L’anthropologiste Margaret Mead a dit, un jour : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens conscients et engagés puisse changer le monde. En fait, il n’y a que des gens comme eux qui soient jamais arrivés ».
L’organisation People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) a évoqué la citation de Mead pour se féliciter elle-même et pour féliciter ses supporters welfaristes d’avoir obtenu l’accord de la division canadienne de Ketucky Fried Chicken pour « acheter 100% de ses poulets – dans le cadre d’un programme de transition graduelle – d’un fournisseur qui pratique la « mise à mort par contrôle atmosphérique » (CAK), la méthode la moins cruelle pour abattre des oiseaux qui soit disponible. La méthode CAK consiste à remplacer l’oxygène des oiseaux par un mélange de gaz inertes non toxiques qui les « endorment » gentiment. »
De plus, KFC Canada a accepté d’ajouter ce que PETA qualifie d’« option totalement exempte de cruauté » à son menu dans 65% de ses restaurants canadiens : un sandwich de faux poulet servi dans un wrap agrémenté de mayonnaise non végane. De plus, KFC Canada a accepté d’« améliorer ses critères de vérification du bien-être animal afin de réduire le nombre d’os brisés et d’autres blessures dont souffrent les oiseaux », de demander (sans toutefois exiger) à ses fournisseurs de procéder à d’autres améliorations et de former un comité de consultation sur le bien-être animal. Et PETA acquerra plus de pouvoir : KFC autorisera « PETA à corriger ses formulaires de vérification du bien-être animal tous les six mois ».
PETA, « excité d’annoncer » ce qu’il qualifie de « nouveau plan historique de bien-être animal, d’« énorme victoire » et de « victoire historique! », a officiellement cessé son boycott de KFC Canada. Mais PETA nous met en garde en nous rappelant que « la cruauté continue dans d’autres nations ».
La pauvre Margaret Mead ne doit pas que se retourner dans sa tombe; elle doit le faire à toute vitesse.
L’accord entre PETA et KFC est un parfait exemple de l’échec des réformes visant le bien-être animal.
Réfléchissez à ce qui suit :
Premièrement, considérer cela comme une « victoire » pour les animaux est le summum de l’ironie. Cet accord est certainement une « victoire ». Mais il s’agit d’une victoire pour l’industrie canadienne du poulet, qui profitera en effet d’une plus grande efficacité au niveau de la production et de plus de profits.
Dans son analyse de la mise à mort par contrôle atmosphérique -vs- l’immobilisation électrique d’un point de vue économique, PETA appuie la méthode de « mise à mort par contrôle atmosphérique (CAK) » pour les poulets en affirmant que la méthode d’abattage par chocs électriques « diminue la qualité du produit et le rendement » parce qu’elle brise les os des oiseaux et parce que le processus peut entrainer une contamination menaçant la santé humaine. Par ailleurs, l’abattage par chocs électriques « augmente les coûts de main d’œuvre » de différentes manières. PETA soutient que la méthode « CAK augmente la qualité des produits et le rendement » parce que les os brisés, les ecchymoses et les hémorragies sont soi-disant éliminés, les risques de contamination sont réduits, la « durée de conservation de la viande » est augmentée et une « viande de poitrine plus tendre » est produite. PETA affirme aussi que la méthode « CAK diminue les coûts de main d’œuvre » en réduisant les besoins au niveau de certaines inspections, les risques d’accidents et le roulement de personnel. CAK offre enfin « d’autres avantages économiques » à l’industrie du poulet en permettant aux producteurs d’économiser de l’argent en diminuant les frais d’énergie, le gaspillage de sous-produits et la quantité d’eau nécessaire.
Cette analyse est cohérente avec celle qu’a produite la Humane Society of the United States, qui a étudié un nombre considérable de données pour conclure ce qui suit :
CAK entraîne des économies en diminuant les coûts de production et une augmentation des revenus en réduisant les pertes de qualité des carcasses, la contamination et les coûts de réfrigération; en augmentant la rentabilité de la viande, sa qualité et sa durée de conservation; et en améliorant les conditions de travail des employés. En évitant de suspendre les poulets vivants et de les rendre inconscients par un courant électrique, la méthode CAK entraîne moins d’os brisés et moins d’ecchymoses et d’hémorragies. La diminution du nombre de carcasses abîmées permet de désosser plus efficacement la volaille et d’obtenir une viande désossée de meilleure qualité. Il a été démontré que la méthode CAK réduit les ecchymoses jusqu’à 94% et les fractures osseuses jusqu’à 80%. En présumant de manière conservatrice que la méthode CAK n’augmente le rendement que de 1%, une usine qui produirait 1 million de poulets par semaine dont les carcasses habillées pèsent en moyenne 4.5 livres et se vendent au prix de gros de $0.80 la livre jouirait d’une augmentation de ses revenus annuels de $1.87 millions, suite à l’adoption de la méthode CAK [référence omise].
