Singer et la position néo-welfariste sur la moins grande valeur de la vie des nonhumains

Chères collègues & chers collègues :

Certains défenseurs des animaux soutiennent qu’il n’y a aucune différence entre l’approche abolitionniste et l’approche néo-welfariste de Peter Singer.

J’ai commenté les vues de Singer à l’occasion d’autres essais parus sur ce site (voir, par exemple, 1, 2) ainsi que dans mes livres et articles, dans un effort visant à illustrer ce qui me semble représenter des différences théoriques et pratiques considérables entre nos approches. Un autre exemple est donné dans un récent interview accordé par Singer. Il déclare :

Vous pouvez dire qu’il est mal de tuer un être dès que cet être est sensible ou conscient. Mais vous devez alors reconnaître qu’il est aussi mal de tuer un poulet ou une souris qu’il l’est de vous tuer ou de me tuer. Je ne peux accepter cette idée. Il est possible que ce soit aussi mal, mais des millions de poulets sont tués chaque jour. Je ne peux croire qu’il s’agit là d’une tragédie du même ordre que si des millions d’humains étaient tués. Qu’y a-t-il de différent chez les humains? Les humains sont des êtres qui regardent vers l’avant et ils ont des espoirs et des désirs pour le futur. Cela semble constituer une réponse plausible à la question portant sur les raisons pour lesquelles la mort des humains est si tragique.

Singer articule assez clairement l’idée welfariste selon laquelle la vie des nonhumains a moins de valeur morale que la vie des humains.

Les commentaires de Singer sont problématiques pour plusieurs raisons. Premièrement, Singer présume que les poulets et les autres nonhumains sensibles ne sont pas des êtres qui peuvent envisager le futur. J’ai bien peu d’expérience personnelle avec des poulets, mais j’en sais suffisamment à leur propos pour conclure que leur comportement ne peut être expliqué sans qu’il ne leur soit attribué un certain type de cognition équivalent à ce qui nous semble permettre que les êtres humains puissent envisager l’avenir. Les poulets ont évidemment des intérêts, des préférences et des désirs, et ils sont capables d’agir de manière à satisfaire leurs intérêts et leurs préférences. Lorsque nous tuons ces nonhumains, nous frustrons leur habileté à satisfaire leurs intérêts, leurs préférences et leurs désirs – exactement comme c’est le cas lorsque nous tuons des humains.

J’ai eu de nombreuses expériences avec des chiens et je peux dire avec assez de certitude que je serais renversé si quelqu’un devait affirmer que les chiens ne sont pas des êtres pouvant envisager le futur ou qu’il n’ont pas d’espoirs et de désirs.

La prémisse sous-jacente à la position de Singer est que la seule manière de se tourner vers l’avenir et d’avoir des espoirs et des désirs est de le faire à la manière des humains. Or, cela est clairement une position spéciste. Les humains possèdent des concepts qui sont inextricablement liés à la communication symbolique. La cognition des nonhumains est fort probablement très différente de la cognition humaine parce que les nonhumains n’utilisent pas de communication symbolique. Mais cela ne signifie certainement pas que les nonhumains ne vivent pas des phénomènes cognitifs équivalents.

Deuxièmement, et c’est ce qui est le plus important, il y a la valeur que Singer attribue à l’habileté à faire des plans pour l’avenir. Qu’en est-il des humains qui souffrent d’amnésie globale transitoire? Ils ont un sens d’eux-mêmes dans le présent, mais sont incapables de se rappeler le passé ou de planifier pour le futur. Est-ce que les tuer serait moralement mauvais? Bien sûr que ce le serait. Jugerions-nous qu’il est pire (moralement et légalement) de tuer une personne qui ne se trouve pas dans cet état? Bien sûr que non. Ces deux meurtres nous paraîtraient également condamnables parce que dans les deux cas, nous aurions privé des humains de leur vie, de ce qui compte pour eux. La vie d’un poulet est aussi valable pour lui que ma vie l’est pour moi.

De plus, selon les analyses de Singer, la vie d’un humain ayant plus d’espoirs et de désirs vaudrait plus que la vie d’un humain qui en a moins. Alors la vie d’une personne dépressive qui ne serait pas particulièrement excitée par le futur ou qui ne fait pas de projet pour l’avenir, ou la vie d’une personne pauvre, dont les espoirs et les désirs concernent leur prochain repas ou l’endroit où elle dormira la nuit prochaine, vaudrait moins que la vie d’un professeur de Princeton qui a beaucoup, beaucoup d’espoirs et de projets pour le futur.

Les commentaires de Singer reflètent – une fois de plus – le principe welfariste voulant que notre utilisation des animaux n’est pas le principal problème, ni même un problème moral, parce que, en fait, les animaux n’ont pas d’intérêt envers leur propre vie. Ainsi, les welfaristes soutiennent que les nonhumains ont un intérêt à ne pas souffrir mais, parce qu’ils n’ont pas intérêt à continuer à vivre en raison du fait qu’ils n’ont pas d’espoirs ou de désirs pour l’avenir, nous pouvons les utiliser pour nos propres fins tant et aussi longtemps que nous les traitons « humainement ». Singer endosse clairement le principe welfariste selon lequel les nonhumains ont moins de valeur que les humains. Clairement, explicitement et de manière répétée, il a rejeté le concept des droits des animaux en dépit de son affirmation – faite, elle aussi, lors de cette interview – à l’effet qu’il cherche « à créer un mouvement pour les droits des animaux ».

Les commentaires de Singer dans cette interview ne nous apprennent rien de nouveau. Il tient ce discours depuis des années et on le retrouvait déjà dans Animal Liberation, un livre qui ne portait pas sur les droits des animaux, mais qui a valu à Singer l’obtention du titre de « père du mouvement pour les droits des animaux ». Il est, toutefois, renversant que tant de défenseurs des animaux prétendent qu’il n’y a pas de véritables différences entre la position de Singer et l’approche abolitionniste en faveur des droits des animaux.

À ces défenseurs des animaux qui ne voient pas de différence, je vous exprime ma sincère et profonde consternation.

Gary L. Francione
©2009 Gary L. Francione