« Les êtres humains vont tous mourir, eux aussi. »

Il semble que le mouvement pour la défense des animaux s’enfarge dans ses propres membres tant il s’emballe et se précipite frénétiquement, afin de se trouver dans la meilleure position pour embrasser le postérieur corporatif de Whole Foods Market et son chef de la direction, John Mackey.

Bien sûr, Whole Foods vend des tonnes de cadavres d’animaux (frais ou congelés) et des milliers de produits d’origine animale. Mais ne vous inquiétez pas, fous, les défenseurs des animaux. Il s’agit là de produits d’animaux « heureux ». Rien de moins éclairant que lorsque Peter Singer, le soi-disant « Père du mouvement pour les droits des animaux », nous dit que « Whole Foods a mis sur pied la Animal Compassion Foundation, une organisation indépendante et sans but lucratif dont la mission est « d’éduquer et de soutenir la recherche afin d’aider et d’inspirer les propriétaires de ranchs et les producteurs de viande à travers le monde à atteindre de plus hauts standards d’excellence en matière de bien-être animal tout en maintenant leur viabilité économique » (The Way We Eat : Why Our Food Choices Matter, 181) Et cela est radical, n’est-ce pas? La Animal Compassion Foundation « procurera de l’aide et inspirera » ceux qui produisent des cadavres d’animaux à améliorer la situation dans la mesure où ils peuvent maintenir un profit acceptable. En d’autres mots, nous pouvons vendre des nonhumains et faire du profit ce faisant, mais vous, les « consommateurs compatissants », pouvez dormir sur vos deux oreilles. Attendez-vous à une révolution.

Whole Foods, selon Notre Père, est une « entreprise éthique » (183), faisant partie de ce que Singer considère être l’approche des « omnivores consciencieux » dans le domaine de l’exploitation des nonhumains. Et Whole Foods promet que « les producteurs qui rencontreront ces standards volontaires seront autorisés à poser sur leurs produits une étiquette les « ‘désignant Animal Compassionate’ ». Encore une autre étiquette de viande « heureuse », pouvant entrer en compétition avec l’étiquette ‘Certified Humane Raised & Handled’ ainsi que l’étiquette ‘Freedom Foods’. Que de choix de viandes « heureuses »!

Singer, de concert avec les corporations welfaristes que sont la Humane Society of the United States, People for the Ethical Treatment of Animals, Farm Sanctuary, Compassion Over Killing, Vegan Outreach et autres, ont adressé à Mackey une lettre publique exprimant leur « appréciation et leur support pour cette initiative pionnière qu’a prise Whole Foods Market, en mettant sur pied les standards de ‘Farm Animal Compassionate’ ». Lorsqu’on lui a demandé s’il était troublé par le fait que Whole Foods utilisait cette lettre pour améliorer ses relations publiques, Singer a répondu:

Je n’ai aucun problème avec cela. J’appuie ce que la lettre contient et elle [Whole Foods] est bienvenue de l’utiliser. Je veux dire que nous lui avons adressé cette lettre en nous attendant à ce qu’elle l’utilise. Il ne s’agissait pas que d’une lettre personnelle que John Mackey devait ranger dans ses dossiers.

En 2004, PETA a accordé un prix à Whole Foods, affirmant que l’entreprise « a constamment fait davantage pour le bien-être animal que n’importe quel détaillant de l’industrie, en exigeant de ses producteurs qu’ils respectent des standards stricts. »

Le magasine VegNews, de son côté, a présenté Mackey sur la page couverture d’un de ses numéros et a aussi accordé un prix à Whole Foods et à Mackey.

Même Tom Regan, qui met tant d’efforts à se distinguer de Singer, est aussi monté dans le train Whole Foods. À l’occasion du International Compassionate Living Festival de 2005, qui devait célébrer « les personnes exemplaires qui osent défier le statu quo et défendre la cause des opprimés », Regan a invité Mackey à titre de conférencier d’honneur. La brochure de Regan décrivait Mackey comme « le CEO végan de Whole Foods Market, le supermarché d’alimentation naturelle et organique le plus avangardiste au monde, qui pousse l’industrie à dépasser les plus hauts standards en matière de bien-être animal ».

Certains défenseurs des animaux pourraient s’opposer au fait que Singer, Regan, PETA, VegNews et les autres défenseurs de la viande « heureuse » aient décidé de représenter ainsi la division marketing des exploiteurs institutionnalisés, comme Whole Foods, dont les affaires reposent sur le refus du public de reconnaître des droits aux animaux. Certains défenseurs des animaux pourraient croire qu’il y a quelque chose de franchement insensé dans le fait de célébrer Whole Foods parce qu’il est un propriétaire d’esclaves dont les contremaîtres battent les esclaves 5 fois par jour plutôt que 6 fois.

