Une « lueur dans la pénombre »?

Dans une annonce médiatique (25 octobre 2007) présentée par la Animal Rights International (ARI), son président Peter Singer déclarait que la ARI avait fait paraitre une publicité sur les panneaux d’affichage placés sur les autobus de New York pendant un mois. Ces publicités montraient, semble-t-il, comment les œufs provenant d’élevage de poules en batterie étaient produits. Dans cette annonce, Singer expliquait à quel point ces cages d’élevage en batterie sont terribles. Signer affirmait « les cages en batterie sont graduellement abandonnées en Europe – pourquoi tardons-nous à en faire autant? » Singer remarquait toutefois ce qui lui semblait être une lueur dans cette scène obscure :

Les œufs-sans-cage, qui ne représentent qu’à peu près 5% des ventes, constituent le segment du marché qui évolue le plus rapidement. En prenant conscience de l’énorme quantité de souffrance infligée aux poules maintenues en cages, les consommateurs choisissent souvent de dépenser quelques sous de plus pour obtenir des œufs produits humainement. La ARI espère qu’en rappelant aux New Yorkais que leur petit-déjeuner s’obtient aux dépends des poules, plusieurs seront d’accord pour payer un peu plus afin de les libérer de leur cage.

L’annonce de ARI/Singer est problématique pour au moins trois raisons.

Premièrement, même si l’Union européenne a décidé que les traditionnelles cages en batterie seront bannies en 2012, l’industrie européenne de l’œuf en est maintenant à tenter d’obtenir que la date d’entrée en vigueur de l’interdiction soit repoussée. De plus, les producteurs d’œufs continueront à être libres, sous l’embargo européen, d’utiliser des « cages enrichies » qui, même selon les organisations les plus conservatrices de protection des animaux telles que la Compassion in World Farming, « échouent à résoudre plusieurs des problèmes de bien-être animal inhérents au système d’élevage en batterie ».

Patty Mark, de Animal Liberation Victoria, souligne que les dirigeants d’une grosse industrie de poules élevées en batterie construite en 2002 à New South Wales (où à peu près un million d’oiseaux sont aujourd’hui maintenus en cage) –

ont importé leurs cages flambant neuves d’Europe et se sont assurés de se procurer les cages (dessinées en fonction de l’embargo de 2012) qui peuvent facilement être « converties » en « cages améliorées », dans l’éventualité où l’Australie « bannirait » elle aussi les cages en batterie. Cela signifie qu’ils n’auront qu’à procéder à quelques ajustements mineurs – retirer une poule ou deux et insérer, en remplacement, une bande abrasive ainsi qu’une « boite à nid ». Il y aura encore des rangés et des rangés de poules d’élevage en batterie stockées dans des cages empilées en gradins de six, dans les mêmes hangars sombres.

Deuxièmement, Singer proclame que les « œufs de poules élevées en liberté » représentent une « lueur » dans cette triste histoire de cages d’élevage en batterie. Or, ce n’est pas le cas. Les œufs provenant soi-disant « de poules élevées en liberté » proviennent en fait d’oiseaux entassés par milliers dans une grande cage. Les oiseaux sont toujours débecqués et poussés à se déplumer. Dans un article paru en 2004 dans le Christian Science Monitor, on pouvait lire : « Mais « sans cage » n’est pas nécessairement très significatif en terme de qualité de vie pour les poules. Les œufs étiquetés « en liberté » ou « sans cage » proviennent souvent de poules serrées côte à côte dans des immenses hangars. » Et la référence offerte à l’appui de cette affirmation n’était nul autre que Paul Shapiro, aujourd’hui Directeur principal de la Humane Society of the U.S. Factory Farming Campaign. Bien sûr, Paul avait dit cela avant de commencer à travailler pour la HSUS et soutient maintenant que les œufs « de poules en liberté » et les autres formes de « viande heureuse » ou de produits animaux représentent « un véritable raz-de-marée de progrès ».

Patty Mark ajoute:

Et aucune mention n’est jamais faite à propos de tous les oiseaux de qui proviennent les poules pondeuses « sans cage ». Les poules comme les coqs sont entassés dans un immense hangar sans fenêtre, où les poules sont accouplées à répétition pendant plus d’un an jusqu’à ce que leur dos soit complètement déplumé, blessé et rougi; ces parents oiseaux sont poussés jusqu’à l’épuisement total, leurs œufs leur sont enlevés chaque jour pour être placés dans un incubateur qui les transformera en poules pondeuses « sans cage ». Les mères poules ne pourront donc jamais s’assoir sur leurs œufs, les pères coqs ne pourront jamais surveiller leur famille. Ni les poules, ni les coqs ne pourront jamais connaitre leurs poussins alors que la moitié d’entre eux – les bébés mâles – seront broyés vivants et liquéfiés par un malaxeur industriel.

Troisièmement, l’annonce mentionne que le livre Animal Liberation de Singer est « souvent louangé pour avoir amorcé le mouvement moderne pour les droits des animaux ». Une fois de plus, nous observons le soi-disant « père du mouvement des droits des animaux » dire au public qu’une brillante lueur dans l’obscure histoire de la torture et de l’exploitation des animaux est offerte par un tout petit changement au niveau de la manière dont nous exploitons et torturons.

Cette sorte d’approche ne fait rien d’autre que de permettre au public de se sentir plus à l’aise à propos de la consommation d’animaux – et de participer à promouvoir la ARI et Singer. Les gens peuvent maintenant « se sentir confortables » de manger des œufs parce que le dirigeant du mouvement pour les « droits des animaux », Peter Singer, leur a dit que les œufs de « poules en liberté » représentent une alternative moralement acceptable aux œufs provenant de l’élevage en batterie.

Ce n’est pas là la façon de modifier le paradigme en direction de l’abolition. Or, il faut avouer qu’il n’est pas tout à fait correct de laisser entendre que ce changement de paradigme est l’objectif de Singer. Après tout, il croit qu’être un « omnivore consciencieux » représente une « position éthique acceptable » et que l’exploitation des animaux est un « luxe » que nous pouvons tous moralement nous permettre – du moins à l’occasion.

Gary L. Francione
© 2007 Gary L. Francione