Le 7 juillet 2011, la Humane Society of the United States et les United Egg Producers ont annoncé qu’ils « travailleraient de concert afin de demander l’instauration d’une loi fédérale requérant des cages plus grandes ainsi que d’autres améliorations des conditions de vie des quelque 280 millions de poules pondeuses de la nation. »
Cette loi, si elle est votée, sera introduite progressivement au cours des 18 prochaines années et exigera :
des cages donnant à chaque poule 144 pouces carrés d’espace au lieu des 67 dont elles disposent aujourd’hui. Ces cages comprendraient également certains enrichissements d’habitat, comme des perchoirs, des aires de grattage et de nidification, qui permettront aux oiseaux de satisfaire leurs besoins naturels.
Que fera HSUS en contrepartie ? HSUS a
rapidement annuler une campagne destinée à interdire entièrement les cages en échange de l’opportunité de travailler à l’élaboration d’une norme unique, à l’échelle nationale, réclamant, pour les poules, des conditions de vie meilleures. L’association a également promis d’ajourner ses efforts visant à obtenir des initiatives de vote dans les Etats du Washington et de l’Oregon, et serait d’accord pour ne pas mener d’investigations secrètes dans les grands élevages de poules pondeuses à moins qu’elle ne soit au courant de pratiques particulièrement scandaleuses.
HSUS déclare cet événement « historique ». Cela donnera lieu, bien sûr, à une vaste campagne afin que passe la loi en question, et il y aura, bien entendu, toutes sortes de défis légaux. Le grand « show de la compassion » durera des années. Les appels aux dons pour « aider les animaux » seront sans fin.
Le meilleur scénario consiste bien sûr à ce que le projet de loi soit déposé et adopté rapidement. Que gagneraient les poules ? Une cage « enrichie » de 124 à 144 pouces d’espace — cage progressivement introduite au cours des 18 prochaines années, et le fait que les œufs « heureux » qu’elles produiront seront flanqués du sceau d’approbation HSUS. Cette situation est analogue à celle où les opposants à la torture par l’eau annonceraient triomphalement qu’ils ont signé un accord pour introduire progressivement des planches à eau capitonnées sur une période de 18 ans.
Les défenseurs des animaux ont eu deux réactions très différentes par rapport à cet accord entre HSUS et UEP.
Premier type de réaction : certains défenseurs critiquent HSUS, affirmant que cet accord constitue une trahison. Ils ont raison lorsqu’ils disent que c’est un désastre pour les animaux, mais, en toute justice, que peut-on attendre de la Humane Society ?
HSUS nie explicitement être en faveur des droits des animaux ou de l’abolition de l’exploitation animale. Au contraire, l’association soutient le label « viande heureuse » Certifiés Elevés et Manipulés Humainement du Humane Farm Animal Care, et deux cadres supérieurs de HSUS siègent au conseil d’administration du Humane Farm Animal Care.
La Humane Society International (HSI) est un affilié de HSUS, et le PDG de HSI est un cadre de HSUS. La branche australienne de HSI, qui se définit elle-même comme « le bras mondial de HSUS », sponsorise un label « viande heureuse » sur lequel elle prélève un cachet.
Wayne Pacelle, PDG de HSUS, reconnaît lui-même que « la Humane Society a l’esprit large en ce qui concerne l’alimentation. Environ 95 % de nos membres ne sont pas végétariens. » Il ajoute :
Mais je crois que manger est un acte moral, et que nous pouvons faire des choix qui minimisent la souffrance des animaux. Nous pouvons par exemple acheter des œufs de poules élevées en plein air, du porc qui ne provient pas d’élevages industriels, et éviter de manger du veau et du foie gras.
et
Nous plaidons pour une chasse responsable, une limitation des pires excès ainsi que des pratiques les plus inhumaines et déloyales.
La pêche n’est pas un problème, sauf si quelqu’un commet quelque chose d’horrible, comme dynamiter les poissons. La majorité du travail que nous avons réalisé en faveur du monde marin concerne la protection des mammifères marins et des oiseaux de mer.
Pacelle déclare également :
Notre conseil de directeurs est national et composé de volontaires. Très peu d’entre eux sont végétariens. Je le suis pour ma part depuis mon adolescence. Ce que je fais dans ma vie personnelle ne reflète pas nécessairement la politique de HSUS. Nous soutenons des programmes certifiés humains, nous soutenons d’autres agriculteurs, nous travaillons avec les agriculteurs, nous pensons que l’agriculture est une profession noble.