Mais de telles objections seraient injustifiées. Ces défenseurs de la viande « heureuse » ont le droit d’acclamer Whole Foods. Il s’agit là d’une corporation qui se soucie. Et qui se soucie beaucoup.

Prenons un exemple : la récente décision de Whole Foods à propos des homards.

En juin 2006, Whole Foods annonçait qu’elle avait étudié un rapport concluant que les homards et les crabes étaient des êtres sensibles, ou subjectivement conscients, et qu’elle avait conclu que, jusqu’à ce que « des améliorations suffisantes puissent être apportées au niveau de la manière de manipuler les homards vivants afin d’assurer un traitement humain tout au long de la chaîne alimentaire », Whole Foods ne vendra pas de homards vivants.

PETA se réjouissait en criant : « Victoire pour les homards et les crabes! ».

Le 16 juin 2006, la déclaration de Whole Foods précisait que Whole Foods continuerait à « vendre une sélection de produits du homard congelés, crus et cuits » de telle sorte que la « victoire » était, en fait, que les « consommateurs ayant de la compassion » ne seraient pas forcés de voir des homards dans un des réservoirs de Whole Foods; ces derniers seraient tués ailleurs et leurs cadavres seraient apportés à Whole Foods pour qu’elle les vende.

Selon ce qui a été annoncé le 8 février 2007 dans The Boston Globe et dans le Portland Press Herald, Whole Foods renoncera à son boycott sur les homards dans le cas d’un nouveau magasin Whole Foods qui ouvrira à Portland, dans le Maine.

Mais ne vous alarmez pas, défenseurs des animaux. Les marchés Whole Foods ont à cœur de sauvegarder les meilleurs intérêts des homards.

Même si Whole Foods autorisera la vente de homards à son magasin de Portland, ces homards, une fois attrapés, seront logés « verticalement, pinces en haut et queue en bas, dans des cubes de plastique – que Whole Foods appelle des « condos ».

Et pour illustrer l’idée selon laquelle la bonne morale et les bonnes affaires vont de pair – c’est-à-dire que le bien-être animal est lié à l’exploitation efficace des animaux, ce que je dénonce depuis longtemps – il s’agit d’une situation gagnante autant pour les producteurs de homards que pour les vendeurs, et même pour les homards! Little Bay Lobster Co., qui a développé ces « condos » à homards, affirme que le transport selon les méthodes traditionnelles signifie que « à peu près 5 pourcent des homards meurent pendant le transport, ce qui coûte à l’industrie du homard du Maine plus de $20 millions annuellement ». Les « condos » pour homards isolent les homards en les confinant à des compartiments de plastique individuels et réduisent ainsi les morts entraînées par le fait que les homards rampent les uns sur les autres. De plus, la méthode des condos « améliore l’apparence des homards sur le marché, où certains consommateurs exigeants pourraient ne pas vouloir un de ceux dont les antennes ont été mâchouillées par un colocataire », selon Little Bay, qui ajoute : « Nous l’avons fait pour les bonnes raisons. Mais en bout de ligne, cela a permis d’atteindre les objectifs de Whole Foods ».

Et Little Bay devra certainement se trouver de meilleures ‘bonnes raisons’. Le 10 février 2007, le Portland Press Herald rapportait que Little Bay s’était vue imposer, en 2006, une amende de $86, 000 par l’Agence de Protection de l’Environnement pour avoir déchargé illégalement des polluants dans les rivières et pour d’autres violations, incluant l’immersion de pièges à homards dans des produits chimiques toxiques qui étaient ensuite lavés à même les rivières.

À ce moment-ci, vous vous questionnez probablement sur la mise à mort des homards. Ne vous en faites pas, défenseurs des animaux! Oseriez-vous croire que Peter Singer, Tom Regan, PETA, et tous les autres membres de l’équipe de soutien de Whold Foods vous auraient trompés?

Tout homard ayant passé plus de sept jours dans un magasin (ils seront « suivis par un système de couleurs des élastiques entourant leurs pinces ») sera « zappé et finira dans un resto-déli comme homard à salade ou autre met ». Oui, « les travailleurs utiliseront l’appareil ‘CrustaStun’ qui permet de tuer les homards instantanément, en les assommant par une décharge de 110 volts, plutôt qu’en les cuisant à la vapeur ». Les consommateurs pourront aussi obtenir des homards électrocutés avant de les rapporter à la maison.

