Les campagnes ciblées et l’adoption/l’accueil d’animaux nonhumains sans foyer

Je suis critique envers les campagnes ciblées (CCs). On me demande souvent si la promotion de l’adoption ou l’accueil d’animaux sans foyer est une campagne ciblée. La réponse est qu’elle ne l’est pas et la question montre la confusion concernant ce qu’est une CC et en quoi les CCs sont critiquables.

Bien que toutes les campagnes welfaristes puissent être qualifiées de CCs, ce terme est généralement appliqué aux campagnes qui semblent au moins chercher à abolir ou prohiber, et pas seulement réglementer, certaines utilisations des animaux, comme l’utilisation des animaux pour la fourrure ou pour la viande (ou pour certaines sortes de viande), l’utilisation des animaux sauvages dans les cirques, certaines variétés de sports de sang comme les corridas, le commerce des chevaux d’attelage, la chasse (ou certaines formes de chasse ou la chasse d’espèces particulières), etc.

J’ai au moins quatre problèmes avec les CCs.

Premièrement, les CCs propagent l’idée que certaines formes d’exploitation sont pires que d’autres. Dans une culture où l’exploitation animale est omniprésente, cela signifie nécessairement que la cible de la campagne est vue comme étant moralement plus répréhensible que les autres sur lesquelles elle n’est pas axée, qui sont considérées comme étant moralement « meilleures » ou même moralement acceptables.

Ainsi, si la plupart des gens pensent que manger de la viande, des produits laitiers et des œufs est « naturel » et ne soulève aucun problème moral, une focalisation sur la viande sème forcément l’idée que les produits laitiers et les œufs sont différents et que leur consommation est moralement acceptable, ou tout au moins moralement différente, et n’est pas aussi moralement répréhensible que la consommation de viande.

Une campagne axée sur le foie gras considère que certains produits sont moralement différents d’autres produits d’origine animale, comme le poulet rôti ou les hamburgers. Elle enseigne aux gens qu’il est moralement mieux de manger du poulet et des hamburgers, parce que le foie gras est moralement différent et moralement pire. Une campagne centrée sur la fourrure sous-entend que la laine et le cuir sont, d’un point de vue éthique, « mieux » que la fourrure.

Je rejette ce genre de réflexion au profit de la promotion de l’idée que le véganisme est la seule réponse rationnelle à la reconnaissance que les animaux ont une valeur morale. Je ne crois pas qu’il y ait une distinction moralement cohérente entre la viande et les produits laitiers/œufs, ou entre le foie gras et le bœuf, le poulet ou le poisson, ou entre la fourrure et le cuir ou la laine. Tout est moralement inacceptable. Je pense que cela noie les questions sérieuses en créant des distinctions morales là où il n’y en a pas.

J’ai parlé de cela ici.

Deuxièmement, les CCs ne peuvent pas fonctionner en pratique. Elles sont vues comme étant arbitraires et n’ont aucun sens pour les personnes qui consomment des aliments d’origine animale. Pensez-y. Ceux qui consomment des produits animaux jugent qu’il est moralement acceptable d’imposer la souffrance et la mort aux animaux pour la raison futile du plaisir gustatif, et ils participent à cette utilisation des animaux chaque jour, plusieurs fois par jour. Pourquoi penseraient-ils que la chasse est injuste alors qu’ils vont au supermarché et achètent des produits fabriqués à partir d’animaux qui ont tous autant souffert, sinon plus, que les animaux qui sont chassés ? Pourquoi penseraient-ils qu’utiliser des animaux pour d’autres raisons futiles est moralement inacceptable ?

J’ai parlé de cela ici.

Troisièmement, beaucoup de campagnes ciblées encouragent le spécisme. Les campagnes centrées sur les dauphins, les éléphants et les primates nonhumains maintiennent que ces animaux sont soi-disant plus « à notre image » sur le plan de l’intelligence, et par conséquent qu’ils ont une plus grande valeur morale. Ce genre de raisonnement pose que les caractéristiques humaines constituent l’étalon de la valeur morale et que les intérêts de type humain comptent davantage. Dans le but de déterminer qui peut être utilisé en tant que ressource remplaçable, poser que les humains et les caractéristiques de type humain comptent plus est spéciste.

J’ai parlé de cela ici.

Quatrièmement, certaines campagnes ciblées font souvent la promotion d’autres formes de discriminations humaines. Par exemple, la campagne anti-fourrure a eu des tendances résolument sexistes dès sa création il y a plusieurs décennies. Les campagnes contre la consommation de chiens et chats sont souvent et généralement accompagnées d’une rhétorique anti-asiatique. Les campagnes contre l’abattage halal ou casher ont exprimé des sentiments antisémites et antimusulmans.

J’ai parlé de cela ici.

Une partie centrale de l’approche abolitionniste consiste à voir la domestication comme intrinsèquement injuste. Nous devons arrêter de donner naissance à des animaux domestiqués pour l’usage humain. Je maintiens cependant que nous avons l’obligation morale de prendre soin des animaux qui sont maintenant en vie. Je maintiens que nous devons ouvrir nos foyers aux réfugiés nonhumains de *toute* espèce. Je ne limite pas cela aux chiens et chats. Je suis très explicite en disant qu’il n’y a pas d’élevage « responsable » d’animaux domestiqués.