Et l’industrie est d’accord. Selon les Poultry Producer CAK Endorsements de PETA, l’industrie du poulet reconnaît volontier que la méthode CAK est préférable en bout de ligne :
« Brandons n’a pas seulement profité d’une viande de meilleure qualité et d’améliorations au niveau du bien-être. Des avantages se sont fait ressentir à travers toute l’usine. …[Il s’est produit] une diminution de 50% des coûts de main d’œuvre sur la ligne de production. La vitesse de production à la chaîne a augmenté [de 20%]. …Le rendement a augmenté jusqu’à 1.5%… »
— Étude de cas portant sur Brandons Plc, par Anglia Autoflow« Quant à la ligne de dindes … chaque employé assigné à la suspension installe environ 7.66 oiseaux par minute sur le support … comparé à environ 5.125 oiseaux par minute dans les usines américaines. Cela offre une amélioration de livre-par-employé-par-minute de presque 50%, parce que les employés n’ont pas à retirer les oiseaux des cages à la main comme ils le font aux États-Unis… où l’opération consiste à suspendre les oiseaux vivants. »
— Article de la Watt Poultry USA à propos d’Amadori, février 2006« À peu près 140,000 oiseaux par jour sont traités à l’usine de Flixton …. Un représentant de la compagnie a dit que la méthode CAS avait été adoptée afin d’améliorer le bien-être économique [et] les conditions de travail des travailleurs. À titre de bénéfice subsidiaire, l’usine voit ses lignes de production fonctionner plus rapidement qu’avant. Flixton ne traitait que 110,000 oiseaux par jour avant d’installer le CAS. »
— Article de la Watt Poultry USA, février 2006« « Il y a moins de découpage à faire sur la ligne parce qu’il y a beaucoup moins … taches et autres dommages pouvant provenir des chocs électriques », dit Henry Kuypers, gérant de la production de l’usine Pingo Poultry …. L’abattage par gaz a permis [à la compagnie] d’obtenir un produit plus tendre [en] seulement trois heures … [contrairement aux] 12 ou même 24 heures autrement nécessaires. « Cette période variable de maturation a aussi affecté l’uniformité des produits », explique Kuypers. — « CAS-ting Call »,
Poultry magazine, octobre 2006« Nous commençons à quantifier les améliorations au niveau du rendement et du travail, mais à l’œil nu, nous pouvons déjà apercevoir des bénéfices au niveau des ailes, de la viande des ailes et de la viande des poitrines. »
— Dale Hart, gérant général de Cooper Farms« Le système CAS améliore l’environnement des travailleurs dans le département de la réception des oiseaux vivants, améliore les aspects ergonomiques associés à la suspension des dindes et réduit les dommages encourus par les carcasses. »
— Article de la Watt Poultry USA à propos de Cooper Farms, novembre 2006« Amadori était intéressée au CAS parce que la compagnie voulait améliorer les conditions de travail des employés assignés à la suspension des oiseaux, le bien-être des animaux, l’efficacité du travail et la qualité de la viande. Le CAS a apporté des améliorations à chacun de ces niveaux… »
— Un article de la Watt Poultry USA, février 2006« L’installation de l’abattoir au gaz a réduit de manière remarquable les pertes associées aux hémorragies et aux fractures des os et a amélioré la couleur et la texture des filets en comparaison à la méthode précédente qui consistait à tuer les oiseaux en les plongeant dans un bain d’eau électrifiée. Comme les usines américaines, MBA Poultry peut justifier le recours à l’abattage au gaz par la contribution de cette méthode à l’augmentation des revenus qui, le plus souvent, compense largement l’investissement supplémentaire qu’il nécessite et les coûts associés à son opération. »
— « Future of Gas », Watt Poultry USA, avril 2005« La qualité de la viande est améliorée par l’utilisation du CAS et il y a moins de sang dans la poitrine et dans la chair mince. La saignée des carcasses n’a pas été affectée par le passage du système d’abattage électrique au CAS. »
— Article de la Watt Poultry USA à propos de Le Clezio, février 2006« En plus d’essayer de maximiser le rendement du traitement de 11,000 oiseaux par heure, nous devons aussi nous assurer que la viande n’est pas marquée. Le CAS nous permet d’atteindre des hauts standards à cet égard. … Cela procure [également] des meilleures conditions de travail pour l’équipe. »
— Richard Wenneker, de la Emsland Frischgefluegel« La qualité de la viande a été énormément améliorée. La viande n’a plus de taches de sang et, par conséquent, il n’est plus nécessaire de la nettoyer de ses imperfections. En augmentant le rendement, cela a entraîné des bénéfices notables. L’opération de coupe de la viande demande maintenant moins d’employés grâce aux bénéfices de … CAS. »
— Étude de cas menée pour le compte de Prior Norge par Anglia Autoflow
La méthode CAK diminue donc les coûts de production et les abattoirs qui fournissent KFC Canada devaient, en toute probabilité, passer au CAK pour des raisons économiques de toute façon. En fait, il s’agit là du modus operandi du mouvement moderne de défense des animaux : identifier les pratiques qui ne sont pas économiquement efficaces et qui sont en train d’être changées par l’industrie de toute façon; lancer une campagne visant ce qui était sur le point d’arriver dans l’ordre naturel des choses; déclarer victoire; et entreprendre une campagne de financement. C’est exactement ce qui se passe ici.
