A propos du militantisme de type « sang et tripes »

Chers Collègues :

Les défenseurs des animaux se demandent souvent s’ils doivent recourir dans leurs efforts de sensibilisation à des images violentes. Par exemple, doivent-ils montrer des vidéos d’abattoirs ou d’autres situations de brutalité ?

Je ne suis pas sûr que l’on puisse apporter à cette question une réponse positive ou négative, mais je tiens à vous faire part de quelques réflexions.

Premièrement, certaines personnes refuseront de visionner ce genre d’images, s’éloigneront de vous ou quitteront votre conférence. Vous perdez alors une opportunité d’interaction et de sensibilisation.

Deuxièmement, nous vivons dans une société dans laquelle les gens sont habitués à voir de la violence extrême et sanglante tout le temps – dans les films qu’ils regardent, les jeux vidéo auxquels ils jouent, ou encore les nouvelles du soir. D’une certaine façon, notre société est insensibilisée à la violence. Nous ne devons pas surestimer l’impact de vidéos et d’images que nous pensons choquantes.

Troisièmement, les images violentes tendent pratiquement toujours à focaliser celui qui les regarde sur le traitement des animaux, et non sur leur exploitation. C’est-à-dire que montrer à quelqu’un ce genre d’images entraîne presque toujours la réaction automatique suivante, à savoir que le traitement doit être amélioré, non que l’exploitation doit être complètement stoppée. La réponse habituelle est généralement celle-ci : « Oui, c’est terrible : ils ne doivent pas faire ça, mais nous pouvons certainement rendre tout cela plus ‘humain’ ? »

C’est précisément la raison pour laquelle les grosses organisations welfaristes recourent presque toujours à un militantisme de type « sang et tripes » ; c’est leur but que d’appeler à un changement qui, clament-ils, rendra l’exploitation animale plus « humaine ». Ils donneront à voir l’horreur que constituent les usines d’abattage de poulets pour mieux promouvoir le gazage des poulets ; ils montreront un élevage en batterie conventionnel pour plébisciter les œufs de poules élevées en plein air. Le message est clair et explicite : laissez-nous vous montrer combien c’est horrible, mais, avec votre soutien, nous pouvons éliminer les « pires abus » et améliorer ainsi la situation. Les divers programmes « label humain » soutenus ou sponsorisés par ces groupes montrent assez que le point de mire est le traitement et non l’utilisation.

Certains militants disent utiliser ces vidéos en les faisant suivre d’un message abolitionniste. Bien que ce soit mieux que de ne les faire suivre de rien du tout, le problème, bien sûr, est que si vous montrez un film ou présentez des documents qui font partie d’un message global portant sur le réformisme et la réglementation, il va être difficile de contrer le message welfariste généralement explicite contenu à l’intérieur. Vous paraîtrez raisonner à partir des matériaux que vous montrerez, et cela embrouillera le public.

Quatrièmement, il est à mon avis impératif d’amener les gens à réfléchir sur l’injustice fondamentale que représente l’utilisation des animaux. C’est pourquoi je commence pratiquement chacune de mes présentations sur l’éthique animale par une discussion à propos de notre acceptation commune du principe moral selon lequel il est condamnable d’infliger souffrances et mort « non nécessaires » aux animaux, et que toute compréhension cohérente du concept de nécessité doit exclure les souffrances et la mort infligées pour des questions de plaisir, de divertissement ou de commodité. J’explique alors que, précisément, 99,99 % de notre exploitation des animaux reposent uniquement sur des questions de plaisir, de divertissement et de commodité. La plupart des gens n’ont jamais réellement fait face à leurs propres inconséquences quant à leur manière de considérer les animaux. La plupart n’ont jamais réfléchi au fait que ceux qui consomment des produits d’origine animale n’ont aucun droit de revendiquer un haut niveau de conscience morale, pas plus qu’ils n’ont le droit de critiquer Michael Vick, par exemple.

J’explique ensuite, mettant de côté la question éthique fondamentale de l’exploitation animale, que le traitement des animaux ne peut être sensiblement amélioré parce que les animaux sont des propriétés, et que les soucis économiques serviront toujours à maintenir les standards de leur bien-être à des niveaux très bas. A vrai dire, les réformes welfaristes s’avèrent en réalité contreproductives en ce qu’elles rendent le public plus à l’aise par rapport au fait de consommer des produits d’origine animale. Le mouvement bourgeonnant « Viande heureuse » en est une preuve irréfutable.

Dans la mesure où j’utilise des vidéos (et j’en utilise rarement), j’utilise des contenus explicites quant à l’exploitation animale. Par exemple, Peaceful Prairie Sanctuary possède certains documents excellents sur l’échec du réformisme welfariste. Ils font clairement comprendre que la solution est de ne plus du tout utiliser les animaux.

Sixièmement, l’une des vidéos les plus efficaces qu’il m’ait été donné de voir est un clip sur deux vaches attendant de pénétrer dans un abattoir. Il n’y a ni sang ni tripes sur cette vidéo – seulement un message très clair et puissant que ces vaches sont des personnes nonhumaines, et qu’aucun caprice de notre palais ne pourra jamais en justifier l’exploitation – quand bien même nous les traiterions « avec humanité ». Cette vidéo dure 3 minutes. Je ne saurais pas vous dire le nombre de gens à m’avoir avoué que c’était l’une des choses les plus imparables qu’ils aient jamais vues.

Pour conclure, je comprends qu’il est important de sensibiliser le public à propos des réalités de l’exploitation animale contemporaine. Mais il est également important de faire clairement comprendre que même si nous nous débarrassons de tous les élevages industriels pour ne garder que des élevages familiaux considérés par certains welfaristes comme idéaux, ou même si tous les laboratoires respectaient scrupuleusement l’ensemble des lois et règlementations concernant la vivisection, les animaux seraient toujours torturés et continueraient de souffrir toutes sortes de privations. Si nous posons que l’utilisation des animaux, fût-elle « humaine », ne peut être moralement justifiée, nous pouvons surprendre au départ des gens habitués à entendre le message welfariste. Mais si en plus nous donnons promptement les arguments soutenant l’abolition végane, le résultat sera encore plus fécond et significatif en termes de changement de comportement.

La vérité est que nous ne verrons jamais aucun changement tant que nous n’aurons pas déplacé le paradigme de la violence à la non-violence ; du traitement « humain » des animaux à l’abolition pure et simple de leur utilisation.

Gary L. Francione
© 2009 Gary L. Francione