Essai original en version anglaise publié le 28 janvier 2016.
Dans mon essai sur les « véganes intersectionnalistes », j’ai documenté soigneusement le spécisme explicite et flagrant de la part de figures de tête du mouvement « intersectionnaliste ». Peu importe ce que quiconque dira, il est clair comme du cristal que, Breeze Harper, par exemple, qui est membre du Conseil de Black Vegans Rock (BVR), rejette le véganisme comme impératif moral. En effet, Harper considère l’idée que nous soyons tenus moralement d’être véganes comme du « véganisme fondamentaliste » — la même expression utilisée par tous les organismes de charité corporatifs, afin de rejeter le véganisme comme obligation morale. Mais, il est également clair comme du cristal que BVR, en tant qu’organisme, rejette l’idée que le véganisme soit un impératif moral.
Une réponse intéressante à mon essai est venue d’Amanda Baker, la Senior Officer of Advocacy and Policy de la Vegan Society.
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Amanda a publié des commentaires sur mon essai. Par exemple, elle dit :
En tant que personne de race blanche, de sexe féminin assigné à la naissance, je vois GF utiliser 9 000 mots pour dire « Je nie de façon véhémente, tout en revendiquant mes privilèges de façon agressive. Je continuerai de parler par-dessus, et de tenter de dominer, les personnes marginalisées et leur expérience vécue, pour dire tout ce que j’ai envie de dire. Je ne peux accepter qu’il y ait des choses que je ne peux comprendre. »
Voici une capture d’écran de son commentaire :
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Un autre commentaire d’Amanda Baker :
Pour l’exprimer en d’autres mots, GF semble dire, « Je ne peux accepter qu’en raison de l’inégalité historique des races et en tant que professeur et homme de race blanche, je vis quotidiennement avec d’énormes privilèges. Je ne peux accepter que je doive m’assoir et cesser d’être dominant, afin de laisser agir les personnes marginalisées. »
Voici une capture d’écran de son commentaire :
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Laissez-moi dire que je voue le plus grand respect à Donald Watson, le cofondateur de la Vegan Society, en 1944. En effet, j’ai écrit l’entrée sur Watson dans l’encyclopédie culturelle sur le végétarisme. Plus récemment, j’ai discuté de Watson dans un ouvrage de référence sur l’éthique animale, à paraitre* à l’université d’Oxford. Cependant, ma vision du véganisme est certainement — et malheureusement — très différente de celle de certaines personnes qui gèrent actuellement la Vegan Society.
Par exemple, en 2011, j’ai exprimé mon objection au fait que dans leur magazine, ils acceptent des placements de publicité payés de la part de restaurants non véganes. En particulier, je me suis opposé à ce que la Vegan Society fasse paraitre une annonce dans leur magazine, décrivant un restaurant non végane comme « Un havre de paix et d’inspiration ». Je ne pense pas que les animaux exploités pour les produits laitiers et les œufs, qu’on sert dans ce restaurant, seraient d’accord avec cette description. Davantage de discussion à ce sujet se trouve ici. Le résultat : J’ai été banni du forum de la Vegan Society et je ne peux plus y participer.
En 2014, je me suis opposé à la campagne « Vous n’avez pas à être végane », de la Vegan Society. J’ai postulé pour être membre de la Vegan Society, afin de pouvoir participer à la rencontre à propos de cette campagne. Ma requête a cependant été refusée, la raison étant que, selon le PDG Jasmijn de Boo, je « discrédite » la Vegan Society.
Également, en 2014, j’ai exprimé mon étonnement suite à la déclaration de Fiona Oakes,
« Ambassadrice » de la Vegan Society, qui affirme : le véganisme n’est pas pour « tout le monde, je veux dire, ce n’est probablement pas pour beaucoup de gens… ».
En 2014, j’ai écrit à propos de l’implication de la Vegan Society avec l’agriculture animale
« durable », de même qu’au sujet de son partenariat avec les vivisecteurs dans des campagnes.
En somme, je crois que la Vegan Society a perdu sa route et a peu de chose en commun avec la vision progressive qui avait inspiré Donald Watson. De mon point de vue, la Vegan Society ne voit pas le véganisme comme une question de justice pour les animaux non humains.
Mais les commentaires d’Amanda Baker sur mon essai, au sujet de ce qu’on appelle le
« véganisme intersectionnel » (qui n’est pour moi rien d’autre qu’une autre version du spécisme et de l’essentialisme), amènent mon désaccord avec la Vegan Society à un tout autre niveau qualitatif.