Deuxièmement, PETA a offert à KFC Canada rien de moins qu’un coup de main au niveau des relations publiques. PETA a mis fin à son boycott de KFC Canada et il affirme avoir gagné sa campagne contre la cruauté de KFC au Canada, même si « la cruauté continue dans d’autres nations », indiquant par là au public que ceux qui se préoccupent des animaux peuvent, une fois de plus, manger dans les KFC du Canada en ayant l’approbation de PETA. En fait, PETA et KFC sont maintenant en lune de miel. PETA affirme que KFC « endormira maintenant gentiment [les poulets] ». Selon un article paru dans le Toronto Star, le président de KFC Canada Steve Langford a dit, après s’être assis avec les gens de PETA, « nous avons découvert qu’il n’y avait entre nous aucune différence d’opinion sur la manière dont les animaux doivent être traités ». Matt Prescott de PETA a dit croire « que KFC au Canada est honnêtement préoccupé par le bien-être des animaux. » Precott a ajouté que « [t]out ce que nous voulons est que KFC partout dans le monde fasse ce que KFC Canada a fait ».
On dit que Langford est « ravi par l’accord ». Je ne doute aucunement qu’il le soit. Si j’étais lui, je serais aussi ravi. Il n’a rien perdu et il a gagné l’aide de PETA comme agence de relations publiques, et ce sans frais.
Troisièmement, KFC développe sa ligne de produits et offre maintenant un sandwich au faux-poulet « sans aucune cruauté » approuvé par PETA, qui sera manipulé parmi les autres produits, d’origine animale ceux-là, et préparé avec de la mayonnaise non végane (à moins que le client demande qu’on n’en mette pas). Alors KFC offrira un met non végan appuyé par PETA. Les gens pourront maintenant être des « défenseurs des animaux » en mangeant un produit non végan chez KFC et mettre plus d’argent dans les poches d’une corporation qui vend la mort. Mais ce comportement s’inscrit dans ce qui semble être une tradition. Dans un article de décembre 2006 à propos de Dan Mathews de PETA, on apprenait que Mathews et le journaliste étaient allés au McDonald’s pour manger et que le journaliste avait demandé à son accompagnateur s’il était correct de commander un cheeseburger. Il est rapporté que Mathews aurait répondu « commandez ce que vous voulez »… « la moitié de nos membres sont végétariens et l’autre moitié pense que c’est une bonne idée ». En mettant de côté le fait que Mathews mange au McDonald’s, qu’il dise au journaliste de commander ce qu’il veut et qu’il affirme sans inconfort apparent que seulement la moitié des membres de PETA sont « végétariens » (oublions le véganisme), Mathews lui-même a mangé un produit – le « veggie burger » – que même McDonald’s n’affirme pas être végétarien parce qu’il est cuit sur la même grille que les produits animaux et est mis en contact avec des produits animaux.
Et l’accord est une victoire pour PETA, qui a depuis longtemps abandonné l’approche des droits des animaux pour préférer la quête de plus de gloire et de plus de contributions financières. Tout ce qui compte, c’est PETA. Les animaux sont secondaires.
L’« entente » KFC/PETA démontre clairement ce qui ne va pas avec l’approche focalisant sur le bien-être animal. Ces campagnes perpétuent l’idée confuse selon laquelle les « droits des animaux » signifient quelque chose comme ajouter un appareil de télévision dans une chambre de torture et de ne faire absolument rien d’autre pour tenter de renverser le paradigme de la propriété. Au contraire, l’approche welfariste renforce le statut des animaux qui sont traités comme de simples marchandises. Et cette approche fait en sorte que les gens se sentent plus à l’aise par rapport à l’exploitation animale. Finalement, ces campagnes témoignent de la relation symbiotique entre l’industrie et le mouvement de défense des animaux.
Dans la mesure où cette situation illustre la très juste observation de Margaret Mead, elle le fait en nous rappelant qu’un petit groupe de personnes peuvent avoir un impact adverse considérable sur le progrès social. Plusieurs personnes sont préoccupées par l’éthique de l’utilisation d’animaux. Mais tant et aussi longtemps que les grandes organisations soi-disant de défense des « droits des animaux » diront aux gens qu’ils peuvent remplir leurs obligations morales en mangeant chez KFC et à d’autres endroits semblables (rappelez-vous que PETA a conclu des « ententes » similaires avec McDonald’s et Burger King), le statu quo persistera et le seul progrès auquel nous assisterons sera celui du compte de banque de PETA.
Gary L. Francione
© 2008 Gary L. Francione