Je ne pense pas que quiconque puisse raisonnablement prétendre que notre travail s’oriente vers une élimination de l’agriculture animalière comme certaines personnes de l’industrie s’obstinent à le répéter.
Ainsi, joindre nos forces à celles de l’industrie afin de produire et de promouvoir des œufs « heureux » s’accorde parfaitement à ce que réalise HSUS depuis des décennies. L’accord HSUS/UEP confirme simplement — une fois de plus — que HSUS conclut des marchés avec l’industrie et fait sentir à ses membres non végétariens qu’ils s’engagent dans une conduite moralement acceptable en achetant de la viande, des produits laitiers ou des œufs « heureux » approuvés par HSUS.
Tout ce que fait HSUS, c’est mettre en œuvre le concept, parfaitement dénué de sens, d’exploitation « humaine » tel qu’il est appliqué depuis deux siècles. La seule différence entre le HSUS d’il y a cinquante ans et le HSUS actuel, c’est que ce dernier étend sa philosophie d’exploitation « bonne conscience » aux animaux d’élevage alors qu’il y a cinquante ans, il se focalisait essentiellement sur les animaux que nous fétichisons culturellement : les chiens et les chats.
Le second type de réaction de la part des défenseurs des animaux affirmant être plus progressifs que HSUS a été cependant d’approuver l’association dans sa déclaration selon laquelle son accord avec UEP constitue une sorte d’événement « historique » ; un « pas décisif » ; une « étape » en direction des droits des animaux.
Tout cela est parfaitement ridicule. Les cages « enrichies » impliquent la torture des poules. Point barre. La torture peut être légèrement « moins pire », tout comme, dans le cas du supplice de la baignoire, les planches à eau matelassées rendent ledit supplice « moins pire ». Mais soyons clairs : les poules seront toujours torturées. Et elles finiront toujours dans un abattoir. La seule différence est que ces œufs de poules torturées seront déclarés « humains » par HSUS. Cet accord sera contreproductif en ce qu’il renforcera la croyance selon laquelle nous pouvons exploiter les animaux d’une manière « douce » ou « compassionnelle ».
De nombreux défenseurs des animaux affirment que puisque les gens, de toute façon, ne vont pas s’arrêter de manger des œufs, alors nous devons faire quelque chose maintenant pour les animaux qui souffrent. Mais cet accord, à l’instar de la plupart des accords relatifs à l’exploitation « heureuse » promus par HSUS et d’autres organisations (y compris celles qui se revendiquent des associations de « droits des animaux »), n’entre pas en vigueur avant plusieurs années — 18 ans dans le cas qui nous occupe. Dans la mesure où l’accord fournit un quelconque bénéfice aux animaux, alors on peut être sûr qu’il ne sera pas opérationnel avant très, très longtemps. Et même si les « cages enrichies » fournissent aux animaux un quelconque bénéfice en termes de bien-être, ce genre de « réforme » rend le public plus à l’aise par rapport au fait de consommer des œufs et lui est une garantie pour continuer d’en manger.
Le problème est que bien que nous ne devions rien attendre de plus de la part de la « Humane » Society, les autres associations prétendant œuvrer pour les droits des animaux et souscrire apparemment à l’abolition de l’exploitation animale soutiennent également ce genre d’accords. Pratiquement toutes les grosses associations animalistes des Etats-Unis et d’Europe se sont prononcées en faveur d’un ou plusieurs labels « heureux », et pratiquement toutes sont occupées à faire affaire avec les exploiteurs institutionnels. Il paraît que les associations progressistes se sont déjà prononcées en faveur de l’accord HSUS/UEP. En effet, Farm Sanctuary, de même que HSUS, essaie de s’attribuer le mérite de ce dernier.