Amanda adopte la position que l’argument disant que le véganisme est une base morale implique le privilège d’être blanc et celui d’être de sexe masculin. Elle affirme qu’il est sexiste et raciste d’être en désaccord avec les personnes de couleur et les femmes qui rejettent le véganisme comme base morale.
C’est à couper le souffle.
De toute évidence, Amanda est d’accord avec Breeze Harper, qui rejette en bloc l’idée d’objectifs et principes moraux (du moins en ce qui concerne les non humains), et qui épouse une forme de relativisme moral, en maintenant que le véganisme est une question de « who you are space » (« qui nous sommes dans notre espace personnel »). En effet, Amanda déclare :
Je vis au Royaume-Uni, mais je ne peux suffisamment recommander le travail du Dr. A B Harper, incluant le projet Sistah Vegan.
Voici une capture d’écran de son commentaire :
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Comme indiqué dans mon essai, Harper caractérise, via Sistah Vegan, le véganisme comme obligation morale comme étant du « fondamentalisme végane ».
Amanda rejette unilatéralement l’idée du véganisme comme base morale. Puisqu’Amanda est la Senior Officer of Advocacy and Policy de la Vegan Society, ce n’est pas une surprise que cette dernière rejette le véganisme comme impératif moral, ce qui est clairement le cas.
Mais c’est plus choquant qu’Amanda aille jusqu’à dire que le véganisme comme base morale est une affaire de privilège pour les blancs. Je suis certain que plusieurs membres de la Vegan Society croient que le véganisme est bien un impératif moral. Je me demande comment ils se sentiront d’apprendre que, non seulement leur vision n’est pas pas partagée, mais qu’en plus, selon la Senior Officer of Advocacy and Policy de la Vegan Society, leur vision est sexiste et raciste.
Cette position est troublante pour de multiples raisons. Premièrement, Amanda le reconnait, elle est une femme de race blanche. Donc, il est pour le moins déconcertant qu’elle puisse faire une telle déclaration au nom des personnes de couleur. Deuxièment, il y a de nombreuses personnes de couleur et des femmes, dont les efforts d’éducation au véganisme sont basés sur l’approche abolitionniste, et qui maintiennent que le véganisme est une obligation morale. Par conséquent, saisir en quoi le véganisme comme base morale serait une affaire de privilège d’homme blanc est plutôt difficile.
Peut-être qu’Amanda est d’accord avec d’autres essentialistes qui, tel que nous l’avons vu plus haut, croient que les femmes et les personnes de couleur qui épousent l’approche abolitionniste et qui en font la base de leur plaidoyer pour le véganisme, peuvent être écartées, ignorées et considérées comme de simples « tokens » (quota ethnique). Si elle n’est pas d’accord avec eux, alors je suis choqué que la Senior Officer of Advocacy and Policy de la Vegan Society considère les femmes et les personnes de couleurs de cette façon.
Si elle n’est pas d’accord avec eux, alors je ne comprends pas tout à fait ce qu’elle veut dire lorsqu’elle affirme que ma position, qui tient le véganisme comme un impératif moral, est une affaire de privilège d’homme blanc. Il n’y a vraiment aucune bonne façon d’interpréter sa position.
Si elle dit que les femmes et les personnes de couleur qui sont d’accord avec ma position ne comptent pas, c’est évidemment problématique. Si elle dit que le véganisme comme impératif moral n’est pas une affaire de privilège pour les personnes de race blanche, du moment que ce n’est pas un homme blanc qui prend cette position, alors cela ne fait pas que rendre l’obligation morale incohérente, mais cela implique également une sorte d’identité politique insidieuse. Les principes moraux sont valides ou invalides, non pas en fonction de leur substance, mais en fonction de la personne qui épouse le principe. En plus, le qui en question est relié uniquement à la race, au sexe et au genre.
À moins qu’Amanda ne voie tout simplement pas le véganisme comme un impératif moral qui concerne la justice pour les animaux non humains. Selon cette déclaration de la Vegan Society, trouvée sur leur site Internet, Amanda semble focaliser sur l’environnement et les changements climatiques :
Pourquoi végane ? « Tout ce en quoi je crois s’aligne de plus en plus avec le véganisme comme solution ; mais ce sont l’environnement et les changements climatiques qui m’ont donné la raison d’adhérer entièrement au mode de vie végane » — Amanda
Mais, même si Amanda ne croit pas que le véganisme doit être une base morale, on s’attendrait à ce qu’au moins elle soit consciente que plusieurs personnes, dont probablement des membres de la Vegan Society, elles, considèrent le véganisme comme un impératif moral. Elle devrait réaliser que ce n’est pas une bonne idée de traiter ces personnes de racistes et de sexistes.