Finalement, les gens peuvent de nouveau manger leur homard sans se sentir coupable de l’avoir fait bouillir. Voilà sûrement tout ce en quoi être un « omnivore consciencieux » consiste – exploiter les animaux tout en se sentant moralement supérieur. Quoi demander de plus?

Mais qu’en est-il du choix du consommateur? Cela ne compte-t-il pas? Qu’arriverait-il si un consommateur préférait faire bouillir lui-même son homard plutôt que de le laisser être électrocuté « humainement » par Whole Foods? Après tout, Peter Singer nous a dit, dans The Way We Eat, que John Mackey a une « perspective libertaire » (182). Singer mentionnait cela au moment d’expliquer pourquoi Mackey s’opposait au syndicalisme chez Whole Foods. Or, un gars qui s’oppose au syndicalisme pour des raisons libertaires doit sûrement être préoccupé par les choix des consommateurs.

Et il l’est. Le Boston Globe rapporte que : « Les consommateurs pourront toujours acheter leur homard vivant et le tuer à la maison ».

Pendant un moment, je me suis inquiété.

Mais qu’en est-il du traitement « humain »; après tout, n’est-il pas vraiment indécent de faire bouillir un homard vivant? Calmez-vous. Whole Foods a pensé à tout. Le Portland Press Herald rapporte que: « Les consommateurs qui quitteront avec des homards vivants partiront avec, en main, une carte expliquant une manière de les préparer avec « humanité » ».

Alors voici ce dont vous disposez:

  • « Condos » pour les homards et plus grands profits pour l’industrie du homard.
  • Électrocution des homards grâce au « CrustaStun », pour les consommateurs « compatissants » qui veulent leur homard tout en minimisant leur culpabilité.
  • Ébullition « humaine » pour les moins « compatissants » parmi les « omnivores consciencieux ».
  • Ébullition conventionnelle pour les consommateurs restant qui, toutefois, sont tout de même moralement meilleurs que ceux qui magasinent dans les marchés d’alimentation conventionnels puisque, en achetant leur homard chez Whole Foods, leur acte est lui-même une déclaration d’engagement à un mode de vie compatissant à l’égard des animaux.
  • Et si vous achetez votre homard lors de l’un des jours spécial de magasinage où Whole Foods donne 5% de ses ventes globales à la Animal Compassion Foundation, vous pouvez contribuer à améliorer le bien-être des animaux de la ferme en achetant votre homard.

Peut-on encore se demander pourquoi l’entourage des producteurs de viande/animal « heureux » est tellement excité à propos de Whole Foods et de John Mackey? Sûrement pas.

Il n’est pas surprenant que PETA se presse de louanger Whole Foods pour ses pas de danse entourant le boycott des homards, en précisant que, bien que PETA souhaite que personne ne vende de homard, Whole Foods devrait être « applaudi, tout de même, parce qu’elle essaie d’améliorer les conditions de vie des homards avant qu’ils ne soient vendus ». Dans un autre article du Boston Globe du 7 février 2007, il était rapporté que « People for the Ethical Treatment of Animals, le groupe des droits des animaux basé en Virginie, préférerait que Whole Foods ne vende pas de homard vivant, mais que la compagnie devait également s’assurer que les animaux sont traités humainement. « Nous espérons que tous les magasins du Maine qui vendent des homards vivants aient à mettre en vigueur des protocoles à propos du bien-être animal de manière à compétitionner avec Whole Foods, ce qui serait une bonne chose’, disait Matt Prescott des bureaux de PETA dans Norfolk, Va. »

Quelle victoire pour les homards!

Peut-être que PETA fera un nouveau vidéo présentant une femme habillée en homard qui se dévêtira jusqu’à exhiber ses antennes de homards et entrera alors dans un grand pot, souriante et envoyant la main, au moment d’être « zappée » avec ce qui ressemblerait à un appareil « CrustaStun ».

Pour ceux qui pensent que tout cela est passablement tragique, rassurez-vous. Je vous laisse sur une pensée philosophique de David Lannon, Président de la Région du Nord de l’Atlantic de Whole Foods : « Les êtres humains vont tous mourir, eux aussi. Mais la qualité de la vie est importante lorsque nous sommes en vie. C’est pareil pour les animaux ».

Voilà qui est profond.

Gary L. Francione
© 2007 Gary L. Francione