Le seul moyen de modifier le paradigme de l’exploitation animale consiste à sensibiliser le public, de sorte que celui-ci cesse de demander des produits d’origine animale eu égard à la reconnaissance du fait que les animaux sont des membres de la communauté morale. Cet objectif n’est pas aussi idéaliste qu’il peut paraître : la plupart des gens admettent qu’il est mal d’infliger « sans nécessité » des souffrances ou la mort aux animaux. Ils comprennent qu’un tel principe moral exclut donc d’infliger souffrance et mort à ces derniers pour des raisons de plaisir, de confort ou d’habitudes. C’est pourquoi il y eut tant de réactions puissamment négatives à l’encontre de l’utilisation, par Michael Vick, de chiens pour le combat. Le plaisir qu’éprouvait Vick à regarder des chiens se battre ne justifiait pas qu’il inflige à ceux-ci souffrances et mort. Le même raisonnement s’applique à notre consommation des animaux. Il n’y a aucune différence entre le fait de s’asseoir autour d’une fosse pour assister à des combats de chiens et le fait de s’asseoir en été autour d’un barbecue où rôtissent les corps d’animaux torturés, ou celui de se gaver béatement de produits laitiers et d’œufs issus d’animaux torturés.
Nous devons faire comprendre aux gens que notre exploitation continue des animaux pour la nourriture, l’habillement, etc., est injuste ; le problème n’est pas seulement la manière dont nous traitons les animaux, mais le fait que nous les utilisions tout court. Les réactions contre Vick nous enseignent clairement que les gens, ou à tout le moins beaucoup de gens, sont en mesure de comprendre cette idée et de l’accepter. Nous devons les amener à étendre cette idée à tous les animaux, et pas seulement aux chiens et aux chats. Cet objectif peut être atteint au moyen d’une éducation du public créative et non-violente.
La seule façon de faire un jour changer les choses consiste à bâtir un mouvement composé de gens qui considèrent clairement le véganisme comme le principe moral de base. Un tel mouvement peut servir de catalyseur pour modifier le paradigme consistant à voir les non-humains comme des produits à notre usage, servant exclusivement de moyens à nos propres fins.
Et cela n’arrivera jamais aussi longtemps que nous penserons que l’exploitation « heureuse » constitue une manière de réponse. La croyance selon laquelle l’exploitation « heureuse » aura pour résultat d’importants bénéfices de bien-être pour les animaux et mènera, dans le futur, à l’abolition de leur exploitation, est tout simplement fausse.
En conclusion : ceux qui critiquent HSUS pour avoir passé un tel accord doivent reconnaître que ce genre d’action correspond exactement à ce qu’a toujours fait HSUS. Il s’agit de la « Humane » Society. Et « humain » est un concept dépourvu de sens dans un contexte où les animaux sont des biens meubles. HSUS existe afin de rendre les gens qui exploitent les animaux plus à l’aise par rapport à l’exploitation. Et ceux qui affirment qu’il s’agit d’un accord « décisif » pour les animaux, et qu’une telle politique débouchera dans un avenir proche sur d’importants bénéfices de bien-être, sur une réduction de l’utilisation des animaux et sur l’abolition dans le futur de l’exploitation animale, doivent reconnaître que plébisciter un concept tel que celui de l’exploitation « compassionnelle » ne mènera jamais – ne pourra jamais mener – au rejet de l’utilisation des animaux. Au contraire : cela ne fera que renforcer et perpétuer cette utilisation.
Merci de comprendre qu’en aucun cas je ne remets en question la sincérité de ceux qui soutiennent les réformes de bien-être ou les partenariats avec l’industrie. En revanche, je crois sincèrement qu’ils se trompent.
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Si vous n’êtes pas végan, pensez à le devenir. C’est facile ; c’est meilleur pour votre santé et la planète ; et c’est surtout, moralement, la bonne chose à faire.
Si vous êtes végan, sensibilisez toutes les personnes avec qui vous êtes en contact au véganisme d’une manière créative et non-violente. Si vraiment nous considérons les animaux comme des membres de la communauté morale ; si vraiment nous croyons que nous ne pouvons justifier la souffrance et la mort non nécessaires des animaux, alors nous ne pouvons justifier le fait que des milliards d’entre eux meurent pour le plaisir de nos palais.
Et rappelez-vous : le véganisme n’est pas seulement une affaire de réduire la souffrance ; c’est une question de justice morale fondamentale. C’est ce que nous devons à ceux qui, comme nous, tiennent à leur existence et veulent continuer à vivre.
Le monde est végane ! Si vous le voulez.
Gary L. Francione
©2011 Gary L. Francione