Robert Jensen et l’égalité des espèces

Selon le Professeur Robert Jensen, autre penseur progressiste :

« Personne ne croit véritablement à l’équation : ‘Un rat est un cochon est un chien est un garçon’, qui établit l’égalité de toutes les vies (ou tout au moins de toutes les vies mammifères). Pour s’en convaincre : s’il y avait un rat, un cochon, un chien et un enfant humain sur une route, qu’un camion approche et que vous ne pouviez en sauver qu’un seul, lequel choisiriez-vous ? »

Passons le test de Jensen. Même si nous répondons que nous sauverions l’enfant humain, en quoi cela nous renseigne-t-il sur la moralité qu’il y a à manger les animaux et les produits d’origine animale, à utiliser les animaux dans des cirques, des zoos ou des rodéos, ou à porter sur soi les animaux ?

Réponse : en rien.

Pour le concevoir clairement, supposons qu’il y ait, devant le camion, deux humains — une personne extrêmement âgée et un bébé. Même si nous sauvons le bébé, cela signifie-t-il pour autant qu’il est moralement acceptable de manger les personnes âgées, d’en faire des chaussures, de les exploiter dans des cirques, des zoos ou des rodéos, ou de les utiliser comme donneurs d’organes forcés pour sauver les personnes jeunes, et plus généralement de les traiter exclusivement comme des ressources ?

Non, bien sûr que non.

Supposons que les deux humains en face du camion soient deux bébés humains : l’enfant de Jensen et l’enfant d’un autre. Jensen sauverait évidemment son enfant. Cela signifie-t-il pour autant que l’autre enfant a moins de valeur morale et qu’il peut être traité exclusivement comme ressource ?

Non, bien sûr que non.

En outre, lorsque nous décidons quoi manger ce soir, nous ne sommes en aucun cas dans une situation analogue à la situation du style ou/ou postulée par Jensen. Si, comme le reconnaît Jensen, nous n’avons pas besoin de consommer de produits d’origine animale, alors nous ne sommes pas soumis à une compulsion dictée par la nécessité vitale qui nous ôterait tout choix. Si nous mangeons de la viande, des produits laitiers ou des œufs quand nous pouvons choisir de manger des légumes, des fruits, des céréales, des légumineuses et des noix, alors nous participons à la souffrance et à la mort des animaux simplement pour satisfaire notre plaisir gustatif. Si les animaux comptent moralement, leur infliger souffrance et mort pour une raison aussi éminemment frivole que le plaisir gustatif est injustifiable.

Jensen ignore tout simplement la question même que nous devons nous poser, à savoir : pouvons-nous justifier le spécisme ? Si, en 1830, vous aviez demandé à un Blanc qui il sauverait de la mort — un autre Blanc ou un Noir —, sa réponse n’aurait fait aucun doute. En fait, il n’aurait même pas compris la question, qu’il aurait jugée démente. Par conséquent, nos intuitions morales sont assurément le moins fiable des guides, le problème étant que celles-ci sont affectées et contaminées par des préjugés invasifs que nous ne semblons pas être en mesure d’expliquer ou de justifier rationnellement.

Quand je dis que tous les êtres sentients sont égaux, ce que j’entends par là est que si un être est sentient, alors cela exige de nous que nous donnions une raison morale irréfutable afin de justifier ou d’excuser le fait que nous infligions, à cet être, souffrance et mort. Je maintiens que mon point de vue ici est non seulement indiscutable, mais que la plupart des gens, en réalité, le partagent.

Ce que nous devons bien voir est que le plaisir, le divertissement ou le confort ne sauraient par définition constituer ces « raisons morales irréfutables » qui permettraient de justifier ou d’excuser le fait de manger, porter ou exploiter les animaux. Cela nous mène nécessairement à la conclusion que, dès le départ, l’exploitation animale est, à 99,99 %, injustifiable sur le plan moral.

Robert Jensen est généralement progressiste. En tant que tel, il se doit de repenser radicalement sa vision de l’éthique animale. J’espère qu’il réfléchira au fait que si nous donnions tous les grains et céréales avec lesquels nous nourrissons le « bétail » directement aux êtres humains, alors nous réduirions drastiquement la faim dans le monde. Pour produire 500 g de viande, plusieurs livres de protéines végétales sont nécessaires ; il faut beaucoup plus de litres d’eau pour produire 500 g de viande que 500 g de pommes de terre. Franchement, si Jensen pensait que les animaux n’ont aucune valeur morale et s’il accordait seulement cette valeur morale aux humains, même alors, il devrait, au nom de ses propres principes, embrasser un régime végan.

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Si vous n’êtes pas végan, s’il vous plaît, devenez-le. Le véganisme est une question de non-violence. C’est d’abord une question de non-violence envers les autres êtres sentients. Mais c’est aussi une question de non-violence envers la terre et envers vous-même.

Le monde est végane ! Si vous le voulez.

Gary L. Francione
Professeur, Rutgers University
©2013 Gary L. Francione