontrerait pas nécessairement les critères que je présente dans Rain Without Thunder. D’autre part, il semble dire que les défenseurs des animaux devraient appuyer quelque réforme que ce soit, incluant celles qui font la promotion des étiquettes associées à l’élevage « humainement mené » et à la « viande heureuse », parce que toute réforme welfariste est présumée procurer plus de bien-être aux animaux, ce qui, selon Balluch, nous rapproche du jour où des droits seront accordés aux animaux. Ces campagnes ne réduisent pas, de manière progressive, le statut de propriété des nonhumains; elles le renforcent.
Conclusion
En bref, il n’y a rien de nouveau dans l’approche de Balluch. Il ne fait simplement que proposer le paradigme néo-welfariste, qui domine le mouvement aux États-Unis et en Grande-Bretagne depuis les années ’90 et qui a manifestement été exporté dans d’autres coins de l’Europe.
L’idée selon laquelle nous devons promouvoir le welfarisme afin de le contrer est absurde et devrait être rejetée par ceux qui se soucient à la fois de la promotion d’un message moral significatif et de ses effets pratiques.
L’approche néo-welfariste ne facilite aucun de ces objectifs. L’approche abolitionniste favorise les deux.
Être végan ne représente pas, contrairement à ce que Balluch et d’autres laissent entendre, un déni de soi-même ou un grand sacrifice. Être végan est facile, meilleur pour la santé et meilleur pour la planète. Et, ce qui est le plus important, c’est l’application du principe de l’abolition de l’exploitation des animaux nonhumains à notre vie quotidienne.
Si vous n’êtes pas prêts à devenir végans, vous devez admettre le fait que vous ne vous souciez pas assez de cette question pour faire quelque chose que vous avez le pouvoir de faire – décider ce que vous allez mettre dans votre bouche, ce que vous allez porter ou ce que vous allez utiliser pour votre corps. Ne perdez pas votre temps et votre argent à appuyer des organisations welfaristes qui vous disent que certains abus d’animaux sont pires que d’autres et que, si vous acceptez de leur envoyer une contribution financière, ils règleront ces problèmes à votre place.
Non, en étant végans, vous n’aurez pas réglé tous les problèmes du monde. Vous n’aurez pas réussi à vous retirer complètement de la toile de l’exploitation animale qui entache tous les aspects de nos vies et qui est présente même dans les matériaux constituant nos routes, nos maisons, notre peinture, les matières plastiques que nous utilisons et tant d’autres choses. Mais si la majorité d’entre nous évitions de mettre des produits animaux dans nos assiettes et cessions autrement de les consommer, l’industrie trouverait bien rapidement des alternatives économiques aux sous-produits animaux.
Gary L. Francione
© 2008 Gary L. Francione