Voici quelques réflexions supplémentaires sur la domestication.

Je ne dis pas que certaines formes d’exploitation sont moralement mieux que d’autres formes d’exploitation. Je ne suggère pas que nous remplacions une forme d’exploitation par une autre forme d’exploitation. Par exemple, je ne prétends pas que nous devrions adopter/accueillir des animaux puis les dresser pour les utiliser dans un cirque.

Je dis que nous avons un problème que nous avons créé : nous avons un grand nombre d’animaux domestiqués qui sont en vie maintenant et ont besoin de foyers maintenant. Nous n’avons pas d’autre choix moralement acceptable que de prendre soin de ces animaux lorsque nous avons l’opportunité de le faire. J’ai souligné que prendre soin d’animaux domestiqués ne va pas sans dilemmes moraux. Par exemple, certains chats ne peuvent apparemment pas vivre sans manger de la viande. Je maintiens que donner de la viande aux chats n’est pas moralement justifiable, mais cela peut être excusable dans certaines circonstances.

Enfin, j’ai toujours associé toute discussion sur l’adoption/l’accueil et mon rejet de la domestication avec l’autre partie centrale du message abolitionniste : le véganisme est la seule réponse rationnelle au fait que les animaux ont une valeur morale.

En résumé, promouvoir l’adoption/l’accueil d’animaux sans foyer n’est clairement pas une campagne ciblée. Prendre soin de non-humains domestiqués de toute espèce est une obligation morale centrale dans l’approche abolitionniste des droits des animaux.

Et il est plus qu’absurde de prétendre que la promotion du véganisme est une CC. Comme je l’ai dit ici, le véganisme, tel qu’il est conceptualisé dans la théorie abolitionniste (à savoir le refus de l’injustice que constitue l’utilisation des animaux), englobe notre rejet de toute exploitation institutionnalisée.

J’espère que ceci a clarifié toute confusion.

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Si vous n’êtes pas végan, devenez-le s’il vous plaît. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients. Mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Si vous pouvez adopter un animal sans foyer — un chien, un chat, un oiseau, une souris, un poisson, une vache ou une poule —, n’importe qui ayant besoin d’un foyer, s’il vous plaît, faites-le. L’adoption est une forme importante d’activisme ; ils sont en difficulté à cause de nous. Le moins que nous puissions faire est de prendre soin de ceux que nous pouvons.

Le Monde est végan ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2013 Gary L. Francione

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Post-scriptum ajouté le 13 juin 2013 :

Comme je le dis depuis mes premiers écrits sur les CCs dans le milieu des années 1990, si des défenseurs des animaux veulent poursuivre les CCs, ce dont je les dissuade au profit d’une concentration exclusive sur l’éducation et la promotion du véganisme créatives et non-violentes, ils devraient, au moins, utiliser la campagne pour dire que le véganisme doit être le principe moral de base, et qu’il doit donc être une partie centrale, explicite et cohérente de la campagne.

Soyons clairs : je ne suis pas en train de parler d’une campagne qui se concentre sur une exploitation particulière où les militants disent : « Mais nous sommes vraiment contre toute utilisation des animaux ». Je suis en train de parler d’une campagne dans laquelle l’exploitation particulière est explicitement et de façon cohérente associée à un message végan qui est central dans la campagne.

Par exemple, il y a plusieurs mois, on m’a dit qu’un groupe espagnol avait organisé une campagne contre la corrida qui invitait le public à retirer les taureaux des arènes et les produits d’origine animale de la table. Autrement dit, ils ont utilisé la campagne contre la corrida afin de sensibiliser les gens au véganisme. Ce genre de campagne, si elle est faite correctement, minimise le risque de voir la corrida identifiée à une utilisation des animaux moralement différenciable, et pire, que les autres types d’utilisation des animaux.

La majorité des CCs n’associent pas de façon explicite et cohérente une exploitation particulière à un message végan clair. Elles font même délibérément le contraire. Elles évitent très intentionnellement le véganisme afin de faire du « sujet » sur lequel elles se focalisent le problème central.

La promotion de l’adoption/l’accueil des animaux sans foyer n’est pas une CC car elle est simplement d’une catégorie différente ; elle ne cherche pas à identifier certaines formes d’utilisation des animaux comme étant « pires » que d’autres, ni à rendre l’exploitation animale « meilleure ». La promotion de l’adoption/l’accueil est une implication directe du principe abolitionniste qui considère que la domestication ne peut être moralement justifiée et qu’elle doit être stoppée, mais que nous avons l’obligation morale de prendre soin des animaux actuellement en vie dans des conditions de non-exploitation, et ce jusqu’à la fin de leur existence.

Cela étant dit, à chaque fois que je parle de l’adoption/l’accueil, j’insiste toujours sur l’autre principe abolitionniste fondamental : le véganisme est la base morale.

Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2013 Gary L. Francione