Un de mes amis m’a récemment posé la question suivante : « Que dites-vous aux personnes qui sont véganes et qui éduquent les autres à propos du véganisme, mais qui sont aussi préoccupées par les cirques, la chasse et les autres formes particulières d’exploitation animale. Est-ce que vous leur conseillez de ne pas se soucier de ces questions et de ne focaliser que sur le véganisme? »
Bien sûr que non.
Il est tout à fait vrai que je ne conseille pas aux défenseurs des animaux d’investir leur temps et leurs ressources dans des campagnes ne visant qu’un seul type d’abus. La raison est simple : les campagnes ciblées donnent inévitablement l’impression que certaines formes d’exploitation animale sont moralement différentes des autres et qu’elles sont pires qu’elles ou, du moins, qu’elles méritent tout particulièrement la critique. Par exemple, une campagne contre la fourrure donne l’impression qu’il existe une différence moralement pertinente entre la fourrure et les autres matières animales utilisées pour l’habillement, comme le cuir ou la laine. Une campagne contre la consommation de chair animale donne l’impression que manger de la viande est moralement plus grave que boire du lait ou manger des œufs. Une campagne contre les œufs obtenus de poules élevées en batterie suggère que les œufs provenant de poules « élevées en liberté » n’impliquent aucun problème moral.
Dans une société où l’exploitation est perçue comme normale, ce problème est inhérent aux campagnes ciblées. Si X, Y et Z sont considérées comme des pratiques normales dans une société donnée et sont très semblables entre elles, alors une campagne contre X, mais qui ne vise pas Y et Z, laisse entendre qu’il y a des différences pertinentes entre X d’une part et X et Z d’autre part. Par exemple, nous vivons dans une société au sein de laquelle il est considéré comme normal ou « naturel » de manger le corps des animaux et d’autres produits dérivés des animaux. Une campagne qui focalise sur la viande donne l’impression qu’il y a une différence morale entre la viande et les autres produits d’origine animale, ce qui n’est pourtant pas le cas. La preuve de cela se trouve dans le fait que plusieurs défenseurs des animaux sont végétariens et non pas végans. S’ils font eux-mêmes une distinction, alors comment peuvent-ils s’attendre à ce que le grand public n’en fasse pas une aussi?
Cette situation doit être distinguée de celle où les activités X, Y et Z sont toutes considérées comme condamnables. Par exemple, nous percevons le génocide comme une mauvaise chose, qu’il ait lieu au Darfour, en Somalie ou en Bosnie. Si nous menons une campagne visant à faire cesser le génocide au Darfour, cela ne signifie pas que nous croyons que le génocide qui a lieu à d’autres endroits est acceptable. Nous percevons le viol et la pédophilie comme des comportements moralement condamnables. Une campagne contre l’un d’entre eux ne représente pas une approbation tacite de l’autre ni n’envoie le message que l’un est moralement différent de l’autre.
Ce problème inhérent aux campagnes ciblées est exacerbé par le fait que les groupes de défense des animaux qui font la promotion de ces campagnes louangent souvent eux-mêmes les exploiteurs qui acceptent de cesser ou de modifier certaines pratiques, mais qui en maintiennent d’autres tout à fait comparables. Par exemple, certains défenseurs des animaux encouragent les gens à consommer des « œufs de poules élevées en liberté » parce qu’il s’agit selon eux d’une alternative « socialement responsable » à l’élevage conventionnel en batterie. Plusieurs grandes organisations de défense des animaux parrainent ou approuvent les étiquettes d’élevage « humain » qui sont posées sur certains produits animaux. Un spécialiste connu de l’éthique animale affirme qu’être une « omnivore consciencieux » et une « position éthique défendable ». Cela envoie un message très clair et explicite : certaines formes d’exploitation animale sont moralement acceptables.
De plus, les campagnes ciblées ne font pas que créer l’illusion que certaines formes d’exploitation sont qualitativement différentes au plan moral, mais entraînent souvent de fausses « victoires ». Par exemple, la campagne californienne contre le foie gras (1, 2) a donné lieu à une loi qui a été appuyée par un producteur de foie gras de la Californie parce qu’elle l’immunise contre toute action légale d’ici l’an 2012 et parce qu’elle sera probablement abrogée avant qu’elle ne prenne effet si la production de foie gras peut, d’ici là, être rendue plus « humaine ».
Ainsi, je ne suis pas favorable à l’investissement de temps et d’argent dans des campagnes ciblées. Je soutiens que notre temps, nos efforts et nos autres ressources sont mieux investis s’ils sont orientés vers la promotion du véganisme. Tant et aussi longtemps que 99% et plus des gens sur cette planète considéreront la consommation d’animaux et de produits d’origine animale pour l’alimentation comme quelque chose d’acceptable, nous ne changerons pas de paradigme et n’arriverons pas à nous débarrasser de la croyance selon laquelle nous avons le droit d’exploiter les nonhumains. Nous devons mettre sur pied un mouvement pacifiste pour l’abolition ayant le véganisme comme fondement moral.
Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas nous opposer à certaines formes d’exploitation en particulier. Par exemple, la fin de semaine dernière, un cheval, Eight Belles, qui a couru pour le Kentucky Derby a été tué sur la piste, immédiatement après une course, lorsque sa cheville s’est cassée à force de courir trop longtemps et à trop grande vitesse. Lors d’un interview pour une émission de radio, on m’a demandé ce que je pensais de l’affaire Eight Belles. J’ai expliqué que j’étais opposé à toute course de chevaux parce que cela contrevient à ma position générale voulant que les humains n’aient aucune justification morale d’utiliser les nonhumains, pour quelque fin que ce soit, incluant celle de l’alimentation. L’animateur de l’émission s’est intéressé à cette réponse et a parlé du fait qu’il aime son chien et se soucie de lui mais qu’il a mangé la viande d’autres animaux lors d’un barbecue la fin de semaine précédente. En quelques minutes, le lien entre la course de chevaux et les autres formes d’exploitation, particulièrement la consommation de produits animaux, était fait.
Lorsque nous discutons et critiquons certaines formes particulières d’exploitation, il est important de clarifier que nous considérons ces pratiques particulières comme étant moralement injustifiables et que nous ne croyons pas qu’elles puissent être rendues acceptables par la simple adoption d’un règlement visant à rendre le traitement des animaux plus « humain ». Et il est essentiel d’exprimer clairement que notre opposition à ces pratiques ou activités fait partie de notre opposition plus générale à toute forme d’utilisation des animaux. Nous devons toujours nous assurer de manifester très clairement le fait que nous visons l’abolition de toute exploitation animale.
Alors lorsque vous serez confrontés à une pratique ou à une activité particulière et que vous voudrez ou serez invités à commenter, vous devriez le faire. Mais assurez-vous, cependant, d’exprimer clairement que, selon vous, la solution au problème n’est pas de rendre la pratique ou l’activité plus « humaine », mais de reconnaître que cette pratique est manifestement frivole, comme la plupart des utilisations que nous faisons des nonhumains, et que nous devons l’abolir comme nous devons abolir toute exploitation animale.
Voici deux exemples :
Q : Je lisais à propos du foie gras. La manière dont il l’obtienne est terrible, n’est-ce pas?
A : En effet, ça l’est. Mais ce n’est pas vraiment différent de tout ce que nous mangeons. Le steak que vous avez mangé ce soir ou le verre de lait que vous avez bu ce matin sont le résultat d’un processus de production tout aussi horrible que celui qui permet d’obtenir du foie gras. Et nous n’avons aucunement le droit de tuer des animaux nonhumains simplement parce que nous trouvons qu’ils goûtent bon, peu importe comment nous les traitons.
Q : Un cirque vient en ville. Que pensez-vous, en tant que défenseur des animaux, de l’utilisation d’animaux pour le cirque?
A : Je pense que c’est terrible. Nous imposons souffrance et mort aux animaux pour notre simple amusement et cela est tout à fait incohérent avec ce que nous prétendons croire lorsque nous affirmons qu’il est mal d’infliger de la souffrance « non nécessaire » aux animaux. Par contre, l’utilisation d’animaux dans un cirque n’est pas réellement différente de l’utilisation d’animaux pour l’alimentation, qui sert elle aussi notre plaisir ou notre amusement et qui est tout aussi incompatible avec ce que nous disons croire. Il n’y a aucune manière de réconcilier logiquement le fait que nous traitions certains animaux nonhumains comme des membres de la famille et le fait que nous plantions nos fourchettes dans le corps d’autres animaux ou que nous en torturions pour notre plaisir dans les cirques, zoos ou rodéos.
La question de savoir si vous devez gaspiller votre temps et votre énergie à tenter d’obtenir des lois concernant les cirques est différente. Comme je l’ai dit, à l’heure actuelle, le contexte culturel est tel qu’il est beaucoup plus raisonnable d’investir notre temps dans les actions visant l’abolition de l’utilisation d’animaux pour l’alimentation, qui est la principale forme d’exploitation et qui, en fait, est celle qui fonde toutes les autres. Mais si vous décidez malgré tout de participer à des campagnes contre le cirque, votre activisme devrait, à tout le moins, viser toutes les formes d’exploitation d’animaux pour le cirque sans exception et vous permettre d’exprimer clairement que le cirque n’est ni pire ni meilleur que les autres formes d’utilisation d’animaux, qui doivent toutes, si nous prenons les animaux au sérieux, être abolies.
Gary L. Francione
© 2008 Gary L. Francione