À moins qu’Amanda ne fasse que se plier aux exigences de certaines personnes et n’agisse sur la base d’aucun principe. Peut-être qu’Amanda a saisi la controverse comme une opportunité de faire une attaque ad hominem contre moi, en réaction aux critiques que j’ai faites à l’endroit de la Vegan Society.
Je ne suis pas certain de la raison pour laquelle Amanda prend cette position ni de la position que prend la Vegan Society en ce qui concerne cette déclaration troublante faite par son agente supérieure. J’ai écrit à la Vegan Society pour savoir ce qu’il en était. En dépit des multiples courriels envoyés au président de la Vegan Society, Jasmijn de Boo, je n’ai reçu aucune réponse. Bob Linden, de Go Vegan Radio, m’a informé qu’il avait invité Jasmijn et Amanda à venir à son émission pour discuter de la question. Pour autant que je sache, Bob n’a reçu aucune réponse.
Quoi qu’il en soit, un des membres du conseil de BVR, Christopher-Sebastian McJetters (lequel a indiqué, lorsque je lui ai parlé, qu’il préférait qu’on l’appelle « Sebastian »), a donné son opinion sur le commentaire d’Amanda. En réponse à la déclaration d’Amanda comme quoi mon essai n’est rien d’autre que 9 000 mots pour exprimer mes « privilèges », Sebastian a dit que la
« version raccourcie d’Amanda est beaucoup plus succincte ».
Voici une capture d’écran :
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La question préliminaire d’intérêt est : pourquoi la position d’Amanda ne devrait-elle pas être rejetée d’emblée par Sebastian comme un reflet de ses privilèges, puisqu’elle est une personne de race blanche, de classe moyenne et hautement éduquée? Mettons cela de côté pour l’instant.
J’avais l’impression que Sebastian était d’accord que le véganisme était une obligation morale. Mais, si c’était bien le cas, il n’aurait pas affirmé que ma position était simplement une expression de mes privilèges, puisqu’il partagerait cette position. Il aurait été d’accord que, BVR et certains de ses collègues siégeant au Conseil, ont en effet pris des positions empreintes de spécisme. Il en aurait été préoccupé.
Il semble pourtant que je faisais erreur et que Sebastian, tout comme Harper, Aph Ko, ainsi que d’autres personnes impliquées avec BVR, ne croit pas que le véganisme soit un impératif moral. Dans ce cas, comment ma position pourrait-elle être simplement une question de mes
« privilèges », puisque plusieurs personnes de couleur partagent cette position? Sebastian peut bien être en désaccord avec nous tous, mais il n’y a rien qui soit une question de privilège dans la position anti-spéciste plaçant le véganisme comme base morale. Et pourquoi donc une position disant que nous ne pouvons justifier moralement le fait d’exploiter les victimes les plus vulnérables serait-elle une question de mes privilèges d’homme de race blanche?
Nous sommes tous tenus de prendre conscience de nos privilèges, mais la question ultime est de savoir si nos privilèges nous entrainent à adopter une position injuste. Je dirais qu’une position basée sur des privilèges, dans ce contexte, en serait une qui déclarerait que les humains, en vertu de leurs privilèges d’être humain, peuvent exploiter les non humains, et peuvent rejeter le véganisme comme obligation morale. Il s’agirait-là, de mon point de vue, d’une position injuste.
Sebastian est l’un des facilitateurs de la conférence sur la justice intersectionnelle (Intersectional Justice Conference), qui est commanditée par la Humane Society of the United States. Pourquoi ma critique est-elle une question de mes privilèges? Tel que discuté dans mon essai, HSUS est un organisme qui renonce à vouloir que les gens deviennent véganes, qui supporte l’agriculture du bétail, commandite des évènements où sont servis des produits d’origine animale, et qui est parmi les plus importants — si ce n’est le plus important — partisan de « l’exploitation heureuse ». Je le répète, il semble que la position « privilégiée » est celle qui louange le support de la part de HSUS.
Je respecte le droit de quiconque ou de n’importe quel groupe de promouvoir la version du néo‑welfarisme qu’il désire promouvoir. Je respecte le fait qu’ils soient libres de rejeter le véganisme comme base morale, en faveur de la sorte de relativisme moral de Breeze Harper et son « who you are space » (« qui nous sommes dans notre espace personnel »), ou encore en faveur d’une quelconque autre position en deçà du véganisme comme base morale. Ce que je ne vais pas respecter est la menace ignoble que, quiconque critique ceux qui rejettent le véganisme comme base morale, qu’il s’agisse de moi ou d’autres—incluant des femmes et des personnes de couleur—sera traité de « raciste » ou « sexiste », ou recevra quelque autre insulte que, ceux qui optent pour la diffamation, choisissent de nous lancer à la figure, car ils sont incapables ou réticents à s’exprimer avec substance.
Cette stratégie ne fonctionnera pas.
Je reconnais que la Vegan Society s’est fortement écartée de la vision de Donald Watson, mais il est stupéfiant qu’Amanda Baker, Senior Officer of Advocacy and Policy de la Vegan Society, maintienne que la promotion du véganisme comme impératif moral est raciste et sexiste. C’est également très décevant que des membres du Conseil de Black Vegans Rock soient d’accord avec elle.
En somme : si les animaux comptent moralement, le véganisme est la seule position morale à prendre qui soit juste et rationnelle. Il n’existe vraiment pas de contreargument valable, ce qui explique le recours aux insultes. L’idée que le fait de maintenir que nous ne pouvons justifier la participation directe à l’exploitation des animaux non humains soit une affaire de privilège d’homme blanc est bizarre au plus haut point. Mais, au moins, nous savons tous où nous en sommes.
En ce qui concerne les animaux, nous jouissons tous des privilèges les plus absolus. Nous tenons leur sort entièrement entre nos mains. Nous avons besoin d’une voix claire, unifiée et consistante afin de démanteler — abolir — les mécanismes de l’exploitation animale. Cela viendra avec ce que nous disons et faisons—peu importe qui que nous sommes.
Voici un résumé pour Amanda Baker et Christopher-Sebastian McJetters, car Amanda se plaignait que l’essai original comportait 9 000 mots et Sebastian a exprimé sa préférence pour les expositions succinctes. Et cet essai comporte 2 500 mots.
Demeurez avec moi, Amanda et Sebastian, je vais résumer en deux points :
Premièrement, il est plus que honteux que la Vegan Society, fondée par Donald Watson en 1944, emploie comme Senior Officer of Advocacy and policy, une personne qui maintient que la promotion du véganisme comme impératif moral est « raciste » et « sexiste ». Pauvre Donald Watson, il doit tourner—pas se retourner, mais tourner—dans sa tombe.
Deuxièment, parce que les animaux ont une valeur morale, aucune façon de les utiliser comme ressource ne peut être justifiée moralement. Le statut moral des animaux en tant que personne exige que nous devenions véganes. Ou bien une personne est végane, ou alors elle participe directement à l’exploitation des non humains. Il n’y a pas de troisième choix. Quiconque n’est pas d’accord avec cela — peu importe sa race, son sexe, son genre, ses capacités, sa classe, ou quelque autre attribut — est moralement dans l’erreur.
Cela fait 117 mots. J’espère que ça va.
Voici une version encore plus courte : Les non humains ne se soucient pas de la race, du sexe, du genre, des capacités, de la classe ou autre, de ceux qui les exploitent.
Cela fait 16 mots.
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Si vous n’êtes pas végane, devenez-le s’il vous plait. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients, mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.
Si les animaux comptent moralement, le véganisme n’est pas une option — c’est une nécessité. N’importe quel mouvement qui prétend être pour le droit des animaux doit être clair que le véganisme est un impératif moral.
Les formes d’activismes les plus importantes que vous pouvez entreprendre sont d’épouser le véganisme comme obligation morale, de faire la promotion du véganisme comme obligation morale et de prendre soin de réfugiés non humains. Les groupes qui promeuvent
« l’exploitation heureuse » de n’importe quelle sorte font partie du problème, et non de la solution.
Le monde est végane ! Si vous le voulez.
Gary L. Francione
Professeur Distingué, Rutgers University
©2016 Gary L. Francione
*Ce texte est traduit en appliquant les rectifications orthographiques.
Pour en savoir plus : www.orthographe-recommandee.info